lundi 15 mars 2010

Elections régionales

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Rarement un peuple aura eu un goût aussi prononcé pour le suicide que le peuple français. Les Français viennent à une très grosse majorité de signifier qu'ils abandonnent leur destin à des partis qui ont ruiné leur patrie, et qu'ils leur laissent parachever leur oeuvre de ruine économique, politique et morale.
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A la vue des résultats, je ne puis m'empêcher de penser à TOCQUEVILLE. Comme l'indique François L'YVONNET dans la roborative préface qu'il consacre à la dernière partie de l'oeuvre capitale de TOCQUEVILLE, De la démocratie en Amérique, ce magistrat intègre, lucide et prophétique a bien vu que "c'est l'égalité et non la liberté qui constitue le caractère distinctif des démocraties, et que la tendance à l'égalisation des conditions (à la fois formelle et réelle) comporte un risque pour la liberté". Et L'YVONNET cite ceci, qui est terrible et commente à merveille les résultats d'hier soir :
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Je vois une foule immense d'hommes semblables et égaux qui tournent sans repos sur eux-mêmes pour se procurer de petits et vulgaires plaisirs dont ils remplissent leur âme.
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Le préfacier poursuit l'analyse de l'ouvrage. "L'égalité des conditions provoque l'atomisation du corps social, le repli sur eux-même des individus, gagnés par la passion du bien-être et la multiplication des fortunes médiocres... Une tendance à la moyennisation de la société qui finit par engendrer le conformisme des moeurs et des opinions. S'installe alors une sorte de servitude douce, la tyrannie d'une majorité - nécessairement oppressive à l'égard de la minorité - qui s'en remet à l'Etat tout puissant, à charge pour lui d'étendre l'égalité des conditions et de veiller à la vie paisible de chacun." Et L'YVONNET cite de nouveau TOCQUEVILLE :
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Au-dessus de ceux-là s'élève un pouvoir immense et tutélaire, qui se charge seul d'assurer leur jouissance et de veiller sur leur sort. Il est absolu, détaillé, régulier, prévoyant et doux.
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Voilà où nous en sommes. Après la destruction systématique des corps intermédiaires par la Révolution, il n'y a plus rien entre l'Etat tout puissant, et le citoyen. On pourrait multiplier les cas de ceux de nos compatriotes qui ont été broyés par cette machine gigantesque, inhumaine et froide comme un serpent. Il est urgent de récréer ces corps intermédiaires, et de donner au principe de subsidiarité politique une vigueur épuisée par les chimères de l'idéologie soi-disant (je ne dis pas prétendue) démocratique. Car à la différence de l'Amérique de TOCQUEVILLE, la France n'est qu'un immense agglomérats d'esclaves qui se vautrent dans la servitude volontaire, s'y complaisent et en réclament encore. Mais je reviendrai sur ce point en commentant justement Le despotisme démocratique, dernière partie de De la démocratie en Amérique. J'y ajouterai quelques éléments d'un livre fort intéressant, dont je conteste toutefois certaines analyses, qui s'appelle Les Pathologies de la démocratie, et que l'on doit à Cynthia FLEURY.
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2 commentaires:

Geneviève CRIDLIG a dit…

Je me pose 3 interrogations :
1/ « la France n'est qu'un...= Un constat désabusé et expéditif qui présente une généralisation forcément inexacte et dont la réception m’est fort désagréable car trop méprisant. = ???

2/ Comme d’habitude, je suis allée me renseigner > je vous transmets l’une des modifications de Wikipédia dont j’ai particulièrement apprécié la pertinence mais qui me fait poser cette question : n’est-ce pas là la ‘ cause’ de ce grand mouvement d’absentéisme qui va en progressant aux dernières élections ???
3/+ mais j’ajoute : la solution proposée parmi d’autres soit le rétablissement des corps intermédiaires serait-il suffisant ?

