Cher(e)
ami(e) de la Santé,
Une
étude sidérante vient d’être publiée dans The New
England Journal of Medicine. (Voir in fine le résumé en
anglais de cet article que j’ai pu me procurer). Elle est
parue la veille de la décision de la Cour de
Cassation autorisant la mort de Vincent Lambert – et elle fait
froid dans le dos.Car elle révèle que 15 % des patients ayant
eu un accident grave et diagnostiqués comme « non
conscients » ou « en état végétatif »… seraient en
réalité conscients !
« C’est gigantesque, a déclaré le Dr Nicholas
Schiff, grand professeur de neurologie et neurosciences à New
York. La découverte qu’un patient sur sept pourrait
être très conscient de ce qui est dit autour d’eux est un grand
moment »
Ces
patients ont été considérés comme « non-conscients »
parce qu’ils ne répondent pas à ce qu’on leur demande de
faire : on a beau leur dire de serrer les doigts ou de
cligner des yeux, par exemple, il ne se passe rien.
Mais l’imagerie cérébrale montre que c’est parce qu’ils en sont
physiquement incapables, et non pas parce qu’ils ne
comprennent pas ce qu’on leur dit. Cette étude est d’autant
plus intéressante qu’elle a été réalisée sur des patients dont
l’accident au cerveau était récent : elle
montre que ceux à qui on diagnostique très tôt cette
« conscience minimale » ont nettement plus de chances
de s’en sortir que les autres ! Voilà pourquoi il faudrait
d’urgence généraliser cet examen par électroencéphalogramme à
tous les patients récemment « cérébro-lésés » ! « Notre
étude pourrait changer la façon dont nous gérons les patients
souffrant de lésions cérébrales aiguës », a déclaré
l’auteur principal, Jan Claassen.
Selon
ce médecin, il est important de répéter ces tests plusieurs
fois par jour, car les patients dans cet état ont tendance
à perdre connaissance – si vous ne faites le
test qu’une seule fois, vous pouvez tomber sur un moment où le
patient n’est pas conscient ! Au total, si on généralise
ces tests approfondis, cela pourrait changer la vie de certains
patients ! Prenez le cas de ce patient, classé « en
état végétatif », dont l’histoire a été racontée par les
journalistes du New Scientist. Il faisait des mouvements
de tête, mais l’équipe médicale pensait que c’était des
mouvements « réflexes », sans conscience. Mais ce
patient a bénéficié de ces nouveaux tests, qui ont révélé qu’il
avait une « conscience minimale » - et c’est alors
que l’équipe médicale a commencé à le traiter
différemment !Ils ont même réussi à lui installer une
« souris d’ordinateur sur la tête », grâce à laquelle
il a fini par écrire un email au Dr Schiff !Et croyez-le
ou non, son premier réflexe n’a pas été de
demander à mourir… bien au contraire !
Nous
avons tendance à imaginer que notre vie serait « un
enfer » si nous devenions tétraplégique. Nous avons
tendance à croire que nous préférerions mourir plutôt
que de « vivre emprisonné dans notre propre
corps ». C’est pourquoi certaines personnes sont
convaincues que les parents de Vincent Lambert sont cruels :
s’ils avaient de la compassion pour leur enfant, ils seraient
désireux d’abréger son calvaire ! En réalité, dans le cas
précis de Vincent Lambert, ce raisonnement est très contestable
:
Soit Vincent Lambert n’est conscient de rien,
comme le pensent la majorité des experts, et il ne peut pas
souffrir – dans ce cas, pourquoi ne pas lui laisser une chance,
même minime, de regagner conscience un jour (c’est rare, mais
cela arrive), puisqu’il ne souffre pas ?
Soit Vincent Lambert a une conscience minimale,
et on pourrait tout aussi bien considérer qu’il est cruel de le
laisser mourir de cette manière (je rappelle que Vincent
Lambert n’est « branché » à aucune machine et que la
seule manière de le faire mourir est de cesser de l’alimenter),
surtout s’il est conscient de ce qu’on s’apprête à lui faire.
Mais
surtout, il faut savoir que nous sommes très mauvais pour
imaginer ce que nous pourrions ressentir si nous étions
gravement accidentés. Une étude très intéressante a été
réalisée auprès de patients « emprisonnés dans leur
corps »Ces personnes sont totalement paralysées… mais
elles sont parfaitement conscientes et peuvent
communiquer en bougeant les yeux.
Pensez à l’auteur du best-seller Le scaphandre et
le papillon, qui a réussi l’exploit d’écrire un livre
simplement en clignant de l’œil gauche ! Eh bien croyez-le
ou non, la majorité de ces patients ne sont pas
malheureux ! Oui, dans l’étude en question, 72 % d’entre
eux se sont même déclarés « heureux ». « Cela
peut paraître surprenant pour nous, de l’extérieur, mais
certains patients font preuve d’une énorme capacité
d’adaptation à leur nouvelle situation, explique Steven
Laureys, responsable de l’étude. Beaucoup évaluent leur
qualité de vie à un meilleur niveau que je n’aurais jugé la
mienne ! ».
