Magnifique Colloque au Collège de France, un Colloque consacré à Jean-Pierre VERNANT. Cet éminent spécialiste des mythes grecs, des grecs et de la politique des antiques cités animées de leurs débats, fut longtemps membre du Parti Communiste ; il reconnut même qu'il fut stalinien. Il quitta le parti quand Georges MARCHAIS en devint le responsable national : il lui paraissait incongru, à lui qui avait été un résistant actif et courageux, que l'on puisse porter à la tête du PCF, un homme qui était parti en Allemagne pour y travailler au service des Allemands pendant la deuxième guerre mondiale. Un intervenant, Emmanuel TERRAY, anthropologue de formation, a bien souligné que, sur la fin de sa carrière, VERNANT avait compris que l'espace public chez les Grecs, l'agora, est un lieu de débats entre égaux qui interagissent les uns avec les autres. Il était sur ce point en parfait accord avec Hannah ARENDT. Il semble qu'il avait admis qu'un débat n'a lieu d'être que si des opinions sont en cause, et qu'il ne peut s'instaurer que dans l'exposé argumenté de ces opinions. Mais il lui semblait aussi que la vérité avait une valeur contraignante pour l'esprit et qu'elle ne pouvait être matière à débat. Il s'agit là de la réaction d'un homme de grande probité intellectuelle, une probité qui l'a conduit à rompre douloureusement avec cette fraternité chaleureuse que rayonnaient à ses yeux ses amis du PC.
Je me suis permis de demander à Emmanuel TERRAY si VERNANT avait pris en considération, ne fût-ce que pour les contester, les opinions de René GIRARD, qui voyait dans les mythes le récit à la fois révélateur et dissimulateur du meurtre originel d'un bouc émissaire, meurtre à l'origine des religions. Je convenais que la question était embarrassante. Mais enfin, VERNANT a travaillé sur les mythes et le sacrifice. Après un long silence Emmanuel TERRAY, confessait qu'il n'avait jamais lu la moindre allusion à GIRARD dans les oeuvres de VERNANT qu'il connaît bien. Et il ajoutait, ce silence en lui-même est parlant. Tout de même, un homme comme VERNANT ignorer un homme comme GIRARD, voilà de quoi étonner.
J'eus le fin mot de l'énigme à la fin de la séance. Une intervenante espagnole est venue me voir et m'a dit que dans un article collectif signé par six auteurs, une note infrapaginale indique, sans commentaires, que les thèses de René GIRARD ne leur paraissent pas valides. Elle ajoutait, "vous comprenez, les fondements de la pensée de GIRARD sont chrétiens"... Ce qui est faux. René GIRARD est venu à la foi par sa réflexion sur le mimétisme, le désir toujours hétéronome (et cela lui a été révélé par la critique des grands écrivains, SHAKESPEARE, CERVANTES, DOSTOIEVSKY, etc.). Il s'est alors penché sur les relations entre la violence et le sacré, a vu dans le sacré un moyen de juguler la violence circulaire et indéfinie, a trouvé les traces de la violence initiale dans les mythes divers - le meurtre, le lynchage du bouc émissaire, toujours innocent - et a fini par montrer que le seul texte qui décrit le lynchage du point de vue de l'innocent, est le texte évangélique. Je résume.
Ainsi, honnête homme s'il en fut, Jean-Pierre VERNANT est sans doute resté prisonnier de sa formation marxiste initiale, quand bien même, en esprit libre, il savait faire le départ entre la science et les choix politiques. Grand moment que ce Colloque.
Avec nos deux Prix Nobel de médecine, et notre prix Nobel de littérature, nous pouvons être fiers de la vigueur intellectuelle de la France.
Ayant enseigné la virologie pendant 35 ans, je suis bien même d'apprécier les immenses mérites des chercheurs distingués par le Comité Nobel. Je regrette infiniment que le Professeur CHERMANN n'ait pas pu lui aussi être honoré. Et je l'associe, dans mon esprit à Luc MONTAGNIER et à Françoise BARRE-SINOUSSI ; il a participé à cette grande victoire scientifique qu'est la découverte du virus du SIDA, une victoire qui honore notre Patrie. Merci à vous, monsieur.
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