Je me promenais il y a peu sur les quais de Seine, rive gauche. Temps splendide, soleil qui faisait resplendir les façades du Louvre, et briller Notre-Dame. J'avais souvent fait cette promenade, et pourtant, un petit monument avait échappé à mon attention. Entre l'Institut et l'Hôtel de la Monnaie, quai Conti, se niche une placette au milieu de laquelle se dresse une statue de bronze. Un bel homme, légèrement cambré en arrière en une allure aristocratique. C'est la statue de CONDORCET, du marquis de CONDORCET. Sur le socle, ne figurent que le nom et les dates de naissance et de mort de grand mathématicien, athée virulent, rationaliste convaincu et républicain : 1753-1794. Rien d'autre. Curieux éloge funèbre pour un philosophe qui s'est empoisonné afin d'échapper à la guillotine. Curieux éloge pour un savant qui a donné son nom à un lycée parisien réputé, et qui à ce titre est un modèle pour les jeunes qui fréquentent l'établissement. Il n'est pas innocent que les responsables du Ministère de l'Instruction Publique aient choisi cet homme comme éponyme. On connaît leur grand amour des Lumières, de la raison, de la république, et de la laïcité. Je ne leur reproche pas. Je me borne à constater.
Or, ce matin, relisant par hasard les notes que j'ai prises à partir du livre de Frédéric LENOIR, "Le Christ philosophe", je vois au passage une citation de CONDORCET. Elle est tiré d'un ouvrage qu'il publia en 1793, à peine un an avant qu'il ne se donne la mort : Esquisse d'un tableau historique des progrès de l'esprit humain. On verra dans quelle illusion cet homme, au demeurant génial, vivait, et vers quels progrès sa pensée a conduit :
"Il arrivera donc, ce moment où le soleil n'éclairera plus sur la terre que des hommes libres, ne reconnaissant d'autre maître que leur raison ; où les tyrans ou les esclaves, les prêtres et leur stupides ou hypocrites instruments n'existeront plus que dans l'histoire et sur les théâtres ; où l'on ne s'en occupera plus que pour plaindre leurs victimes et leurs dupes, pour savoir reconnaître et étouffer, sous le poids de la raison, les premiers germes de la superstition et de la tyrannie, si jamais ils osaient reparaître."
Ils ont osé, et c'est lui qui a favorisé, avec d'autres leurs survenues. Il en est mort, sans doute désespéré de s'être fourvoyé. Le soleil s'est levé sur un homme, sur des hommes, sur des centaines d'hommes emprisonnés en raison de leur naissance, de leurs opinions ou de leur religion. Je ne sache pas que CONDORCET se soit élevé contre les exécutions, les exactions des armées révolutionnaires, les procès sommaires. C'est beau la raison au service de l'idéologie. Y aura-t-il au lycée CONDORCET des historiens et des philosophes qui oseront dire à leurs élèves la vérité sur le drame qu'a vécu cet homme ?
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