mercredi 7 janvier 2009

A l'intention d'Eugénie

Eugénie est la petite fille d'une amie. Elle lit régulièrement mes billets. Et elle a la gentillesse de les trouver parfois intéressants. Mais, dit-elle à sa grand-mère, "il" (moi, donc) est trop pessimiste et trop critique.
Je me dois de répondre à ces remarques pertinentes.
Ceux qui me connaissent diront que je suis d'un optimisme de fer. J'adore l'humour et la vie, les blagues et le rire, et j'ai beaucoup de mal à me prendre au sérieux. Mais il s'agit, dans un Blog, de livrer ses réflexions et d'inciter ses lecteurs à travailler dessus. Très honnêtement, je ne vois rien en notre "machine ronde" qui incite à penser que le monde va dans la bonne direction. La guerre de Gaza est épouvantable ; l'abus de la force est évident mais l'entêtement de fous et de lâches (comment qualifier autrement des soi-disants résistants qui tirent à l'aveugle des roquettes depuis les immeubles, continuent de le faire malgré les réactions de l'adversaire, et tuent ceux de leurs compatriotes qui ont le malheur de dénoncer leur lâcheté ; renseignez-vous sur ce point) contribue à la rendre encore plus terrible ; aux Etats-Unis, des escrocs de haut vol, avides, cupides, dépourvus du moindre scrupule, ruinent des milliers de familles, mettent à mal l'économie de leur pays et du monde, et ne semblent pas être inquiétés pour autant (monsieur MADOFF est toujours en liberté) ; en Chine, on assassine les paysans qui protestent contre la spoliation de leurs terres, on emprisonne les opposants, on pollue, on trafique ; la situation des malades et des pauvres est dramatique dans les pays africains où un dictateur en délire peut proclamer que son pays lui appartient (c'est en effet ce que dit monsieur MUGABE ; je vous invite à trouver la vidéo qui montre comment est construit et meublé son palais ; son luxe, joint à son mauvais goût, donne la nausée) ; je ne parle pas de l'Iran, dans une situation politique et économique dramatique, ni de l'Amérique du sud dont certains pays sont livrés aux mains pleines de sang des grands propriétaires terriens. Je ne peux me taire ; je ne peux pas chausser des lunettes roses pour faire plaisir. Il faut regarder les choses en face, sans croire qu'on les connaît toutes, bien sûr, mais à partir des bribes d'information qui nous parviennent.
Trop critique dit Eugénie. Oui je le suis ! Je le suis tout particulièrement pour l'opposition de gauche dont les réactions infantiles, puériles, malhonnêtes parfois, infondées souvent, témoignent d'une conception de l'homme que je combats et contribuent à ruiner l'esprit démocratique. Il me paraît difficile de critiquer la montre du Président de la République, quand au sein de ses instances dirigeantes, on a un responsable qui les collectionne autant qu'un évêque peut en bénir, il me paraît ridicule de brandir dans l'hémicycle d'une Assemblée des pancartes au sigle de l'ORTF pour critiquer la loi sur l'audiovisuel au lieu d'argumenter rationnellement, il me paraît contradictoire de défendre la publicité après avoir âprement combattu son introduction il y a quelques années, il me paraît dérisoire de s'opposer à la nomination du Directeur de Radio-France par le Président, alors que la Constitution donne au Parlement un pouvoir de contrôle sur les nominations des hauts fonctionnaires ; il me paraît malhonnête d'appeler "reculade" le report de la réforme des lycées (cela revient à accuser les adversaires politiques de n'être pas assez idéologiques), afin de corriger par des concertations approfondies ce qui doit l'être. Mais par- dessus tout, je leur reproche de nier à l'homme toute forme de vie spirituelle. Laissez-moi vous livrer ici la réflexion que l'un des accueillis de Tibériade (cette association d'accueil de séropositifs) m'a faite il y a deux jours, sans doute l'une des plus profondes que j'ai jamais entendues en matière de philosophie : "la spiritualité est la seule manière d'accéder au REEL".
Ces gens sont dans le nuage de leurs idées. Ils appellent exercice d'autocratie toute décision qui ne correspond pas à leur système d'analyse. Ils veulent que les faits aient tort quand ils ne rentrent pas dans leur grille préétablie d'appréhension du monde. Ce sont des robots de l'idée, certainement pas des gens qui pensent (hormis quelques rares cas ; je pense à Michel ROCARD que l'on a torpillé, justement parce qu'il pense, et qu'il a des convictions argumentées, non point des certitudes, ou encore à Jacques DELORS pour lequel je professe une grande estime même si je n'en approuve pas toutes les orientations). Pour exister, il faut qu'ils étonnent, et pour étonner, il faut qu'ils innovent. Peu importe les conséquences des innovations. Il faut faire du neuf, et laisser au temps le soin de digérer les funestes conséquences de ces nouveautés, fût-ce au prix d'une atteinte au principe d'humanité (Combien d'entreprises, passées aux 35 heures, ont-elles introduit les 3 x 8 dans les horaires ou supprimé les pauses café ? Les salariés y ont-ils vraiment gagné ? Et que dire des décisions portant sur la transmission du nom, domaine des plus symboliques ? Et que dire de la précipitation avec laquelle le PACS a été lancé ? [Je vous ferai remarquer que je combats vigoureusement le travail du dimanche au nom de ce même principe d'humanité]).
Bref, je désire une opposition qui pense. Il lui arrive d'avoir des analyses justes. Il est assez rare qu'elle propose des solutions réalistes. Et ses décisions sont toujours prises dans l'optique marxiste de la lutte des classes et de façon telles qu'elles en perpétuent l'existence. Ce qui n'est pas la moindre de ses contradictions.
Voilà ce que je voulais dire à l'intention d'Eugénie.

