Le Point fait paraître un dossier très étoffé sur les heurs et malheurs de l'Education Nationale. Il l'annonce en couverture : la France compte 32.000 enseignants sans élèves, et ce scandale a été dénoncé par la Cours des Comptes. Mais curieusement, Le Point ne dit pas pourquoi il y a tant d'enseignants qui n'enseignent pas. C'est un sujet tabou. La plupart des enseignants sans élèves ont en effet des décharges syndicales, et il est interdit de contrister les syndicats. Silence, silence, et encore silence. Les contribuables payent ces délégués syndicaux dont la fonction essentielle est d'organiser des grèves pour "obtenir plus" ? Silence, silence, silence ! "Travailler moins pour gagner plus" semble être le mot d'ordre de ces permanents de l'agitation. Il faudra bien qu'on mette fin à cet abus. Qui en aura le courage ?
Le même dossier donne la parole à Philippe MERIEU. Personne ne contestera qu'il s'agit d'un spécialiste connu et reconnu des sciences de l'éducation. Cependant, l'objectivité exige qu'on reconnaisse au discours de ce spécialiste toutes les caractéristiques d'une idéologie qui a fait et continue de faire des ravages, notamment en matière de carte scolaire. Comme l'exercice est délicat, monsieur MEIRIEU reconnaît que le statut quo en cette matière, "est hypocrite et injuste". Vous, comme moi, conclueriez que le principe même d'une carte scolaire est un principe faux. Pas du tout. La carte actuelle ne marche pas ? Il faut en faire une autre "afin que les bassins de recrutement associent des quartiers très divers". Je dirais à monsieur MEIRIEU que cette association est déjà faite, et qu'elle a été la providence des établissements privés. Dans tel quartier de Strasbourg, que je ne nommerai pas, on a associé une zone pavillonnaire, habitée par des cadres supérieurs, à une zone de grand ensemble, et l'on a crée une ZEP. Le résultat est que le taux de fuite vers le privé, lors du passage au Collège, est de 36 %. Au lieu qu'il voit des quartiers, je suggère à monsieur MEIRIEU qu'il considère des personnes. Au lieu d'utiliser la contrainte, il est préférable d'utiliser l'incitation et l'argumentation. Ca me paraît plus juste quand il s'agit d'éducation. Mais monsieur MEIRIEU, tout à son rêve d'une cité idéale, poursuit. "Il faut que les établissements les plus exposés - quelle jolie litote - disposent de filières d'excellence, bénéficient d'activités culturelles et artistiques de haut niveau, puisse mettre en place un suivi personnel approfondi des élèves, stabilisent des équipes de professeurs expérimentés et bien formés. Afin que les familles trouvent sur place les meilleures conditions de scolarisation et n'aient pas à fuir le secteur scolaire". Nous sommes ici dans l'idéalisme le plus pur, le plus échevelé, le plus dangereux, et en plus, dans le déni de la réalité. Les Centres Socio-Culturels sont implantés pour la plupart dans des secteurs délicats. Quantité d'Associations animent la vie artistique et culturelle des quartiers. Reste la question des filières d'excellence qui, effectivement n'a pas trouvé de réponse adéquate. Principaux, infirmières, assistantes sociales, conseillers d'orientation psychologues, conseilleurs principaux d'éducation, éducateurs spécialisés font un travail formidable de suivi personnalisé dans les Collèges. Mais monsieur MEIRIEU semble l'ignorer. Et pourtant, des écoles brûlent, des professeurs sont molestés, l'ignorance et l'incivisme prospèrent. Et pourtant - je l'ai moi-même constaté lors d'une enquête que nous avons réalisée à Strasbourg dans 20 Collèges du Bas-Rhin - les enseignants des Collèges de ZEP, et toutes leurs équipes éducatives, SONT ADMIRABLES de compétence, de dévouement, d'imagination (Cf le rapport de l'IPLS : "Etude comparative des modalités de prise en charge des élèves en difficulté", IPLS, 11 rue Silbermann, 67000 STRASBOURG), ils aiment leur métier, et ils ne baissent pas les bras. Les équipes sont stables. Cela ne suffit pas ; le principe de la ZEP est donc tout simplement faux. Mais monsieur MEIRIEU s'acharne à défendre des principes au mépris de la réalité.
"Il faut faire ceci, il faut faire cela", dit monsieur MEIRIEU à plusieurs reprises, comme si le volontarisme en cette matière pouvait se substituer au devoir naturel qu'ont les parents d'assurer le meilleur avenir à leur enfant. Tout le raisonnement de monsieur MEIRIEU repose sur des a priori : les jeunes des "quartiers sensibles" ne peuvent pas s'en sortir tout seuls, ils ont besoin des jeunes de milieu social "plus élevé" (l'auteur le sous-entend), disons pour simplifier, de ces fils et filles de bourgeois, détestés par ailleurs, et ils en on besoin comme modèles ; monsieur MEIRIEU ajoute : si la carte scolaire disparaît les "écoles, collèges et lycées [...] choisiront TOUT NATURELLEMENT (c'est moi qui souligne) les meilleurs élèves" ; c'est une pétition de principe et un jugement bien rapide sur un corps enseignant qui - officiellement - ne cesse de réclamer justement cette mixité sociale. Il me paraît plus simple à moi d'exiger de ces "bons" établissements qu'ils recrutent très largement - le ministre de l'éducation national a le pouvoir d'imposer ce brassage, et il en a les moyens - plutôt que d'imposer à des parents des choix qu'ils ne peuvent accepter en conscience (Un tel choix est fait par tous les établissements privés de Strasbourg, en tout cas par les établissements privés catholiques que je connais : Saint-Etienne, La Providence, Notre-Dame des Mineurs, La Doctrine Chrétienne, Saint-Joseph de Matzenheim). En somme, plutôt que de concentrer les difficultés en un lieu précis, il est préférable de les diluer en des lieux variés. J'ajoute que, lors de l'enquête que nous avons conduite à Strasbourg et dans le Bas-Rhin, nous avons été sidérés d'apprendre des principaux de ZEP que la majorité des jeunes de leur Collège ne sortaient presque jamais de leur quartier. Voilà une bonne occasion pour eux de le quitter.
Une autre suggestion me paraît essentielle. Il n'est pas humain de concentrer les habitats sociaux en des ensembles qui urbanistiquement, géographiquement et démographiquement sont invivables. La seule solution est de diluer l'habitat social dans le tissu urbain. La voilà la vraie révolution. Et jamais personne n'en parle.
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