Vinvin est le pseudonyme de Cyrille de Lasteyrie, auteur, producteur et
comédien. Au Point Virgule à partir du 14 mars pour "Et il est où le
bonheur ?"
Les articles de Vinvin
J'ai atteint un tel niveau
d'exaspération politique que j'ai l'impression d'être au bord du burn out.
Chaque jour je prends directement dans le ventre la honteuse réalité. Je vis dans un pays
malade de partout, avec à sa tête des petits Français, élus par la magie de
tous nos renoncements, assis sur leurs privilèges, vidant les caisses à tour de
rôle et à tours de bras sous nos yeux ébahis, se moquant allègrement de nos
conversations et de nos avis, s'octroyant des primes, des salaires, des taux,
des toits et des avantages généreux, inventant des lois scélérates sous la
panique, chantant la Marseillaise au Congrès de Versailles, la larme à l'oeil
entre deux mises en examen, désertant leur poste à l'Assemblée, démissionnant de
leurs ministères pour retrouver leur mairie, profitant de leur poste, les yeux
dans les yeux, pour placer l'oseille au frais, écrivant des livres de promesses
malodorantes, courant de plateaux en plateaux pour déverser leurs éléments de
langage, vidant le langage de tous ses éléments, bafouant la vérité au profit
du profit, mentant le mardi pour se repentir le jeudi et se représenter le dimanche,
la gueule enfarinée, rasant gratis et sans état d'âme, bénis par leurs
camarades de promotion, coudes à coudes, soudés, calés dans les dorures, au son
de la trompette républicaine lustrée par notre impôt massif et notre dette
souveraine.
J'ai la nausée, elle est là et elle ne
me quitte plus, elle s'intensifie
Je cherche des traces de l'intérêt
général, je ne le trouve pas. Il a été noyé sous les partis, les syndicats, les
associations, les lobbies, les groupes, les intérêts particuliers, les privilèges
des uns qui font les bénéfices des autres. Le blocage est total, les verrous
sont rouillés et les flambeurs continuent de parader devant six millions de
chômeurs, une école qui se délite, une santé attardée, un indice de bonheur qui
s'écroule au 29ème rang derrière le Qatar et une consommation d'anti
dépresseurs qui fait le délice de nos laboratoires, eux aussi bien placés dans
la course aux bien placés. Je dégueule ma peine et je pisse dans un violon.
Comme vous.
Français impuissant à qui l'on fait croire
tous les cinq ans qu'ils ont leur destin en main, comme des veaux qu'on mène à
l'abattoir en leur caressant le flanc sous une musique douce pour faciliter
l'anesthésie. Cinq ans à nous déchirer pendant qu'une petite bande de petits français
joue avec nos vies, nos économies, nos rêves de bonheur simple et de paix
sociale. De temps en temps ils nous filent un os à ronger, qui d'un mariage
pour tous, qui d'une loi de renseignement, qui d'une déchéance ou d'une
indignité, et nous sautons dessus comme prévu, en bons petits soldats.
Ils nous divisent à l'intérieur de nos
familles, à l'heure où nous devrions plus que jamais nous aimer. Je suis écoeuré et
perdu, silencieux, tétanisé par le sentiment d'impuissance. Les gens comme moi
n'appartiennent à aucun intérêt particulier, hors celui de vivre bien ensemble,
sans se déchirer, sans se méfier les uns des autres, tranquillement vivants
sans faire de vague. Mais ça ne se passe plus comme ça... Cet hiver, l'un des
nôtres est mort à trois cents mètres de l'Elysée. Je dis bien l'un des nôtres.
Un membre du village, un cousin de cousin, certainement. On l'a laissé crever
comme un rat aux pieds du Palais. Sans domicile. Pendant ce temps-là l'Élu
assistait à des matchs de rugby et commémorait les chrysanthèmes, s'asseyait
sur l'Histoire pour laisser une trace, de frein. Je n'en veux plus, de ces
simulacres d'un temps passé et révolu.
Je ne veux plus d'un homme qui dit
"moi je", il est temps que nous disions Nous. Aucune raison morale,
technique et même de bon sens, qu'un seul homme du haut de ses petits
arrangements entre amis, puisse décider d'envoyer le pays dans la guerre, et
même de nommer la guerre, sans que nous, NOUS, ayons dit qu'il le pouvait.
Aucune raison de modifier notre constitution sur l'autel de la peur. Aucune
raison de prendre seul des responsabilités plus grande que lui. Sommes-nous
donc fous d'oublier sans cesse, de fermer les yeux, comme ces femmes battues
qui voudraient fuir mais ne le peuvent pas, prisonnières d'une peur qui les
paralyse? Si peu de choix entre l'incompétence, la malhonnêteté et la
résignation ? Nous irons bientôt, en 2017, comme des moutons sous morphine,
choisir entre trois personnages, glissant dans l'urne le nom d'un comédien,
maquillé, média-traîné, porté par des intérêts qui nous sont étrangers. Le goût
des jeux, même sans le pain, nous donnera quelques temps notre dose
d'adrénaline et comblera notre sens du débat. Le lendemain, les trois quarts de
la population auront la gueule de bois et retourneront tête baissée, vaquer à
leurs espoirs corrompus, jusqu'en 2022.
J'ai perdu le goût de ce cirque. Le pays
est au bord du burn-out et à la fin
de cet article, je ne sais toujours pas ce que je peux faire. Cercle vicieux et
vertigineux. Ce qui me fait peur, c'est ma propre résignation et cette colère
stérile qui ne fait qu'engendrer de la colère stérile. À quel moment la somme
de ces colères pourra-t-elle produire un son commun, un premier pas vers une
remise au goût du jour de notre dignité ?
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