dimanche 31 mai 2009

Un petit monde

Tant pis si je vous bassine avec mon cher Marcel LEGAUT. Mais je continue à me délecter, non, à me nourrir, d'une pensée forte, et de l'exemple d'un homme qui a été au bout des exigences que lui imposait sa conscience d'homme libre et donné à Celui qui fut le tout de sa vie, en profonde relation avec son vécu de père et d'époux.
Or donc, je lis cet extrait d'une lettre (elle faisait partie des Lettres des Granges, non publiées, diffusées seulement sous forme de feuillet ronéoté à ses proches et à ses amis) sur l'Université ; quand vous l'aurez lu, vous comprendrez mieux tout ce que je m'efforce de vous raconter, souvent maladroitement, mais en tout cas authentiquement :
Notre monde universitaire et intellectuel est un univers aux frontières très précises ; c'est un univers fermé et relativement petit. On ne le sait pas quand on n'en est jamais sorti. On le découvre avec étonnement lorsque les événements forcent, au moins pour un temps, à vivre en dehors. C'est une révélation d'autant plus inattendue que dans notre milieu, on se flatte d'atteindre l'universel par l'intelligence et que, sans pousser trop loin notre pensée, nous pourrions être tentés de croire que notre monde universitaire et lettré flotte un peu sur les autres classes sociales, comme le faisait jadis l'Esprit sur les eaux. Notre temps d'ailleurs est déjà caractérisé par l'importance universelle que doctes et ignorants accordent à l'instruction que nous donnons dans nos écoles ; aussi par la place éminente que tiennent les professeurs dans le gouvernement et l'administration publique ainsi que tous les intellectuels capables de s'exprimer – je pense en particulier aux avocats et peut-être aux médecins. Et cependant, il faut le dire, ce monde intellectuel est un monde petit et peu compétent sur beaucoup de questions qu'il ne touche que par l'abstraction de ses pensées et de ses imaginations. (Lettre des Granges N°3.)
Et bien je crois bien m'être débarrassé de ce préjugé de vanité. Je l'ai dit, je ne renie rien du nécessaire travail de la pensée et de l'intelligence qui a été le lot de ma vie professionnelle, des années durant. Mais je ne crois pas à la dissymétrie dans la relation : celui qui donne et celui qui reçoit. Non point ! Je vous raconterai demain une histoire qui m'est arrivé ce matin alors que j'allais chercher ma baguette matutinale chez un boulanger comme on n'en fait presque plus. Je me suis surpris moi-même de mon audace, et j'en ai reçu une très grande joie. Soyez patient, vous saurez tout demain.

5 commentaires:

Geneviève CRIDLIG a dit…

"Notre temps d'ailleurs est déjà caractérisé par l'importance universelle que doctes et ignorants accordent à l'instruction que nous donnons dans nos écoles ; aussi par la place éminente que tiennent les professeurs dans le gouvernement et l'administration publique ainsi que tous les intellectuels capables de s'exprimer …"

J’ai été interpellée par cette opinion qui, si elle était juste durant le temps de l’activité professorale et littéraire de M. Légaut qui a certes exercé une grande influence sur les intellectuels chrétiens de la première moitié du XXè siècle et peut-être un peu après, me paraît aujourd’hui tout à fait déphasée et déconnectée de la réalité scolaire.
Il devient banal voire inutile, pour tous les acteurs de ce qu’on a majestueusement appelé « la communauté éducative », de dire « que notre temps (celui - disons-le depuis les années 70 pour ne pas dire 68 ) n’est plus caractérisé par etc. . »

Au contraire et plus encore, il est souvent caractérisé par le mépris plus ou moins avoué et plus ou moins exprimé envers le savoir et envers ceux qui ont charge de le transmettre.
Le professeur est ,dans bien des cas et des régions, devenu l’ennemi à abattre.
Les élèves qui souffrent le plus dans le système actuel sont ceux qu’on pouvait « autrefois « appeler « intelligents » sans crainte d’être taxé de discrimination négative : désormais ce sont des « bouffons » ! Et doivent baisser la tête, supporter les sarcasmes et moqueries de leurs camarades car ils sont trop bêtes pour encore travailler et en plus réussir !
Quel calvaire ! Quel calvaire pour nombre d’enseignants ! Il aura fallu plus de 20 ans pour que quelques livres et émission fassent état de cette situation.

