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UN
CRI DE DOULEUR DE BERNANOS.
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(a) "Le drame de
l’Europe, le voilà. Ce n’est pas l’esprit européen qui s’affaiblit ou
s’obscurcit depuis cinquante ans et plus, c’est l’homme européen qui se dégrade,
c’est l’humanité européenne qui dégénère. Elle dégénère en s’endurcissant. Elle
risque de s’endurcir au point d’être capable de résister à n’importe quelle
expérience des techniques d’asservissement, c’est-à-dire non pas seulement de
les subir, mais de s’y conformer sans dommages. Car cette décomposition dont je
parlais tout à l’heure aura évidemment une fin. Ce qui se décompose
actuellement sous nos yeux, ce sont les éléments les plus précieux et par
conséquent les plus fragiles de la civilisation. Il n’est malheureusement pas
défendu d’imaginer une civilisation privée de ces éléments au cours d’une
évolution régressive, et finalement stabilisée au point le plus bas. Cette
stabilisation au point le plus bas eût été jadis impossible pour cette raison
que l’humanité moyenne n’aurait pas accepté de vivre dans une civilisation de
cette espèce ; elle s’y serait débattue comme un animal pris au piège.
Elle n’eût probablement pas réussi à l’améliorer, elle l’eût précipité dans le
chaos. La question qui se pose aujourd’hui est de savoir si les techniques
modernes sont capables d’agir sur l’opinion d’une manière assez puissante,
assez continue, pour détruire à la longue, un par un, les réflexes moraux qui
eussent rendu jadis intolérable à l’homme moyen une société déspiritualisée à
l’extrême."
(b) "L’humanité
est-elle menacée de mort, oui ou non ? Ce qu’on veut nous faire prendre
pour la crise du régime capitaliste n’est-elle pas une crise de la civilisation
tout entière ? Non pas que nous ayons jamais pensé à identifier
capitalisme et civilisation. Nous pensons, bien au contraire, que le régime
capitaliste glisse de lui-même, par la pente chaque jour plus rapide du
dirigisme économique, au régime totalitaire, mais il n’y tombera qu’en se
dépouillant de tout ce qui lui restait encore d’humain. Nous croyons volontiers
que la civilisation capitaliste est une civilisation manquée ou ― pour rappeler
le mot heureux de CHESTERTON ― une civilisation chrétienne devenue folle, et
nous comprenons mieux chaque jour que cette folie est la folie furieuse, le delirium tremens. Ce que le
totalitarisme nous propose n’est pas de guérir cette humanité enragée, mais de
l’enchaîner, de l’enchaîner tout enragée à sa besogne totalitaire, à ses plans
quinquennaux, de l’enchaîner à son travail par le milieu du corps, après lui
avoir crevé les yeux, comme jadis un esclave au pressoir à huile, un galérien
au banc de la galère. Non, il ne s’agit pas de détruire les machines, il s’agit
de comprendre que la civilisation des machines favorise à l’extrême le lent et
sûr écrasement des hommes libres par les masses, c’est-à-dire par l’État
irresponsable… l’État irresponsable fait pour trancher tout ce qui dépasse et
broyer tout ce qui résiste, l’État-dieu, le dieu d’un univers sans dieu, qui
sera bientôt un univers sans hommes, rendant ainsi éclatante la mystérieuse
solidarité de Dieu et de l’homme, qui est le plus auguste des mystères
chrétiens. Il ne s’agit pas de former des hommes libres aux dépens des masses,
car les masses ont beau mettre leur confiance dans leur volume et leur poids,
elles ne survivront pas aux hommes libres ; dans une humanité sans hommes
libres, les masses ne tarderont pas à périr comme tombent les feuilles d’un
arbre privé de sève. Il ne s’agit pas non plus de détruire les machines, il
s’agirait bien plutôt de sauver aussi les machines. La bombe atomique
n’est-elle pas précisément une machine à détruire les machines ? Elle est
une machine à détruire les machines. Elle est aussi, elle est essentiellement
une machine à détruire les masses, à les écraser dans le pressoir. Ainsi nous
est-il permis de discerner la vraie nature et les mobiles secrets de cette
sollicitude que le monde affecte en toute occasion pour les masses : c’est
une sollicitude carnassière."
