vendredi 13 février 2009

Requiem pour notre Université ?

La France en général et son Education Nationale en particulier sont tout simplement irréformables. Je suis bien placé pour vous dire que l'autonomie des Universités était attendue depuis des décennies. J'ai été pendant plusieurs années vice-président de l'Université Louis Pasteur de Strasbourg (aujourd'hui fusionnée avec les Universités Marc Bloch et Robert Schumann), et je puis vous assurer que notre marge de manoeuvre était relativement restreinte. Tout venait de Paris, tout était décidé à Paris. Ils savaient tout à Paris, mais ils ne savaient que cela. Qu'importe, par exemple, que la pluie traverse depuis des années le toit de l'Institut d'histologie de la Faculté de Médecine : il faisait tant de mètres carrés, on lui affectait tant de crédits par mètre carré, quel que soit son âge, les matériaux qui avaient servi à le construire, on implantation, etc. Quatre ou cinq petites années avant sa démolition - elle précédait la construction du nouvel hôpital -, il a pourtant été refait à neuf (toit, peinture, etc.). Et notre avis n'avait pas été vraiment sollicité, bien que nous eussions depuis longtemps réclamé des réparations. La décision de refaire avait été prise ; c'était trop tard. Une gestion locale des bâtiments aurait sans aucun doute permis d'économiser les deniers publics, dans la perspective de la démolition, mais il y fallait l'autonomie. A Paris, ils savaient tout. mais ils ne savaient que cela.
Voilà que, mettant le droit en accord avec le fait, madame PECRESSE veut donner aux Présidents d'Université la possibilité de moduler les services d'enseignement de leurs personnels. Tollé général, alimenté par cette méfiance si typiquement française, méfiance de l'autre, méfiance des chefs, méfiance de l'Etat. Bons apôtres, les syndicats se tirent plutôt bien de ce syndrome de la méfiance, puisque c'est eux qui l'alimentent. Pour exister, il leur faut critiquer, sans arrêt, et il leur faut prendre dans les instances officielles, des positions - entendues au sens militaire - qui leur permettent d'exercer du pouvoir, de l'étendre, et bien souvent (il y a des exceptions et j'en ai connues), de placer des médiocres dans des postes de responsabilité qui flattent l'ego de ces petites personnes. Évidemment, la réforme de madame PECRESSE a pour effet (mais non pour objectif) d'enlever une partie du pouvoir syndical en lui ôtant la possibilité de codécider. En réalité, depuis des décennies, des professeurs responsables de très prestigieux laboratoires ou accablés par la gestion de leur service (en médecine) ne font plus de cours, tandis que d'autres en redemandent. C'est pour cela, d'ailleurs, que monsieur JOSPIN a créé la prime d'encadrement doctoral, la prime pédagogique, ou la prime d'activité administrative, pour abonder les revenus des enseignants en fonction de l'orientation principale de leur activité : recherche, enseignement, administration. Le texte de madame PECRESSE sanctionne cette réalité, et responsabilise les enseignants. Quant à l'évaluation, elle me paraît tout à fait nécessaire. Ne la craignent que ceux qui ont à y perdre pour des raisons qu'ils connaissent parfaitement bien.
Si cette réforme ne voit pas le jour, on peut chanter un Requiem pour notre Université qui fut une des plus prestigieuses du monde et n'est plus que l'ombre d'elle-même. Je l'ai connue encore toute parée de ce prestige, je l'ai quittée alors qu'elle brillait encore, mais je vois avec tristesse le choeur des envieux, des petits esprits, battre le pavé, et je crains fort que sa vilaine complainte ne soit entendue, et peut-être écoutée ; nous pourrions alors dire adieu à cette grande institution, qui semble avoir le goût du suicide.

2 commentaires:

Geneviève CRIDLIG a dit…

Cette analyse repose sur une grande connaissance de l'intérieur de la vie dans une université française. Beaucoup de questions sont soulevées. Je souhaiterais mieux comprendre où est le noeud du problème - en dehors de la critique habituelle que quand Paris décide c'est souvent à côté de la plaque, que ce projet de loi ne fera qu'entériner un état de fait et que les syndicats tirent les ficelles.
En particulier ma surprise est de voir l'ampleur du volet imposé par le travail administratif. Quelles seraient donc précisément les composantes adéquates et vitales du travail d’un enseignant chercheur et d’un Professeur ? Et le fonctionnement "idéal" d’une Université ? Comme dans le passé ? Et alors comment était-il ? Sans faire de grands développements, qu’est-ce qui faisait sa force et bâtissait sa réputation ? (= déjà l’imparfait…) De plus, n’exprimer que des regrets nostalgiques est-il suffisant ? De toute façon, n’y aurait t il pas eu une nouvelle Université à bâtir ? Quel travail de réflexion! A qui appartient-il ?

Philippe POINDRON a dit…

Cher lecteur,

Je vais m'efforcer de répondre dans un prochain billet aux très nombreuses questions que vous soulevez. J'ai quelques idées sur le sujet, mais vos remarques me poussent à les approfondir avant de les exposer.