mercredi 8 septembre 2010

Scène de la vie ordinaire

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Juste avant de produire un billet plus important, je voudrais vous raconter une toute petite histoire. Certes, elle est minuscule et elle a un caractère apparemment anecdotique, mais certainement une haute valeur symbolique.
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Tout près de chez moi, il y a un bon Restaurant. Il est tenu par Laurent, un jeune homme d'un peu plus de 30 ans. Laurent a été l'élève de la célébrissime école hôtelière de la Rue Ferrandi à Paris, puis a fait ses premières armes dans des restaurants prestigieux, dont le Pré Catelan et un excellent établissement londonien. Il a ouvert son restaurant il y a trois ans, et il rencontre un succès mérité. Il s'est lourdement endetté, a pris des risques et travaille d'arrache-pied avec Amandine, sa compagne.
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Je le croisais hier soir. Nous parlions des grèves qui le mettaient hors de lui. Et il me confiait ceci qui est stupéfiant. En trois ans d'exercice, il a eu 14 serveurs différents, dont le salaire était de 1.600 euros nets par mois à quoi s'ajoutaient les pourboires, et deux jours de repos par semaine, outre l'avantage en nature que représentent deux repas, pris dans les propositions du restaurant, par jour. Mais tous reculaient devant le travail très prenant du service. Il me racontait l'histoire de cette jeune femme qui, du jour au lendemain, le quitte, le laissant sans personnel le jour de l'accouchement d'Amandine, pour aller comme serveuse au Buffalo Grill d'une banlieue de l'Est de Paris, pour 1.200 euros par mois, mais 32 heures de travail par semaine. Enfin, il me disait que le pôle emploi a dans ses cartons 200.000 offres d'emplois dans l'hôtellerie, 200.000 offres qui ne trouvent pas de candidats.
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Je vous laisse tirer vous-même la conclusion de cette histoire qui laisse rêveur.

3 commentaires:

DOUME a dit…

Cher Philippe,
Il y a malheureusement un pourcentage trop important de fainéants en France.Lorsqu'on lit le livre de Zoé Shepard "Absolument Dé-bor-dée", même si seul un quart de ce qu'elle écrit est vrai, les réflexions du restaurateur ne devraient pas t'étonner.Pas étonnant non plus que le pourcentage de jeunes rêvant d'entrer dans la fonction publique soit si élevé!
Amicalement.

Geneviève CRIDLIG a dit…

Idem pour les offres d'emplois dans les métiers comme ceux du bâtiment ou de boucherie entre autres: je ne connais pas les chiffres exacts des offres d'emplois dans ces secteurs dans lesquels il faut un peu se secouer -et sans baladeur- mais je rencontre régulièrement des patrons en quête désespérée d'apprentis ou d'ouvriers.
Alors les histoires de chômage... : dans ma contrée il vaut mieux ne pas trop s'appesantir sur ce sujet > une réponse identique revient: quand on veut travailler, on trouve de l'embauche. Mais évidemment il faut travailler.

Mon fameux électricien qui est enfin venu réparer ma sonnette bosse 7j sur 7 - y compris le dimanche consacré habituellement pour ces patrons de petites entreprises au travail administratif et aux devis. Il me dit de plus ne partir en vacances qu’une semaine par an tellement il a de chantiers -
A ma réaction laissant supposer qu'on peut toujours choisir et gérer les demandes, il me répond qu'il ne peut refuser et que d'autre part, 8 jours lui suffisent tant il vit dans son travail qu'il aime. Une fois, m'a-t-il dit, il est parti avec sa famille 15 jours mais au bout de la semaine il s'embêtait déjà... et ce n'est pas un cas unique. En tout cas cet artisan rayonne. Car il a un secret.

Les tentatives de transformer le travail qui construit la personne en une tâche insipide, ennuyeuse, toujours "pénible», de trop, et de toute façon qu'il faut quitter au plus vite pour s'épanouir et se réaliser, ce qui ne peut se réaliser qu’ailleurs, dans le divertissement, les loisirs, les voyages etc. est une vision extérieure qui tend à imposer son image.

Mais ce que je vois, c'est que cette conception ronge les gens, les rend aigres, gris et finalement tristes.

Tandis que, si vous voyiez la vie extraordinaire dans mon petit garage de montagne! C'est un lieu de travail rude, oui, mais aussi un lieu d'accueil et de rencontre. Les gens aiment y passer rien que pour une causette avec tel mécanicien plongé dans le cambouis.
Chaque fois que j'y vais, je vois toujours des personnes qui viennent pour "parler".

Avec la piscine que j'ai déjà déjà évoquée, voilà un autre lieu qui reste pour continuer à "tisser" des liens...

Il y a aussi le temps des funérailles et les cimetières : un troisième lieu de grande sociabilité.

Mais je m'éloigne du sujet : celui-ci mériterait une attention particulière.

Roparzh Hemon a dit…

Cher auteur,

voila les pensées que m'inspire votre petite histoire :
dans le paradigme désir-effort-réalisation-bonheur, le deuxième terme n'est pas un ajout odieux des exploiteurs capitalistes. D'ailleurs sa suppression engendre culpabilité, mal-être, indécision ...

Amicalement,

E.D.