In
Georges BERNANOS.
La liberté, pour quoi faire ?
(Collection Folio, série Essais N°274.) Édition établie et préfacée par Pierre
GILLE.
Gallimard, Paris, 2017 (date du dépôt
légal de cette édition.)
Citation (a), page 164.
Citation (b), page 207.
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UN
IMMENSE ET RAGEUR CONTREPOINT DE PHILIPPE MURAY.
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"[…]. Chacun sait de quoi se sont nourris les enthousiasmes
de la modernité : haine proclamée du passé, lutte contre le vieux monde,
théories de la coupure, etc. Écriture automatique, décomposition de la langue,
chapeau plein de mots découpés de TZARA, etc. La revendication de hic et nunc, l’horreur du passé sous
toutes ses formes de mémoire, la lutte contre le présent comme ordre établi,
ont conduit à l’anticipation permanente d’une promesse de révolution comme
retour à l’époque précosmogonique d’une cosmogonie imaginée. Cette tradition de nouveau ― et là il faut
appuyer sur le mot tradition, tant le nouveau est passé dans les mœurs comme
train-train quotidien, compulsion à innover, radotage ― s’est constitué
rapidement en académisme de l’oubli. Je dis académisme de l’oubli parce que
très vite, il me semble, l’idée qu’on était en train d’oublier quelque chose a
été oubliée. Il y a loin, par exemple, de la conscience très aiguë qu’avait
RIMBAUD d’un dialogue dramatique, en lui, entre l’immémorial et la perte de
mémoire, au ronron satisfait des avant-gardes dans la perte de mémoire vécue
comme anticipation lumineuse. […]."
In
Philippe
MURAY.
Rejet
de greffe. Exorcismes spirituels I. Essais. Quatrième tirage.
Les
Belles Lettres, Paris, 2010. (Page 209.)
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COMMENTAIRES.
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Il
y a une étroite corrélation entre ces trois textes. Au moment où peut se jouer
le sort de l’Europe, il est bon de se rappeler ce que dit BERNANOS, avec cette puissance
qui lui est si personnelle.
Oui, l’homme européen se dégrade, oui, les responsables politiques
participent à cette dégradation, oui ils veulent nous faire oublier, à nous les
peuples, nos traditions, nos histoires, nos luttes et nos haines, nos alliances
et nos victoires. La suppression de l’enseignement et des leçons de la bataille
de VERDUN n’est qu’une petite illustration de ce phénomène de dépossession de
nous-mêmes, et il est conduit avec une persévérance, une perversité et une
ignorance abyssales. La perte de mémoire n’est pas une anticipation lumineuse
des lendemains. L’abolition des différences entre les peuples, entre les sexes,
entre les générations, l’élaboration d’un modèle d’homo economicus forcément
connecté pour une meilleure surveillance, le règne de la technique, des robots,
de l’intelligence ( !) artificielle, le bruit incessant, tout cela, effectivement,
conduit à une déspiritualisation de l’être humain et à la disparition de l'homme..
Le modèle d’Europe qui nous est présenté est ignoble, au sens
étymologique ; il se résumé à organiser le marché et l’économie, il n’a aucune
ambition culturelle, spirituelle, artistique. Il lui suffit d’imaginer comment
pondre des normes pour « harmoniser », ce qui n’a nul besoin de l’être,
puisque l’Europe tire son harmonie d’une histoire dont on veut la déposséder.
Non au modèle de monsieur MACRON, de madame MERKEL, de monsieur JUNCKER,
de monsieur DRAGHI et de tous ces crânes d’œuf qui savent tout mais ne savent
que ça ! Votez pour qui vous voulez, mais pas pour un parti dont l'ambition est d'effacer notre patrie de la scène de l'histoire, sans nous assurer pour autant qu'il remplira nos estomacs !
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