Notez
aussi que ceux qui étaient les plus malheureux étaient aussi
ceux dont l’accident était le plus récent. Et en
effet, il est très fréquent pour les accidentés lourdement
handicapés de commencer par ressentir une dépression sévère…
puis, progressivement, de s’adapter à leur nouvel état. (Ce qui
pourrait être une bonne raison de leur refuser
l’euthanasie, tant que leur état n’est pas stabilisé, même
s’ils le demandent avec insistance.) Écoutez ce que dit le
Professeur Adrian Owen, un des neuroscientifiques les plus
connus au monde :« Nous ne pouvons pas préjuger de ce
que cela peut être que de vivre dans une de ces situations, car
beaucoup de patients trouvent leur bonheur dans des choses que
nous ne pouvons tout simplement pas imaginer. » C’est
la raison pour laquelle je vous invite à bien réfléchir avant
d’écrire vos directives anticipées. Gardez bien à l’esprit
que vous ne pouvez pas vraiment savoir comment vous
réagirez si vous êtes victime d’un accident grave. N’oubliez
pas non plus que la science du cerveau est tout sauf
infaillible : les médecins peuvent se tromper sur votre
niveau de conscience… ou sur vos chances réelles de vous
« réveiller ».Au total, il y a tellement de
situations envisageables qu’il est à mon avis impossible de
toutes les imaginer dans des « directives
anticipées ».
Le
plus important, de mon point de vue, c’est de signaler les
personnes à qui vous faites confiance pour décider
de votre sort.
Aujourd’hui
en France, en l’absence de directive anticipée, c’est le médecin qui
décide de votre sort. Personnellement, je trouve cela très
étonnant : pourquoi laisserait-on un médecin décider de la
vie ou de la mort d’un patient ? N’est-ce pas à sa famille
de prendre une telle décision ? A tout prendre, si c’est
un étranger qui doit décider de mon sort, je préférerais encore
que ce soit un juge, car au moins a-t-il l’obligation (et
l’habitude) d’entendre les arguments des deux côtés,
et de les écouter avec le maximum d’impartialité !
Laisser le médecin décider peut conduire à des aberrations,
comme ce qui s’est passé en 2013 avec Vincent Lambert :
quoi qu’on pense sur le fond de la décision de
son médecin de l’époque, il semble aberrant de prendre une
décision aussi grave (le laisser mourir) dans le dos des
parents de Vincent, sans les en informer (ils l’ont appris par
hasard !) Mais dans l’idéal, il me semble que ce sont les
membres de notre famille qui sont les mieux placés pour décider
de notre sort. C’est ce que choisit le droit belge, qui ne
donne aucun droit de décision au médecin, et tous les droits à
la famille. Mais le problème, c’est que le droit belge établit
une hiérarchie : d’abord l’épouse, puis les
enfants, puis les parents. Donc si l’épouse n’est pas d’accord
avec les enfants ou les parents de son mari, c’est sa décision
à elle qui prévaut.
Pourquoi ?
L’idée est que le patient a choisi son époux
ou épouse, alors qu’il n’a pas choisi ses parents – et donc que
c’est le conjoint qui aurait le plus le « droit » de
décider de son sort. Mais ce raisonnement me paraît bancal, car
quantités de mariages se terminent par des divorces à la suite
desquels les ex-époux deviennent des étrangers l’un pour
l’autre – alors que nous serons toujours les enfants de nos
parents !
Par
défaut, il me semble que l’unanimité devrait être requise pour
les décisions graves. Il me paraît dérangeant de décider de la
mort de quelqu’un si l’un des membres de la famille s’y oppose.(Pensez
aux 12 jurés, aux États-Unis, qui sont obligés par la loi de se
mettre d’accord unanimement pour condamner quelqu’un
à de la prison).Évidemment, il y a des exceptions : si par
malheur vous avez été abusé
par l’un de vos parents, il est normal de refuser que ce parent
puisse avoir son mot à dire ! Et c’est ici que les
fameuses directives anticipées me paraissent utiles. Non pas
pour décider à l’avance de ce que vous voudriez… mais pour bien
choisir le ou les personnes de confiance qui prendront la
décision !
Personnellement,
si je devais me retrouver dans la même situation que Vincent
Lambert, je voudrais qu’il y ait un consensus entre mon épouse
et mes parents sur mon sort (je ne suis pas sûr de vouloir
mêler mes enfants à une décision aussi difficile).Cela me
paraît la meilleure garantie que la décision sera bonne – ou du
moins la moins mauvaise possible !
Xavier
Bazin
PS :
Le Figaro a relaté récemment l’histoire d’une patiente, Amélie
de Linage, dont le cas est particulièrement troublant. En
août 2014, Amélie de Linage fait « une fausse
route alimentaire ayant provoqué un arrêt cardio-respiratoire,
Amélie est plongée dans un coma artificiel. On tente un réveil
quelques jours plus tard, mais l’électroencéphalogramme, qui
s’affole, témoigne d’un état de mal épileptique réfractaire à
tout traitement ». A sa famille ébranlée, le médecin
chef du service réanimation déclare que « son
projet de vie, c’est de mourir ». Son mari
s’insurge : « Vous n’avez pas à choisir pour
elle ! (…) Moi non plus d’ailleurs. Laissez-lui juste une toute
petite chance de vivre, quel que soit son état ». Un
jour, il constate que l’alimentation est coupée et
l’hydratation réduite au minimum, il s’emporte, rien n’y fait.
Le 5 septembre, on retire à son épouse le respirateur
artificiel, « contre toute attente, Amélie
récupère cette fonction parfaitement », mais les
médecins refusent de remettre en route l’alimentation et
l’hydratation. Après quinze jours sans alimentation, Amélie a
fondu mais elle « est toujours là » :
« Je sentais sa présence », raconte son mari.
Mi-octobre, des « reprises de
conscience » sont perçues, ainsi que quelques
balbutiements. Amélie finit par articuler : « J’ai
faim, j’ai soif ! ». Très handicapée, elle rentre
chez elle en décembre 2015 : « Comme Vincent
Lambert, j’ai été classée à tort en fin de vie et condamnée à
la dénutrition. Aujourd’hui, je suis là pour dénoncer cette
injustice, et dire que j’aime la vie ».
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