Une brève note dans les journaux gratuits nous apprend que madame Chunlan Liu est décédée vendredi dernier à l'hôpital. Cette chinoise de 52 ans s'était jetée par la fenêtre de son appartement pour éviter ce qu'elle croyait être un contrôle de police. C'était une sans papiers, et elle craignait l'expulsion.
Tout d'abord, ayons pour elle une pensée ; et pour les siens, si elle en avait qui vivaient avec elle, des sentiments de compassion. Il ne s'agit pas de verser des larmes de crocodile dans le marigot politico-médiatique nauséabond où est en train de sombrer cette triste affaire, mais de voir comment, concrètement, il serait possible de les aider, sans verser dans la démagogie et dans l'appel d'air.
Ensuite revenons à la réalité des faits. La police judiciaire menait une investigation chez un suspect qui hébergeait madame Chunlan. Elle le faisait sur instruction du parquet de Meaux, à la suite d'un vol. La Préfecture de police rappelle "qu'en aucun cas l'action des policiers n'était liée à une opération de contrôle de l'immigration irrégulière". Madame Chunlan n'était pas visée. Elle a obéi à un mouvement de panique, car elle craignait sans doute l'expulsion.
Bien entendu, des élus de gôôôôche se sont joints à la manifestation organisée par le Réseau Education sans Frontières et de Collectifs de sans-papiers. "La politique se durcit, ils veulent du chiffre et les traques, particulièrement dans le Xè, sont de plus en plus intensives" dit l'honorable Rémi FERAUD, premier adjoint au maire du Xè. Monsieur DELANOE lui emboîte le pas, à quelque distance toutefois ; il déplore "la pression grandissante qui s'exerce sur les étrangers et la multiplication des contrôles d'identité et des interpellations collectives". (Que les contrôles s'exercent dans les quartiers hébergeant le plus de clandestins putatifs me paraît être plus efficace que des contrôles organisés dans le Mercantour ou au beau milieu de la Margeride ! On a fort peu de chance de trouver des coquillages dans la Mer de Glace.) Sans qu'on sache bien pourquoi, monsieur DELANOE évoque les "dérapages" susceptibles de se produire avec les tests ADN (qui seraient facultatifs et librement demandés par les postulants au regroupement familial, et qui de toute façon ne passeront pas la barrière du Sénat !), lesquels n'ont rien à voir avec la défenestration de madame Chunlan.
Plusieurs remarques : il semble bien que l'action du Réseau Education sans Frontières s'exerce tout particulièrement à l'intérieur des nôtres et assez peu dans les pays qui en auraient le plus besoin. Mais ce réseau porte bien son nom : il a pour but de transformer les susdites en passoire, sans aucun souci des moyens qu'il faudrait mettre en oeuvre pour accueillir tous les déshérités du monde, deshérités dont il réclame la venue de toute la force de sa généreuse mais irresponsable idéologie.
En second lieu, je ne vois pas ici le lien factuel entre ce drame et les contrôles de l'immigration irrégulière. Je vois le lien psychologique chez madame Chunlan, et le lien idéologique chez MM FERAUD et DELANOE, et je ne puis les empêcher de fantasmer et d'exploiter à ce qu'il croit être leur profit, cet épouvantable accident. Mais je trouve cela honteux, que dis-je ? ignominieux. Encore des crocodiles dans le marigot.
Dernière remarque. Nous sommes dans un pays régi par des lois. Nos droits civiques et politiques découlent de notre Constitution. Je dis, je répète et je maintiens qu'une situation de non-droit ne saurait être légitimée par la seule force du fait accompli. S'il devait en être ainsi, je ne donnerais pas cher de l'avenir de notre démocratie, du civisme et de l'esprit citoyen. Je ne donnerais pas cher de nos libertés : le fascisme, le racisme, et la xénophobie auraient un bel avenir devant eux.
Enfin, il me paraît indispensable de faire le départ, dans les sans-papiers, entre les immigrés politiques et les immigrés économiques. Oui à l'accueil des uns, non à celui des autres. Ce serait déraciner ces pauvres gens que de leur faire croire à l'eldorado occidental sans pouvoir leur assurer un accueil décent. Il faut simplement imaginer une autre politique et une politique qui soit globale. Nous pourrions, par exemple, voter pour des candidats qui afficheraient clairement leur volonté d'affecter 2 % du PIB à l'aide aux pays pauvres ; nous pourrions accepter de payer plus cher les matières premières (café, chocolat, minerais de toutes sortes, etc.) arrachées à la terre au prix du sang et de la sueur des pauvres, en fixant par exemple, via l'OMC, des prix obligés, pour toute la durée d'une campagne, et en jugulant ainsi l'ignoble spéculation ; nous pourrions prendre soin de ne pas soutenir les dictateurs corrompus qui dans trop de pays du tiers monde monnayent leur soutien politique aux nations occidentales et détournent à leur profit l'aide qui est envoyée à leur pays. Nous pourrions vivre plus sobrement. Ainsi, nous n'extérioriserions pas notre propre pauvreté, laquelle, il faut le rappeler, est bien présente dans notre patrie. Mais, je l'ai dit, il y a des crocodiles dans le marigot. Crocodiles politiques, crocodiles financiers, crocodiles agioteurs, crocodiles intéressés, crocodiles aux dents longues...
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