4 commentaires:

Hiver a dit…

Et si Eugénie avait du génie (bon mot ?). C'est vrai que j'ai souvent eu ce sentiment de pessimisme, mais au risque de me répéter il me semble que notre bloggeur, aimé, a le coeur un peu trop à droite ce qui lui confère un tropisme associé car il oublie, ce très cher, de distinger parfois les maneuvres politiciennes et maniplulatrices des intentions louable des hommes au pouvoir. Mais ...c'est tellement bien écrit et pensé. Alors je continuerai à lire avec avidité, admiration, si possible régularité mais avec un peu de sens critique.

Geneviève CRIDLIG a dit…

Permettez-moi de vous livrer ces trois réflexions suivantes parmi tout ce qui doit exister – et qui me sont « tombées » sous les yeux juste après la lecture du billet d’hier :

L’intitulé du titre de l’ensemble pourrait être :
Le XXI ème siècle et la joie.

Le problème n’est pas de se déterminer comme optimiste ou pas etc < et de se livrer à une analyse psycho stérile. Je souhaiterais un déploiement de cette « joie spinoziste » : n’y a-til pas là un élan créateur qui vivifierait les liens sociaux plus que le lamento sur quatre portées qu’on entend à chaque coin de rue ?

TEXTE 1
Extrait de Psychologies décembre 08
La joie nous rend plus fort
Baruch Spinoza
Au moment où Spinoza (1632-1677) entame son Traité pour la réforme de l’entendement (1), il est en quête d’une éthique – d’une façon de vivre et de penser – en accord avec notre nature humaine, totalité âme-corps sujette aux émotions et au désir. Le philosophe hollandais déteste les passions, qui nous rendent esclaves (passifs) – la tristesse paralysante, le désespoir, la colère, tellement obsédante, la crainte et la superstition. La joie suprême ne réside pas dans le passage à l’acte compulsif, dans l’assouvissement de nos fantasmes, mais dans l’action éclairée par la connaissance. Plus nous connaissons, plus nous comprenons, plus la joie croît en nous et plus, simultanément, nous devenons meilleurs et plus forts. Pour cet homme qui se bat contre l’obscurantisme, dont les écrits seront censurés, la joie est étroitement liée au dépassement progressif des habitudes et des normes imposées par la pensée dominante. La joie spinozienne est celle de l’homme avide de liberté. Elle nous assure que si nous continuons à penser, nous serons libres et puissants, même enchaînés.
***************************************

