mardi 27 mai 2014

27 mai 2014. Nouvelles de la Résistance : l'Europe des patries n'est pas l'Europe des nations

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Plus que jamais du courage, car ce n'est pas l'ignorance qui nous empêche de devenir vrai, c'est la lâcheté.
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Pas de citation, pas de commentaires aujourd'hui, mais une réflexion sur l'Europe.
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Une lecture hâtive de mes billets pourrait donner à ceux qu'ils intéressent l'impression que je suis contre l'Europe. Rien n'est plus faux. Je suis pour, tout à fait pour une réalité qui a jadis existé mais se trouve aujourd'hui à l'agonie par la faute des clercs, de ces intellectuels bernanosiens nourris du venin distillé par VOLTAIRE et ses "frères".
Le hasard et une amie très chère ont fait que je dois donner au mois de septembre aux Universités de MONTPELLIER une conférence sur Nicolas DORTOMAN, un médecin de la Renaissance qui a reconnu l'intérêt thérapeutique des eaux thermales et des boues de BALARUC-LES BAINS.
Comme je ne connaissais pas ce médecin, il a fallu que je m'enquiers et que je commence par lire la première traduction en français de son ouvrage "De causis et effectibus thermarum Belilucanarum parvo intervallo a Monspeliensi urbe distantium. (Numérisé sur Bibliothèque Municipale de Lyon-Part-Dieu via BNF Gallica.)Lugduni, apud Carolum Pesnot, MDLXXIX". Cette excellente traduction a été réalisée par une équipe de chercheurs et universitaires de l'Université Paul VALERY, j'ai nommé Marie-Françoise DELPEYROUX, Jean MEYERS et Brigitte PEREZ, avec la collaboration de Régis AYATS.
Parler d'un médecin de la Renaissance, c'est inévitablement le comparer à d'autres grands noms de la médecine de l'époque, VESALE, PARACELSE ou Ambroise PARE.
DORTOMAN est né à ARNHEIM, une ville des Pays-Bas situé dans le duché de GUELDRE. Voilà qui ne l'empêche pas de se dire germanus, allemand, de venir habiter à CASTRES, et de finir comme professeur de médecine à la célébrissime faculté de médecine de MONTPELLIER. Il entretient des relations suivis avec ses collègues européens ; c’est ainsi qu’il dédie son traité à Heinrich STAPEDIUS de COLOGNE, docteur en médecine exerçant à LYON. Georges SALMUTH de LEIPZIG lui envoie une épitre qui célèbre l’excellence de son traité. Ce SALMUTH, quoique de LEIPZIG, est docteur de la Faculté de médecine de MONTPELLIER. Il a beaucoup voyagé en France et en Italie et il est titulaire de la chaire d’Anatomie et de Chirurgie à DRESDE, capitale de l’électorat de Saxe. Christophorus HEINTZEL, primat d’AUGSBOURG compose une élégie sur l’ouvrage de DORTOMAN. Les registres matricules de la Faculté de Médecine de MONTPELLIER y mentionnent sa présence. Un certain Andreas WIDHOLZ d’AUGSBOURG se donne la peine d’écrire un poème sur le même livre. Lui aussi a suivi des cours à la Faculté de médecine de MONTPELLIER, après avoir fait ses études à BÂLE.
On retrouve chez VESALE les trois caractéristiques de l’érudit de la Renaissance : fin connaisseur de l’Antiquité classique, il écrit en latin ; bien que reçu docteur en médecine à l’université de LOUVAIN, il suit des cours de médecine à PARIS ; il fait un séjour à VENISE et gagne ensuite la prestigieuse Université de PADOUE dont la faculté de médecine est l’une des plus réputée d’Europe. Elle lui offre un poste de professeur de chirurgie. Il enseignera aussi à BOLOGNE, puis à PISE. Enfin, il est sujet de l’Empereur, lequel est catholique, et VÉSALE reste catholique. C’est, du reste, au retour d’un pèlerinage en Terre sainte qu’il trouvera la mort dans l’île de ZANTHE, des suites d’un typhus. VESALE est un anatomiste de première grandeur et ses travaux sont encore unanimement appréciés.
PARACELSE est un cas emblématique. Il commence ses études au Collège de BÂLE, fréquente l’université de COLOGNE, obtient son degré de bachelier à VIENNE, puis part en Italie, à FERRARE où il soutient son diplôme de docteur en médecine. Il a probablement fréquenté la Faculté de Médecine de MONTPELLIER, retourne en Italie à BOLOGNE, à PADOUE. Puis il visite la péninsule ibérique, où il s’imprègne de médecine arabe, passe par LISBONNE, et de là, pris par sa passion de la minéralogie (c’est aussi l’une de ses spécialités, ce qui lui permettra d’introduire les substances minérales dans l’arsenal thérapeutique), il gagne la Grande-Bretagne pour y visiter les mines d’étain de CORNOUAILLES et les mines de plomb de CUMBERLAND. Il quitte l’Angleterre pour se mettre au service de l’armée des hollandaise comme médecin militaire. Inlassable voyageur, il va ensuite en Scandinavie où la guerre du Danemark fait rage, gagne les Balkans, puis VENISE, puis de nouveau les Balkans, la Transylvanie, la