mercredi 2 avril 2008

Les jeux de la honte

"Tout est perdu, madame, fors l'honneur" écrivait à la reine son épouse, François premier après qu'il eut été battu à Pavie, en 1525, par Charles Quint et qu'il y eut été fait prisonnier par ce monarque. C'était une époque où l'on se souciait encore de l'honneur. Il avait plus de prix qu'une défaite militaire, ou qu'une rançon à payer.
Aujourd'hui, l'honneur est une valeur démonétisée. On lui préfère l'argent. C'est pourquoi les nations occidentales développées enverront leurs athlètes aux Jeux Olympiques de Pékin, afin de s'assurer de supposés débouchés commerciaux juteux. Sauf..., sauf si certains de ces sportifs de haut niveau ont regardé le film de SEGARRA sur le TIBET, hier soir. La chaîne ARTE a été bien inspirée de nous le passer. Anihilation d'une culture, massacres (crucifixions, exécutions après tortures, fusillades, bastonnades à mort), destruction des monastères, autodafé des livres sacrés tibétains, invasion massive du pays par des colons chinois, destruction des sites naturels par la construction de routes (2500 km !) déclarées stratégiques et, tenez-vous bien, d'une ligne de chemin de fer jusqu'à Lhassa.
Il y a plusieurs erreurs à ne pas commettre en cette matière.
La première, dramatique, serait de confondre le peuple chinois avec ses dirigeants. L'histoire de la Chine montre que le peuple chinois préfère la négociation à la guerre, et l'odeur de la terre retournée par l'araire à l'odeur du sang.
La seconde consiste à croire que le peuple chinois est au courant de ce qui se passe au Tibet. Il ne l'est pas (ou d'une manière biaisée, qui exalte le nationalisme d'une minorité de citoyens "responsables") et ne le sera pas si les jeux olympiques se déroulent presque normalement. La retransmission télévisée prétendue "directe" des épreuves sportives se fait en léger différé, ce qui permet aux journalistes et techniciens stipendiés de couper toutes images qui ne seraient pas "correctes".
La troisième consiste à croire que le tempérament chinois a fondamentalement changé. S'il y a une chose que ce peuple déteste, c'est de perdre la face. Les dirigeants chinois ne font pas exception à cette règle nationale. Et si les jeux étaient désertés par les athlètes, il leur faudrait bien expliquer pourquoi à leur peuple qu'ils ont chauffé en vue des jeux, censés couronnés leur politique de modernisation et de développement.
Enfin, contrairement à ce que nous disent les journaux, l'avenir de la Chine n'est ni rouge ni rose : elle doit faire face à des défis dont nous n'avons pas même l'idée : une désertification galopante dans le nord-ouest, désertification que l'on s'efforce d'endiguer par des essais de fixation des sols qui n'ont pas fait leurs preuves ; un déséquilibre lourd de menaces entre le nombre de naissances masculines et féminines ; on peut imaginer que dans quelques années, les hommes se battront pour trouver une femme, car la politique de l'enfant unique vient heurter la tradition antique qui veut qu'un fils honore les tablettes de ses parents et de ses ancêtres, ce qu'une fille ne peut faire en aucun cas (avortement, abandon des petites filles, voire leur "exposition" font que le rapport des naissances est aujourd'hui de 115-120 garçons pour 100 filles) ; incapacité à nourrir la population par la seule production intérieure (le riz thaïlandais qui valait 200 dollars la tonne en 2003, en vaut aujourd'hui 760, tant la demande, chinoise notamment, est immense et l'Office National Interprofessionnel des Grandes Cultures, déclare dans son bulletin de mars que "le maintien de la production mondiale de riz par habitant est un défi quasi insurmontable d'ici à 2010") ; enfin et surtout, l'accroissement fabuleux des inégalités sociales entre la Chine orientale (industrialisée) côtière et ses 300 millions d'habitants, et la Chine centrale et occidentale (agricole ou pastorale) et ses 900 millions d'habitants qui vivent dans une extrême pauvreté et se révoltent périodiquement (ce qui a conduit les dirigeants chinois à proclamer qu'il fallait s'occuper davantage des paysans chinois).
Non, il ne faut pas aller aux jeux. Et le boycott de la cérémonie d'ouverture par les chefs d'état ou de gouvernement est une fumisterie. Les caméras montreront la foule en liesse, et se soucieront comme d'une guigne des tribunes officielles désertées par les grands de ce monde.
Si l'honneur a encore un sens, si nous préférons l'honneur à des bénéfices à court terme pris sur le sang des innocents, si nous voulons vraiment faire réfléchir le peuple chinois, conformément à son génie qui est multiséculaire et profond, nous devons boycotter ces jeux, et organiser en parallèle dans les capitales des pays qui auront pris cette initiative des épreuves spécifiques, intitulées les "Jeux de la Liberté du Tibet".
Si vous êtes d'accord, dites-le ici et faites-le savoir.

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