Il devient souvent de bon ton de refuser de travailler que soit en 4ème ou en terminale !
J’exagère ? Que non ! Un professeur de maths - dans une bonne institution chrétienne de campagne - me disait encore la semaine dernière son désarroi et sa lassitude de plus en plus grande devant des classes entières de 3èmes qui se fichent de tout, n’ont plus envie d’apprendre ni de progresser. « Il faut tout leur donner – même aux « bons ». Pas d’intérêt pour une réflexion personnelle qui leur permettrait de trouver les résultats,
plus de volonté de recherche.
Maintenant je ne fais que du » basique » - rien au-delà !
J’ai beau leur dire que leur cerveau est un muscle qu’ils doivent faire fonctionner à leur âge pour qu’ils puissent continuer leurs études quelles qu’elles soient. Non ! Ils ne veulent plus réfléchir et surtout pas plus de 20’. Ne peuvent plus maintenir leur attention très longtemps donc je dois changer d’activités tout le temps ! »

En fait c’est la mode du zapping partout.
Quant à son mari qui dirige un lycée, il lève les bras au ciel devant le niveau des Secondes qui déboulent…
Et sa conclusion rejoint la mienne : que vont-ils devenir professionnellement ?
Quels métiers pourront-ils encore remplir ? Et qui exercera les métiers de responsabilité dans les divers secteurs de l’économie ?

Donc M. Légaut, tout comme ses concitoyens, avait une certaine vision qui est exacte mais datée. Ce n’est pas de sa faute.
[Comme il est décédé il y a une vingtaine d’années, il aura sans doute perçu les pbs montants de « l’Education nationale » et compris également, je pense, que l’on ne peut plus « sortir » une expression telle ‘’doctes et ignorants’’ sans se faire lyncher…]
Il semble cependant que ses œuvres retrouvent une certaine aura.

Je ne sais pas exactement : j’ai lu 2 de ses livres vers 14-16 ans … Je ne sais plus lesquels. Je me souviens que j’avais bien aimé : comme un parfum de nature et de vrai qui m’est resté.
Quand on lit, on mange un peu de rêve…
Il faudra que je le redécouvre. C’est promis.

Philippe POINDRON a dit…

Chère Fourmi,

Vous avez raison et tort à la foi. Car le constat de Marcel LEGAUT ne vise pas la masse, mais les élites, qui elles, surtout celles qui se réclament du statut d'intellectuel, se font une très haute idée de leur état. Encore aujourd'hui, je lisais dans un Magazine (le Point ou l'Express, je ne sais plus) la description d'équipes dirigeantes de grandes entreprises, et tous ceux que nommaient et analysaient le journaliste, voyaient à leur nom, accolés les diplômes (Harvard, HEC, ENA,etc.)dont ils pouvaient se prévaloir. C'est bien là, selon moi, le drame. L'élite (politique, industrielle et culturelle) confisque le pouvoir par le biais des diplômes, du savoir et de de l'érudition et se moque du niveau moyen d'éducation de la masse, tout juste bonne à hurler en coeur, au Parc des Princes, ou au Stade de France, sa joie quand son champion marque un but ou un essai. Elle peut ainsi continuer de dominer la société, sans partager le pouvoir avec ceux de la masse qui ont les aptitudes et talents pour eux aussi apprendre, connaître, et s'élever dans la hiérarchie sociale, certes, mais surtout grandir en humanité.

olibrius a dit…

Je ne vais pas trés souvent hurler au stade de foot, mais j'ai quand même trés souvent du mal à vous suivre; il va falloir que jachète un nouveau dictionnaire, il se fatigue beaucoup.

