Fourmi, dans ses commentaires à mon dernier billet, argumente de manière très serrée sur la crise de l'intelligence, et Olibrius, avec humour, me fait remarquer qu'il aime bien le foot.
Il faut absolument que je précise et ma pensée et celle de Marcel LEGAUT.
(a) En aucun cas, je n'ai voulu mépriser les amateurs de foot ou de rugby, et tous ces jeunes qui acclament leur champion quand il marque. Tout au plus, pourrais-je faire remarquer que le monde de l'argent infiltre insidieusement et indignement ce qui devrait rester une célébration de l'émulation sportive, et de la maîtrise du corps. J'habite non loin du Parc des Princes et j'ai des yeux pour voir et des oreilles pour entendre.
(b) Marcel LEGAUT n'entend pas reprendre à son compte la catégorisation entre doctes et ignorants. Toutes ses oeuvres et toute son action démontrent au contraire qu'il la déplore ; il constate que le monde idolâtre le savoir comme source de pouvoir et non comme source d'humanisation. Dans ses Lettres des Granges, il développe largement ce point de vue. Sa pensée n'est pas datée, mais prophétique et anticipatrice.
(c) Personnellement, je constate que l'enseignement supérieur, en France, est largement subdivisé entre enseignement pour les soi-disant "élites" - notez ici que je ne dis pas "prétendues", mais "soi-disant", c'est-à-dire se déclarant telles - (Grandes Ecoles, filières sélectives des Professions de Santé, Ecoles supérieures de Commerce, Ecoles d'Ingénieurs, BTS, DUT) et les autres, en gros les filières universitaires classiques.
(d) Fourmi analyse avec pertinence ce qu'elle appelle la crise de l'intelligence. Je partage tout à fait ce point de vue. Aujourd'hui, on ne pense pas, on réagit. On est incapable de prendre du recul, on vit dans l'émotion de l'instant. On croit tout savoir parce que l'on a accès à internet, mais il n'y a aucun travail personnel de synthèse ou d'assimilation des notions auxquelles on a un accès si facile, et l'on confond ce facile accès aux données, à leur compréhension profonde, notamment aux possibles relations de cause à effet, aussi bien des faits historiques, que politiques, artistiques ou techniques. Penser est une activité de l'esprit qui ne peut se déployer que dans le silence et la réflexion. Or le bruit envahit tout l'espace intérieur : téléphone portable, I-pod, Pod-cast, radio, télévision, I-phone, DVD, concerts de rock, etc. Encore une fois, il n'est pas dans mes intentions de mépriser toutes ces nouveautés, mais de souligner l'usage immodéré que l'on peut en faire, qui est suscité, créé de toutes pièces par les frénétiques de la croissance et du profit rapide, et qui est un obstacle absolu au travail de la pensée. Celle-ci se nourrit de faits, d'observations, de lectures, de confrontations aux opinions d'autrui, et non des idéologies et des programmes politiques. Penser est une activité qui prépare à l'action, et qui est très exactement le principe de notre liberté. Penser est une activité exigeante, fatigante, troublante même quand par son exercice, elle remet en cause, justement, les "idées".
Il nous faut donc, si nous croyons que penser est l'activité humanisante par excellence, ne point trop nous focaliser sur l'efficacité immédiate, la productivité, l'utilité, mais accepter une pauvreté momentanée de nos vies, pour leur permettre de porter de vrais fruits.
1 commentaire:
Cette réponse ne me satisfait pas complètement car elle se restreint à la conception de la valeur de la pensée et du caractère indispensable de son action. Evidemment par les temps qui courent, c’est déjà pas mal.
- Mais cette déficience s’est déjà manifestée sous des formes variables dans notre histoire (comme tout Français qui se respecte, mon appréciation part du fait que notre pays est le centre du monde qui sert de référence pour toute évaluation – on commence à sortir un peu de gré ou de force de cet univers mental mais demain n’est pas la veille.)
- La primauté accordée au critère de l’émotion dans tout choix est effectivement tout à fait prégnante : par exemple dans n’importe quel JT ou émission, ce terme revient constamment comme un serpent de mer. Il y aurait beaucoup de choses à dire à ce sujet mais je pense que les études sociologiques actuelles se sont déjà longuement penchées sur cette question – qui, personnellement m’énerve au plus au point. Je ne le compte même plus. Comme dit, ‘ ça me tue’.
Ce que je pointe, c'est un autre pb qui, à ma connaissance, émerge pour la première fois, mettons dans le monde occidental : le refus de faire travailler ses méninges devient pour plus d’un jeune un idéal. Le paradoxe est qu’on croit penser cependant sans faire fonctionner son cerveau. Je fais ce qui me plaît, mon plaisir est mon critère de jugement et par suite de discernement de ce que je réalise ou non. De plus les élèves en question, qui pèsent de plus en plus sur toute la vie de l’école, érigent cette conception en pouvoir de coercition.
L’effort requis pour réfléchir et penser est rejeté. Nous sommes loin des pbs issus de choix portant sur des options politiques, syndicales ou religieuses.
Comme me l’a une fois dit un jeune, très tranquillement, avec le sourire, il y a déjà une douzaine d’années, du haut de ses 15 ans : « vous pensez comme ça, vous en avez le droit, vous êtes libre, moi, je suis libre aussi et je ne pense pas du tout comme vous. »
Et voilà aucun développement - pour la première fois de ma vie, j’avais cependant été officiellement autorisé par un jeune ado très sympathique au demeurant, à penser autrement.
Mais j’étais un animal étrange - qui n’avait pas eu le droit d’expliquer son opinion.
De ce fait, sans vouloir étaler un savoir dans les neurosciences que je ne possède pas, j’insiste sur cette situation imposée qui écarte l’entretien du cerveau en tant qu’organe vital. Et ce qui n’est pas fait durant l’adolescence, après ce sera trop tard : la machine sera rouillée avant l’heure, sans même avoir véritablement servi, sans avoir été exploitée comme l’outil merveilleux dont les scientifiques ne font que commencer à connaître les capacités inouïes.
De plus, toute la richesse de la neuroplasticité ( = la faculté pour le cerveau de changer = qqchose que tout le monde peut faire de lui-même ) risque de rester un trésor méconnu , éteint.
En conclusion je retiendrai le mot utilisé par les dentistes lorsqu’ils expriment leur crainte.
Pourquoi donc ? Quand ils voient l’état de la dentition des gens, ils disent qu’elle évolue vers une grande fragilité et petitesse, parce que nous mangeons de plus en plus du mou.
Une génération molle ?
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