vendredi 19 octobre 2007

Matière à réflexion pour leaders syndicaux

Voilà un philosophe qui "pour partager à fond le sort des pauvres,[...] demanda un congé [sous-entendu : de l'Education Nationale] et s'embaucha dans les usines Renault, où sans révéler à personne sa qualité, [il] travailla pendant un an comme fraiseu[r]. [Il] avait loué une chambre dans un quartier ouvrier et vivait uniquement du maigre produit de son travail. [...] Au moment de la guerre d'Espagne, [il] s'engagea dans les rangs des Rouges, mais [il] eut à coeur de ne jamais se servir de ses armes. Etc.]
Ainsi parle Gustave THIBON de celle qu'il hébergea quelques mois pendant la guerre, - je veux parler de Simone WEIL-, dans l'Introduction d'un livre proprement extraordinaire et dont je vous ai déjà parlé, livre qu'elle écrivit pendant son séjour chez cet homme non moins extraordinaire. Avant de partir pour les Etats-Unis et de là pour Londres où elle mourut, Simone WEIL avait laissé au Paysan Philosophe dix gros cahiers dont elle lui avait confié et la garde et la destinée. L'un d'eux serait publié sous un titre bien connu : La pesanteur et la Grâce. Plon, Paris, 1948.
Je dédie aux responsables syndicaux ces deux petits paragraphes, extraits de cet ouvrage, en espérant qu'ils les fassent réfléchir, au cas fort improbable où ils leur parviendraient.
"Nous haïssons les gens qui voudraient nous amener à former des rapports que nous ne voulons pas former.
La JUSTICE consiste à établir dans les choses analogues des rapports identiques entre termes homothétiques, même lorsque certaines de ces choses nous concernent personnellement et sont pour nous l'objet d'un attachement."
N'est-il pas trop visible que les leaders syndicaux et leurs troupes haïssent le gouvernement parce qu'ils ne veulent pas former le rapport entre catastrophe annoncée des régimes de retraite, chômage des jeunes, et régime spéciaux ?
La retraite d'un fonctionnaire de l'Education Nationale, par exemple, ne se présente-t-elle pas en des termes homothétiques au regard de celle d'un cheminot ? Et ne conviendrait-il pas que celui-ci, bien que très légèrement lésé par des mesures progressives et justes, se rendît précisément à l'évidence de la justice ?
Le propre des grands esprits, comme l'était Simone WEIL, est d'énoncer en des termes dépouillés de tout artifice, denses et précis, des vérités durables, pour ne pas dire immortelles. Un petit effort d'intelligence spéculative convaincrait messieurs THIBAULT, MAILLY, et dans une moindre mesure CHEREQUE (de loin le plus mesuré et le plus proche du réel) de la nécessité de mettre fin à un régime qui n'a plus lieu d'être, sauf cas exceptionnel de pénibilité, qu'il faudrait alors étendre à TOUS LES EMPLOIS PENIBLES DE LA FONCTION PUBLIQUE. Il est assez piquant de voir que pour justifier les régimes spéciaux, les journaux, les responsables syndicaux et d'autres invoquent des mesures prises sous l'Ancien Régime (en 1673 et 1709), tant villipendé par les chantres académiques de la régénération révolutionnaire : j'ai nommé, entre autres, messieurs AULARD (grand rival de TAINE), et plus près de nous, messieurs MATTHIEZ et SOBOUL, dont la pensée était ouvertement ancrée dans le marxisme.
En 1673, il était instauré un régime de pension pour les marins au cas où ils auraient été blessés et ne pourraient poursuivre leur activité. En 1709, fut institué un véritable régime de retraite pour tous les marins du commerce et de la pêche. Mais ce qu'oublient de dire les argumenteurs de service, c'est que ces mesures s'appliquaient à un ensemble naturel de personnes exerçant le même métier, groupées en corporation, et formant ce que l'on aurait le droit de nommer "un corps naturel intermédiaire", rendant à la Patrie d'inestimables services que personnes d'autres qu'elles n'auraient pu rendre. Je conviens que tout le monde n'est pas apte à conduire un TGV. Mais les conducteurs ont obtenu, précisément, de garder un régime adapté (37,5 annuités et non pas 40). En revanche, poinçonner un ticket ne me semble pas requérir des compétences exceptionnelles, mais des qualités personnelles de courtoisie, de patience, de maîtrise de soi et de disponibilité. Ces qualités nécessaires ne sont pas l'apanage exclusif des contrôleurs.
Je ne sais pas si je vous ai convaincu, mais ça m'a fait du bien de dire ce que j'ai sur le coeur.

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