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Hier soir, j'essayais d'expliquer le plus clairement possible pourquoi la THÉORIE darwinienne de l'évolution ne me semble pas rendre compte de la réalité, pourquoi aussi, ne pouvant être et pour cause, soumise à l'épreuve de l'expérience scientifique elle n'a pas la valeur d'un fait. Avant d'aller plus loin, il convient de noter un point très important : Annie, la fille de DARWIN, meurt en 1849. Le savant est anéanti par cette disparition et il perd toute foi en un Dieu bienveillant. Il convient de noter ce fait qui - je pense que nul n'en disconviendra - peut orienter la pensée d'un chercheur.
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DARWIN, certes, dira quelque part que le 'Nègre et l'Européen sont très proches', mais il dit aussi : "Lorsque deux races d'hommes se rencontrent, elles agissent exactement comme deux espèces animales, [...], elles se battent, se mangent l'une l'autre, se transmettent des maladies, etc., puis vient le combat plus fatal, c'est-à-dire qui aura l'organisation ou l'instinct (l'intellect chez l'homme) le plus adapté pour gagner le combat".
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Revenons plus généralement à l'atmosphère qui baignait le milieu scientifique tout au long du XIXe S. Il était scientiste, avait établi une stricte barrière entre ce qu'il appelait la 'religion' d'un côté et et la science de l'autre, avait remisé la théologie au placard des inutiles connaissances, et propulsé la philosophie à la place que cette dernière occupait avant l'émergence de l'esprit des Lumières. Pour dire le vrai, cet esprit était résolument antireligieux, et même antichrétien. Il est donc intéressant de chercher ce que les savants de ce siècle pensaient à propos des races humaines.
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L'anthropologue LETOURNEAU, paix à ses cendres, traitaient les aborigènes d'Australie "d'asticots humains", reprenant à son compte une idée lancée en 1832 par un certain Antoine DUGES qui n'hésitait pas à dire que l'état social des 'sauvages' peut être considéré comme la pierre de touche de leur nature physiologique" (c'est moi qui souligne), et il ajoutait "La civilisation fait un tout d'une masse d'individus différents, et elle concourt à augmenter les commodités, les jouissances de chacun d'eux par le partage des capacités et des occupations. Une peuplade de sauvages est, au contraire, réduite à la vie la plus simple et la plus grossière. Dans la première de ces sociétés, nous avons l'image de l'économie animale chez les êtres les plus élevés dans l'échelle, un mammifère par exemple. Quant à la deuxième, c'est la vie du ténia, aussi morcelé que l'animal lui-même, et aussi peu complexe que l'est l'organisation de chacun de ses segments, aussi peu variée que la forme de ses anneaux". On voit comment en utilisant la métaphore de l'animal (mammifère et ténia), on glisse à un jugement d'origine biologique sur l'organisation sociale des communautés humaines. En 1868, DALLY distinguait les sociétés évoluées des sociétés dites sauvages qu'il considérait comme "impropres à toute évolution ultérieure". BROCA, en 1860 parlait du "caractère d'infériorité" des Peaux-Rouges, des Océaniens, des Australiens, qui "n'ont pu supporter le contact de la civilisation" et font partie des peuplades qui ne pouvant s'astreindre au travail "s'éteignent le plus rapidement". Abel HOVELACQUE, athée notoire, parlent des "races non élevées" dans la série évolutive humaine, des races qui conservent des "traits de comportement propres aux degrés inférieurs de l'échelle des êtres". Et DARWIN, au retour de son voyage autour du monde sur le Beagle dira, à propos des indigènes de la Terre de Feu : "Quand on voit ces hommes, c'est à peine si l'on peut croire que ce soient des créatures humaines, des habitants du même monde que le nôtre".
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Ces citations, que j'extrais d'un article de Claude BLANCKAERT, (La science de l'homme entre humanité et inhumanité, Editions Autrement, Série Science et société, Des sciences contre l'homme, Volume I, Paris, 1993) montrent à l'évidence que l'introduction de l'idée d'évolution et son application au monde des hommes aboutit à cette hiérarchisation des races, au colonialisme, postérieurement du reste à l'esclavagisme dont les armateurs nantais avaient réclamé le maintien au Gouvernement Révolutionnaire. Je vous renvoie au discours de Jules FERRY sur le devoir des races supérieures de civiliser les races inférieures ; j'ai fait un billet là-dessus, et je rappelle qu'il fut le Président de la société coloniale, laquelle comptait parmi ses membres une écrasante majorité de radicaux et de députés dits " de gauche". Tout cela peut se vérifier et je vous donnerai les chiffres et les dates plus précises quand j'aurai récupéré dans mon fatras de livres le petit volume qui traite de cette question.
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C'est l'honneur des siècles passés que d'avoir eu une autre idée de l'homme. Quand les Portugais décrivent le Royaume du Congo, ils parlent de son Roi et des Seigneurs qui le servent ; ils ne voient guère de différence d'avec leur référence politique et sociale quotidienne ; MONTAIGNE parle de ce que l'on appelait les "Sauvages" avec une force, une pertinence et une ironie acérée, et souligne l'arrogance qu'il y a de les sous-estimer. Faut-il rappeler la controverse de VALADOLID et le plaidoyer victorieux de BATHOLOMAE de LAS CASES contre les vues ignobles de SEPULVEDA qui déniait aux indigènes des Caraïbes et de l'Amérique du Sud la possession d'une âme ? Je veux dire par là, non pas que la conscience des hommes de ce temps eut plus éclairée, mais qu'ils ne tenaient pas pour un fait acquis ce que trois siècles plus tard on présenterait comme une vérité scientifique ancrée dans la théorie de l'évolution.
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Il y aurait beaucoup à dire encore. Je terminerai par une question : d'où nous vient que ces opinions racistes heurtent notre conscience ? Qui nous dit, comme une vérité absolue et certaine, que les hommes ont une seule et unique nature ? Et pourquoi a-t-il fallu attendre les travaux de l'anthropologie contemporaine pour "consacrer l'humanité du sauvage et sa nature d'animal politique" ?
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J'ai ma réponse personnelle. A vous de trouver la vôtre.