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LES CATHÉDRALES VUES PAR HUYSMANS.
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"Toujours penchée sur le grabat des
âmes, Elle lavait les plaies, pansait les blessures, réconfortait les
défaillantes langueurs des conversions. Par delà les âges, Elle demeurait
l’éternelle orante et l’éternelle suppliée ; miséricordieuse et
reconnaissante, à la fois ; miséricordieuse pour ces infortunes qu’Elle
allégeait et reconnaissante envers elles. Elle était en effet l’obligée de nos
fautes, car sans le péché de l’homme, Jésus ne serait point né sous
l’aspect peccamineux de notre ressemblance et Elle n’aurait pu dès lors être la
génitrice immaculée d’un Dieu. Notre malheur avait donc été la cause initiale
de ses joies et c’était, à coup sûr, le plus déconcertant des mystères que ce
Bien suprême issu de l’intempérance même du Mal, que ce lien touchant et
surérogatoire néanmoins qui nous nouait à Elle, car sa gratitude pouvait
paraître superflue puisque son inépuisable miséricorde suffisait pour
l’attacher à jamais à nous.
Dès lors, par
une humilité prodigieuse, Elle s’était mise à la portée des foules ; à
différentes époques, Elle avait surgi dans les lieux les plus divers, tantôt
sortant ainsi que de sous terre, tantôt rasant les gouffres, descendant sur des
pics désolés de monts, traînant après elle des multitudes, opérant des
cures ; puis, comme lasse de promener ces adorations, il semblait qu’Elle
eût voulu les fixer à une seule place et Elle avait presque déserté ses anciens
douaires, au profit de Lourdes."
"Prenons Notre-Dame de Paris ;
elle a été rafistolée et retapée de fond en comble ; ses sculptures sont
rapiécées quand elles ne sont pas toutes modernes ; en dépit des
dithyrambes d’Hugo, elle demeure de second ordre ; mais elle a sa nef, son
merveilleux transept ; elle est même nantie d’une ancienne statue de la
Vierge devant laquelle s’est beaucoup agenouillé M. Olier ; eh bien, l’on
a tenté de ranimer, dans son vaisseau, le culte de Notre-Dame, de déterminer un
mouvement de pèlerinage et tout y est mort ! cette Cathédrale n’a plus
d’âme ; elle est un cadavre inerte de pierre ; essayez d’y entendre
une messe, de vous approcher de la Table, et vous sentirez une chape de glace
tomber sur vous. Cela tient-il à son abandon, à ses offices assoupis, à la
rémolade de fredons qu’on y bat, à sa fermeture, hâtée le soir, à son réveil
tardif, bien après l’aube ? cela tient-il aussi à ces visites tolérées
d’indécents touristes, de goujats de Londres que j’ai vus, parlant tout haut,
restant, au mépris des plus simples convenances, assis devant l’autel, alors
que l’on donnait la bénédiction du Saint-Sacrement, en face d’eux ! Je ne
sais, mais ce que je certifie, c’est que la Vierge n’y réside pas jours et
nuits, toujours, comme à Chartres."
J-K.
HUYSMANS.
La
cathédrale. (Pages 9-10 et 96).
Librairie
Plon, Plon et Nourrit Éditeurs, Paris, 1915.
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COMMENTAIRES.
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Dans la
première citation HUYSMANS parle avec flamme de celle qui veille sur nous. J’ai
reçu plusieurs coups de téléphone hier soir, et je ne sais pourquoi l’on s’adressait
à moi pour s’épancher et dire sa souffrance, son étonnement, sa colère devant
cet incendie de l’une des plus anciennes cathédrales de France. HUYSMANS nous rappelle
dans son inimitable style qu’elles sont lieux d’où l’invisible présence de la
Théotokos nous inonde de sa douceur.
Dans la
deuxième citation, notre imprécateur, déjà, fait le procès de ces foules
indélicates qui ne parviennent pas à respecter le silence de Dieu (autre nom de
Marie portant l’enfant Jésus). Il souligne à juste titre la beauté inégalée de
la nef de Notre-Dame, mais s’étonne du peu de ferveur des chrétiens, de leur peu d’empressement
à la peupler le sanctuaire de leurs prières, de leur encens, de leurs supplications.
Je n’ai rien
à rajouter, tant l’événement a une ampleur, une signification qui dépasse celui
du fait divers. Je souhaite ardemment que la douleur des indifférents ou des
agnostiques puisse se transformer en un minuscule pas de foi envers la Mère de
miséricorde.
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