lundi 1 juin 2009

Histoire vécue

Elle s'appelait Caroline. Elle est morte alors qu'elle avait à peine trente ans. Elle attendait un bébé.
C'est ce que m'a raconté son mari, Issa, qui quémandait une pièce à l'entrée du métro.
Donc, j'allais chercher ma baguette quotidienne. Le boulanger que je fréquente fait un pain délicieux. On en perçoit déjà l'odeur à dix mètres de la boutique tant il est bien fait, à l'ancienne. Bienheureuse France qui héberge de tels artisans ! Personne au monde ne sait faire un pain aussi bon que chez nous, sans chauvinisme.
A la bouche du métro, un homme, sans doute d'origine nord-africaine, manifestement fait la manche. Il m'apostrophe. Apostropher, du reste, n'est pas vraiment le mot. Car il parle d'une voix plutôt basse et lasse. Il a l'air accablé.
J'avoue que je supporte de plus en plus mal ces dizaines de sollicitations qui sont faites au passant dans la rue, ou au voyageur dans le métro. Je lui réponds que je ne puis donner à tout le monde et que j'ai atteint pour le mois le quota de ce que j'ai décidé de donner. Il me dit qu'il comprend. Je ne sais pas pourquoi, mais je lui réponds tout à trac : "Attendez-moi là, je vais faire de la monnaie". Il attend.
Baguette en main, je reviens et fais ce que me dit ma conscience. Remerciement ! Et en plus un petit mot que je garde pour moi. Je lui réponds que je n'ai rien fait d'extraordinaire - car il n'y a rien d'extraordinaire - et que je m'efforce de suivre ce qu'a dit Jésus. Voici, presque mot pour mot, ce qu'il me répond :
Mais je m'appelle Jésus, Issa ! C'est le prénom que m'ont donné mes parents. Je viens de perdre ma femme, Caroline. Elle attendait un bébé. Elle est morte des suites d'un traitement inadapté à l'hôpital de X... Elle est morte en disant : "Je pense à toi mon bébé ; je vais au paradis ; je serai avec toi." (La douleur est sèche, sans larme, effroyable et poignante.)
Je suis kabyle. J'ai été baptisé par Monseigneur (il utilise en réalité le mot "Maître") LUSTIGER à la cathédrale Notre-Dame.
Issa est momentanément privé de logement, car son appartement est sous scellé. La police enquête sur la mort de sa femme.
Nous faisons un bout de chemin ensemble. Nous parlons. Il m'explique qu'il a créé une petite entreprise. Et il me dit : "Je vais pouvoir prendre un café avec ce que vous m'avez donné". Nous nous quittons sur le mot qu'il m'adresse : "Que Dieu vous garde".
Je n'ai pu m'empêcher de penser à la Parabole du jugement : "Ce que vous avez fait au plus petit d'entre les miens, c'est à moi que vous l'avez fait". J'avais rencontré Jésus.
Comprenez bien, je vous en supplie, que je ne désire pas me mettre en scène, mais simplement donner un exemple de ce qui peut advenir quand on reconnaît en l'autre son semblable, et qu'on prend la peine de l'écouter. Il y a sans doute des milliers d'Issa que nous croisons sans les voir. Peut-être pourrions-nous y faire un peu plus attention, et sans forcément donner de l'argent, leur faire le don d'une parole fraternelle.

3 commentaires:

olibrius a dit…

Je vous l'ai déjà dit, pas la peine d'aller à perpete, m^me à strasbourg, jésus vous le trouvez tout à côté de chez vous.

C'est un beau clin d'oeil. C'est du vrai, du bon, super!!!

Philippe POINDRON a dit…

Cher Olibrius, merci pour votre commentaire.
C'est vrai, l'histoire est belle et je dirai même, pour moi, bouleversante. Mais il y a aussi à strasbourg des belles choses qui se vivent. J'en parlerai à mon retour, car j'y vais les 5 et 6 juin, pour quelque chose d'épatant.
Amicalement

olibrius a dit…

hélas!