" Enfin le deuxième risque des sociétés démocratiques selon Tocqueville est le despotisme démocratique. Les hommes démocratiques sont dominés par deux passions : celles de l'égalité et du bien-être. Ils sont prêts à s'abandonner à un pouvoir qui leur garantirait de satisfaire l'un et l'autre même au prix de l'abandon de la liberté. Les hommes pourraient être conduits à renoncer à exercer leur liberté pour profiter de l'égalité et du bien-être. Les individus pourraient remettre de plus en plus de prérogatives à l'État. Dans les sociétés démocratiques, il est plus simple de s'en remettre à l'État pour assurer une extension de l'égalité des conditions dans le domaine politique qui est encadré par les lois. C'est l'État qui a pour charge leur élaboration et leur mise en œuvre.
A partir de là, l'État peut progressivement mettre les individus à l'écart des affaires publiques. Il peut étendre sans cesse les règles qui encadrent la vie sociale. Le despotisme prend la forme d'un contrôle. On arrive ainsi à l'égalité sans la liberté.
La société démocratique transforme le lien social en faisant émerger un individu autonome. C'est une source de fragilisation qui peut déboucher sur une attitude de repli sur soi. Tocqueville va montrer que l'individualisme peut naître de la démocratie. La démocratie brise les liens de dépendance entre individus et entretient l'espérance raisonnable d'une élévation du bien-être ce qui permet à chaque individu ou à chaque famille restreinte de ne pas avoir à compter sur autrui. Il devient parfaitement possible pour son existence privée de s'en tenir aux siens et à ses proches.
« L'individualisme est un sentiment réfléchi qui dispose chaque citoyen à s'isoler de la masse de ses semblables de telle sorte que, après s'être créé une petite société à son usage, il abandonne volontiers la grande société à elle-même ».
En choisissant de se replier sur ce que Tocqueville appelle « la petite société », les individus renoncent à exercer leurs prérogatives de citoyen. L'égalisation des conditions en rendant possible l'isolement vis-à-vis d'autrui remet en cause l'exercice de la citoyenneté. Le premier danger de la société démocratique est de pousser les citoyens à s'exclure de la vie publique. La société démocratique peut donc conduire à l'abandon de leur liberté par ses membres, parce qu'ils sont aveuglés par les bienfaits qu'ils attendent de toujours plus d'égalité directement ou indirectement. Tocqueville souligne que l'égalité sans la liberté n'est en aucun cas satisfaisante. L'accepter c'est se placer dans la dépendance.
Selon Tocqueville, une des solutions pour dépasser ce paradoxe, tout en respectant ces deux principes fondateurs de la démocratie, réside dans la restauration des corps institutionnels intermédiaires qui occupaient une place centrale dans l'Ancien Régime (associations politiques et civiles, corporations, etc.). Seules ces instances qui incitent à un renforcement des liens sociaux, peuvent permettre à l'individu isolé face au pouvoir d'État d'exprimer sa liberté et ainsi de résister à ce que Tocqueville nomme « l'empire moral des majorités »."

Philippe POINDRON a dit…

Chère Fourmi, je vous conseille vivement la lecture de la dernière partie de l'ouvrage de Tocqueville sur le despotisme démocratique. La démonstration est absolument imparable, et les faits donnent raison aujourd'hui à ce que notre vicomte disait il y a plus de cent ans. J'ajoute qu'il se déclare partisan de l'égalité, et qu'il trouve certes des qualités à la société aristocratique, mais aussi des défauts irrémédiables, et qu'il lui préfère la société démocratique dont les dérives sont prévisibles, mais remédiables. Il préconise la création de nouveaux corps intermédiaires (mais ça je ne l'ai su qu'après l'écriture de mon billet).
Quand je parle de "La France n'est etc.", je parle de la France dont les médias nous renvoient l'image. J'ai bien pris soin de dire dans un précédent billet que bien des hommes et des femmes travaillent silencieusement à la survie de leur patrie. La France médiatique peut se payer le luxe d'afficher les peoples parce qu'il y a des silencieux qui travaillent, qui transmettent et qui épargnent. Il se peut que cette opinion vous paraisse tranchée, mais elle n'est aucunement méprisante.
J'ajoute que votre citation va exactement dans le sens de ce que j'ai dit ce matin, dans le billet "Tocqueville toujours"