Geneviève CRIDLIG a dit…

Pas d’accord pour cette réexplication : dans la phrase citée, M. Légaut vise la masse :
cf. l’expression assez triste qui divise le peuple, donc la masse , selon le seul critère du savoir [ en ne prenant même pas appui sur ces dénominations judicieuses qui appartiennent à notre temps de la fin du 20è : le savoir faire et le savoir être] c’est - à -dire « les doctes et les ignorants » = l’élite et la masse ? Je mets un point d’interrogation parce que l’illustration qui suit dépeint l’élite comme ayant le rênes du pouvoir au détriment de la masse qui se délecterait dans des plaisirs faciles.

Or mon modeste essai d’analyse tendait à montrer que le problème actuel est celui du traitement de l’intelligence, par conséquent de la formation de tout un chacun mais aussi de l’élite – parce qu’il faut bien des gens qui doivent en poste de direction et de responsabilité. Et que les jeunes qui se préparent à entrer dans ces filières évoquées se trouvent sur une ligne de départ bien plus fragile que leurs prédécesseurs, avec des déficiences intellectuelles, comportementales inattendues dans ces horizons réservés à une élite qui n’en aurait plus guère les moyens. – pour une bonne part évidemment car il existe bien sûr des jeunes qui tiennent le cap mais faut les chercher.

Or c’est là le noeud : comment va-t-on arriver à pourvoir ces postes ? Que cela s’appelle élite ou non.
D’autre part cette élite dont on parle est-elle si élite que cela dans sa manière de fonctionner, de vivre sa vie d’élite ? Il y aurait beaucoup de choses à dire, dans tous les domaines : financier, économiques, politiques, familiaux etc. Par exemple à qui doit-on le mur de la crise dans lequel on fonce tous, pas aux soi-disant « ignorants » mais à des « doctes ». Et sans entrer dans plus de détails, je pense que les objets de leur délectation peuvent être de qualité comme ceux de la masse ou de médiocre ou superficielle consistance. N’irait-elle pas aux matchs – peut-être de tennis ou dans telle boîte branchée ? ou ne se livrerait-elle pas à des activités pourvoyeuses de prestige aux yeux du clan ?
Le moteur peut être identique.

Je crois qu’il faut vraiment nuancer, affiner l’analyse. La nature, les composantes, les critères d’entrée dans les différentes « castes » de notre chère société française ont changé depuis l’époque de M.Légaut. On ne peut plus prendre les mêmes items et caser les gens dans des cases préexistantes.
Eh oui, nous vivons dans un régime de castes presque à la manière indienne : on s’y perpétue effectivement - mais jusqu’à quand ?
( NB. Phénomène pas forcément biologique. J’ai entendu récemment un prêtre dire lui-même que les prêtres formaient une véritable caste.)

Le nouveau problème, je le répète, c’est celui de l’exercice de l’intelligence, de l’adhésion au sens du travail (de quel ordre que ce soit : l’opposition manuel / intellectuel vole en éclat.) et de la volonté d’acquérir un savoir spécifique en chute libre dans la nouvelle jeunesse: dans ce cas, ce qui compte ce n’est pas la connaissance mais l’obtention d’un diplôme, point barre.
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Le risque qui nous attend, c’est de voir arriver sur le marché à tous les niveaux, y compris dans les filières d’exception, des gens pas si exceptionnels que ça. Mais qui continueront à former une bulle.

A moins que ?


Dernier NB : Je commence à me poser un problème existentiel : je ne suis pas dans la "masse soi-disant ignorante" et pourtant moi aussi j'applaudis aux buts de l'Equipe de France (à la télé par contre) j'ai vibré comme nombre de gens lors la Coupe du monde de foot , je suis donc certains matchs de foot avec une émotion certaine mais aussi le dernier match de tennis avec cette victoire inattendue d'un presque inconnu.

Je n'appartiens ni à l'élite ni à la masse telles qu'elles sont définies.
Où suis-je ?
Décidément toute la catégorisation est à revoir.
A mon sens.

Philippe POINDRON a dit…

Chère Fourmi,

Pour être clair, je dirai que ces catégorisations ne sont pas les miennes ; je n'ai cessé de parler de la symétrie de la relation. Cette catégorisation est celle de l'opinion publique véhiculée par les médias. LEGAUT a bien montré, en devenant paysan, qu'il ne partageait pas l'avis des puissants, des doctes et des savants.
Mais je vais poursuivre ma réflexion.