TEXTE 2

Né en 1949, Alain Finkielkraut est le fils unique d'un maroquinier juif polonais déporté à Auschwitz. En 1987, La défaite de la pensée marque le début de sa critique de la « barbarie moderne », se déployant volontiers dans l'horizon de pensée d'Hannah Arendt. Pour reprendre le qualificatif que Péguy s'attribuait à lui-même, Finkielkraut est un « mécontemporain », ne pensant que contre l'air du temps.
Dans cet ouvrage, le philosophe s'attache à montrer comment le mot « culture », entendu comme l'activité spirituelle et créatrice de l'Homme a cédé devant le relativisme culturel qui désormais nivelle tous les modes d'expression humaine en les valorisant pareillement. L'abandon du caractère universel de la Culture, que préconisait les philosophes des Lumières, telle est cette « défaite de la pensée » qui s'est effectuée en deux temps. Il s'agit pour le philosophe d'analyser le malaise dans la culture, qui va grandissant « car la culture, c'est la vie associée à la pensée. Mais aujourd'hui il est courant de nommer culturelles des activités d'où la pensée est absente ». L'auteur se demande comment on en est arrivé là. Il dénonce l'impasse du « tout culturel » qui confond selon lui toute activité avec un fait de culture et la politique du « tout culturel » du Ministre de la culture de l'époque (Jack Lang)

***************************************

TEXTE 3
Pourtant, la joie est essentielle pour Spinoza ou Nietzsche qui voient en elle un synonyme d’existence, ou pour Bergson qui la fait rimer avec « élan créateur ».
Robert Misrahi, longtemps titulaire de la chaire de philosophie morale à la Sorbonne, nous apprend à la faire jaillir en ce XXIe siècle qualifié par lui de « temps de l’exaspération (1) ». Et c’est à la joie que notre collaborateur Alexandre Jollien consacre son dernier essai.
Les trop rares philosophes à s’être penchés sur la question l’affirment : l’homme n’est vraiment homme que dans la joie !

(1.) L’Enthousiasme et la Joie au temps de l’exaspération de Robert Misrahi (avec Marie de Solemne, Dervy, 2000).
***************************************

NB. Je n’oublie pas la question du travail : mais cela me semble tellement déstabilisant que je n’arrive pas encore à me fixer. Peut-être est-ce là le plus grand effet voulu de cette suppression d’un « rite » : détruire l’espace ou le temps ‘ sacré’ c’est-à-dire « mis à part » - quitte à en inventer d’autres avec n’importe quoi : par ex le premier jour des soldes – et autres miettes.

Philippe POINDRON a dit…

Merci pour ces beaux textes, dont je partage la philosophie. Je vais les étudier de très près et tâcher de les reprendre dans un billet.
Merci pour vos remarques toujours bienveillantes, nourrissantes et pertinentes. Bien amicalement.
Philippe Poindron

Eugénie a dit…

cher monsieur Poindron
je vous remercie d'avoir répondu de bonne grace à mes "remarques pertinentes " . Je n'ai jamais voulu critiquer votre façon de penser que je trouve extremement interessante surtout en tant qu'elève de terminale , ayant peu d'accès à une reflexion osée et CRITIQUE (et ici c'est un compliment). Si j'ai dit que vous étiez trop critique ,c'était un peu vite en effet vos objections sont toujours très claires et justifiées peut etre parfois un peu dures ( quant aux terroristes de gaza : dussé je vous choquez , je vous avouerez que j'ai de la pitié de la commpassion pour ces gens la : de quoi est on capable lorsequ'on est 3823 par km2 affamés et sans travail ??? ) j'ai peu etre une vision trop naive et binaire du monde actuel mais je cherche de toutes mes forces , de toute mon intelligence à le comprendre et vos articles m'y aident ;
Quant au pessimisme à vous de me dire si vous considerez que la somme des maux de ce monde dépasse pour vous la somme des biens , qui sont malheureusement si discrets ...
j'essaierai de vous répondre plus longuement lorseque j'aurai plus de temps
en attendant je continue à vous lire avec admiration
embrassez ma chère grand mère pour moi...