Hongrie, la Prusse, la Pologne, la Lituanie et finalement la Russie où il partage la vie des Tartares et des Cosaques. Il ira ainsi jusqu’à MOSCOU, puis, en compagnie d’un prince tartare, à CONSTANTINOPLE. Cette courte biographie (empruntée à Rivière) illustre la deuxième caractéristique de l’érudition de la Renaissance. PARACELSE est partout chez lui, il ne rencontre aucune difficulté linguistique, car la langue pratiquée entre érudits est alors le latin. Je ne saurais passer sous silence le fait qu’après un court passage en Allemagne, à TÜBINGEN, puis à FRIBOURG en BRISGAU, où il se heurte à l’hostilité des partisans de GALIEN, il quitte rapidement la ville pour se rendre à STRASBOURG où il rencontre également bien des oppositions en dépit du succès de ses traitements.
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Que nous apprennent ces grands savants ? Qu'ils n'ont pas attendu monsieur BARROSO ou monsieur HOLLANDE pour faire l'EUROPE. Ils y voyagent sans passeport et vont d'une Université à l'autre où on leur offre des postes d'enseignants sans considération pour leur origine ni leur religion. Hélas, l'Europe, est déchirée par les guerres du même nom ; elles inaugurent un long processus de division et d'élaboration d'Etat-Nation, en vertu du principe Cujus regio ejus religio, Tel prince, telle religion. Des savants comme ERASME, FROBENIUS, PARACELSE voient bien le danger et font preuve d'une extraordinaire ouverture d'esprit. Mais le ver est dans le fruit. Peu à peu, les frontières deviennent moins perméables. Le latin, langue savante et qui n'appartient à aucune patrie mais, en indivision, à toutes, va être remplacé par les langues dites profanes : le processus est inauguré par LUTHER à qui l'on doit l'allemand actuel. 
Le désenchantement du monde, si bien analysé par Marcel GAUCHET fait son oeuvre. Peu à peu, le bien commun et indivis qu'est le christianisme va être mis aux oubliettes. Le processus culmine en France avec les Philosophes qui, dans leur pensée abstraite et toute sortie de leur cerveau, vont  élaborer le concept de nation au détriment de celui de patrie. Les hommes de la Renaissance étaient partout chez eux en Europe. Cette commune appartenance à un univers perçu comme unique n'empêchait pas les guerres certes, mais elles en limitaient les effets culturels. C'est parce que la nation a remplacé la patrie que les guerres modernes, ces guerres totales et atroces, ont ravagé l'Europe. Ces guerres étaient les conséquences inéluctables et prévisibles des principes révolutionnaires nés en France au XVIIIe siècle, et développés en pratique à la Révolution.
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Il n'est pas possible de revenir en arrière. Mais il est possible de comprendre (comme le dit si bien dans ses livres Augustin COCHIN) que  le type de société qui, sous l'inspiration des sociétés maçonniques, a pris corps avec la modernité et la post-modernité est responsable des dérives actuelles de l'institution européennes. Une société est toujours la résultante des pensées collectives infusées de gré ou de force dans l'esprit des peuples, de la psychologie des acteurs majeurs de leur histoire et des conditions économiques. Les peuples européens ont dit non aux valeurs véhiculées par les négateurs de la patrie, non aux ego bouffis de leurs dirigeants (le discours de monsieur HOLLANDE, hier soir, était assez typique de cet état d'esprit) et à leur psychologie pervertie par l'amour du pouvoir, non à la mondialisation qui profite à quelques grossiums et, pour l'instant, s'est montrée incapable de répandre sur tous les hommes ses supposés bienfaits.
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L'Europe ne doit pas être l'Europe des Nations, mais celle des patries. Elles doit reconnaître les différences en les surmontant quand elles sont sources de division - je pense à la question linguistique, et à la prépondérance inacceptable de l'anglais dans les institutions européennes - et surtout laisser vivre le principe de subsidiarité. Qu'elle s'occupe, comme jadis l'archiduc Jean d'Autriche à LEPANTE, de défendre son pré-carré contre ceux qui prétendent le lui contester en élaborant une politique de défense et une politique étrangère commune (que l'inénarrable madame ASHTON est incapable de promouvoir, mais ce n'est pas entièrement de sa faute), et qu'elle me laisse cultiver des concombres carrés si j'en ai envie !
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1 commentaire:

Laurence a dit…

Merci Philippe pour cette belle et juste réflexion sur l'Europe.
Tous ces pantins nous auront quand même mis dans un sale pétrin.
Vous avez raison, personne ne vous empêchera de cultiver des concombres carrés à... Balaruc les Bains ? Nous vous rejoindrons !