Pour sa naissance officielle, la (grande) Université de STRASBOURG (qui a vu la fusion des Universités Louis Pasteur, Marc Bloch et Robert Schumann) a publié le numéro 1 d'une revue d'excellent niveau, Savoir(s), destinée à prendre le relais du magazine d'information scientifique précédemment édité par l'Université Louis Pasteur. A nouvelle structure, nouveaux contenus. On ne s'étonne donc pas de trouver, à la page 20 de cette revue, l'analyse d'un livre publié par Alain BIHR et Roland PFERFFERKORN, deux sociologues, le premier, strasbourgeois, le second, bisontin. Le titre en est révélateur : Le système des inégalités.
L'ouvrage est analysé par François ZINCK. J'ai lu cette analyse, mais je n'ai pas lu le livre. Mes remarques doivent donc être prises avec toutes les précautions qui s'imposent quant à mon appréciation sur le contenu réel du travail.
En tout premier lieu, on ne peut que partager l'opinion des auteurs, reprise par l'analyste : La société française apparaît [...] comme une société à la fois segmentée, hiérarchisée et conflictuelle. Je suis déjà un peu moins d'accord et vais m'en expliquer, avec la suite : Et dans ces conditions, les concepts de classes, de rapports de classes et de luttes des classes paraissent conserver toute leur pertinence pour la compréhension de la persistance de ces phénomènes.
On ne peut nier l'évidence : il existe des conditions économiques, culturelles, scolaires qui déterminent la structure segmentée, hiérarchisée et conflictuelle de la société française. Mais il y a dans cette analyse un vice originel ; il consiste à ne considérer les inégalités que dans la perspective synchronique, et non point diachronique. En d'autres termes, les conditions dénoncées par les auteurs expliquent tendanciellement, et seulement tendanciellement, l'évolution des destins individuels vers des situations inégalitaires. Il me paraîtrait intéressant - je crois l'avoir déjà dit dans un billet ancien - d'étudier les raisons qui font que dans une situation sociale déterminée, telle personne va effectivement recevoir le lot qui est inscrit dans cette situation, et telle autre personne, au contraire, échappe à cette détermination. Ce travail de recherche m'avait été suggéré par le Pr Michel TARDY, un ami très cher, après que j'avais donné une conférence sur PASTEUR et la dissymétrie, à l'occasion du centenaire de la mort de l'éponyme de notre Université d'alors. Ainsi, je connais les noms de quatre éminents collègues, d'origine qualifiable de "modeste", qui se sont orienté d'abord vers une carrière dans l'enseignement primaire, qui furent donc instituteurs, avant de passer brillamment de prestigieux concours (comme celui de l'École Normale Supérieure) et de devenir des universitaires réputés nationalement et internationalement. Loin de moi l'idée de ranger à des niveaux inférieurs le statut d'instituteurs. J'en connais beaucoup ; ils sont absolument extraordinaires de compétences et d'amour de leur métier. Nombre d'entre eux auraient pu continuer à faire des études ; l'idée ne leur en est pas venue, quoi qu'ils eussent les capacités pour les entreprendre ; et c'est cela qui me semble être un facteur déterminant d'inégalités : ne pas avoir l'idée de..., ne pas se croire capable de... Je suis désolé de devoir dire ici que j'ai eu souvent à lutter contre mes collègues pour permettre à des jeunes qui n'avaient pas les diplômes requis, de continuer leurs études, d'obtenir des équivalences, que j'ai eu à lutter, par conséquent, contre la stagnation sociale voulue par des commissions universitaires souvent composées majoritairement de collègues se réclamant de la Gauche.
Je compte parmi mes élèves un Directeur de Recherches à l'INSERM qui n'a pas son baccalauréat, et qui est tout simplement un surdoué, et encore un autre, aide-soignant, qui a pu faire une petite thèse d'Université, a fait ensuite une maîtrise spécialisée et est devenu responsable de toutes les équipes infirmières d'un très grand hôpital. Ce ne sont là que deux exemples parmi les cinq que j'ai en tête à l'heure actuelle. Allez j'en rajoute encore un : l'un de mes collaborateurs a commencé avec un CAP de mécanique automobile ; il est aujourd'hui maître de conférences en classe exceptionnelle.
Il y a un second vice, et non des moindres, dans le travail de BIHR et PFEFERKORN. Et le vice apparaît dans le titre : le vice, selon moi, c'est l'esprit de système. Et trouver, au terme de l'analyse sociologique, que les concepts de lutte des classes ou de rapport de classes sont pertinents, c'est retrouver dans les faits ce que l'on avait d'abord dans la tête. C'est très exactement cela l'idéologie. Il me semble que si les sociologues se penchaient sur le petit travail que j'ai suggéré plus haut, ils pourraient cerner les conditions qui permettent, à situation sociale de départ analogue, aux uns de reproduire la situation inégalitaire initiale, aux autres (minoritaires, il faut l'admettre) non. En somme, toutes les déterminations des inégalités ne sont pas sociales, il y a des déterminations individuelles et il y a des déterminations familiales.
Je termine ce long billet par des félicitations au Professeur BERETZ. J'ai eu l'honneur de le compter comme étudiant. Fort brillant, il est devenu chercheur à l'INSERM, puis professeur de Pharmacologie. Elu comme Président de l'Université Louis Pasteur, il a été reconduit à la charge de Président de la nouvelle Université de Strasbourg. Bravo Alain ! Bonne chance dans cette entreprise enthousiasmante.
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