Message à l'intention d'un très proche qui me titille sur l'évolutionisme, à l'occasion du bicentenaire de la naissance de DARWIN.
Le créationisme et l'évolutionisme sont l'un et l'autre des théories, c'est-à-dire des systèmes d'explication de la totalité ou de la quasi totalité de faits relevant d'un même champ de connaissances. L'un, le créationisme, est moins probable que l'autre, l'évolutionisme. Mais il faut bien comprendre que dans les deux cas, ce sont des croyances qui s'appuient, l'une, sur une Parole biblique faussement interprétée (créationisme), l'autre, sur des observations paléontologiques lesquelles, par définition, ne peuvent faire l'objet QUE d'une interprétation. Est scientifique ce qui peut être falsifié par l'expérience. Or nous n'avons aucun moyen de vérifier par l'expérience la théorie de l'évolution à partir d'une hypothétique forme de vie dont nous ne savons rien. Nous savons cependant deux choses : l'une, c'est que la micro-évolution (au sein d'un genre ou d'une espèce, d'un phylum même) est un fait avéré (c'est la micro-évolution), l'autre, c'est qu'il existe un mécanisme génétique très particulier, l'invention génique, qui permet, par exemple, à une espèce bactérienne réputée incapable de métaboliser tel substrat, d'acquérir cette capacité à la suite d'une série de mutations, qu'on peut sélectionner en modifiant l'environnement et donc la pression de sélection qui pèse sur le micro-organisme. Une objection majeure à la théorie de l'évolution est l'absence de formes intermédiaires entre les différents plans d'organisation des êtres vivants. TEILHARD expliquait la chose par la rareté des mutants engagés dans une certaine voie évolutive. L'explication est insuffisante. Car ce mutant s'est forcément multiplié, et à supposer qu'il ait encore muté, on devrait retrouver les restes de formes archaïques de ces nouveaux plans d'organisation, ou admettre que le rythme des mutations a été si rapide et a intéressé un si petit nombre de sujets, qu'il est impossible d'en retrouver les traces.
Mais... Natura non fecit saltum. La nature ne fait pas de saut. J'avoue donc mon ignorance, sur l'origine de la vie, même si je trouve l'évolutionnisme plus pertinent.
Un de mes collègues, le regretté Professeur Gilbert LAUSTRIAT, m'expliqua, il y longtemps, pourquoi les physiciens sont devenus les scientifiques les plus modestes du monde de la recherche. A la fin du XIXe siècle, début du XXe siècle, tous les phénomènes physiques se laissaient expliquer en termes de physique newtonienne (G = m que multiplie m' divisé par D au carré). Seul un phénomène bizarre et absolument mineur, négligeable pour tout dire, résistait à ce bon Isaac NEWTON : le rayonnement du corps noir. PLANCK résolut de s'attaquer à l'insolent ; il découvrit la nature corpusculaire et discontinue des ondes, et sa fameuse constante. Comme quoi, une explication universellement admise a ses limites, quand elle rencontre un génie qui en explore les failles. J'ajoute pour terminer, que HAECKEL, un célèbre naturaliste du XIXe siècle, le père du fructueux concept des protistes, fustigeait les opposants à l'évolutionnisme, en prétendant qu'en déclarant non scientifique la théorie de l'évolution, ILS N'Y AVAIENT RIEN COMPRIS. Ce qui me semble une objection bien peu scientifique. Si nous ne tenons pas bon sur la validation des interprétations par l'expérience et par elle seule, je ne donne pas cher de l'avenir de la science. N'en déplaise à Antoine DANCHIN pour qui j'ai une grande admiration, il n'est pas scientifiquement exact que la macro-évolution (c'est-à-dire le passage progressif d'une forme de vie simplifiée à des formes de vie de complexité croissante et découlant les unes des autres, d'un plan d'organisation à l'autre) ait été scientifiquement prouvée, comme il l'a déclaré récemment dans un journal. S'il me lit, sait-on jamais, qu'il me donne des précisions qui m'ont peut être échappé. Je modifierais alors mes positions en conséquence.
1 commentaire:
Voici un exemple très simple de macroévolution, à l'échelle chimique élémentaire. Imaginez une feuille flexible et déformable. Elle subit une agitation thermique qui la fait passer par toutes sortes d'états. L'un d'entre eux est le suivant: la feuille se referme. Il s'agit là de la création d'une propriété entièrement nouvelle, qui définit un intérieur et un extérieur (ce qui n'est pas le cas avec la feuille initiale). Les conséquences sont immenses, puisque cela permet très vite de créer un gradient électrochimique entre l'intérieur et l'extérieur, et ainsi de créer un processus sélectif qui va distinguer ce qui se passe dedans et dehors.
Ce type de processus est au demeurant banal. Mais il peut se produire à toutes les échelles, et en particulier à des niveaux abstraits. Dans un algorithme, l'introduction de la récursivité (l'appel par une routine à la même routine) conduit à des effets dont les conséquences sont très souvent imprévisibles et innovantes.
Il y a donc de petits événements qui produisent des effets très petits, et d'autres des effets incommensurables. Incidemment c'est vrai de bien des propriétés chimiques de systèmes métastables. Pensez aux explosions. Dans ce cas les états intermédiaires sont à peu près impossible à isoler.
Il me semble donc assez aisé d'accepter ce genre de choses en ce qui concerne la vie.
Pour finir, l'évolution n'est pas une théorie, mais une des nombreuses observations expérimentales qui dérivent du fait, lui aussi assez simple, que ce que nous appelons "sélection naturelle" est un authentique principe de la physique. C'est le principe suivant: "faire de la place en utilisant de l'énergie pour préserver une structure ou un processus riche en information". Cela suppose que nous acceptions que la catégorie "information", est une authentique catégorie du réel, et qu'elle doit s'articuler, selon des lois que nous commençons à découvrir, avec les catégories standard, matière, énergie, espace et temps. La physique a depuis assez longtemps accepté cette façon de rendre compte du réel; c'est aujourd'hui (enfin!) à la biologie de le faire.
Incidemment, à titre d'illustration, ce mot s'articule bien dans le temps et l'espace, et utilise un support matériel et de l'énergie; mais ce qu'il véhicule c'est une information, qui atteindra, ou n'atteindra pas son but,
Bien cordialement,
Antoine Danchin
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