Les diverses remarques et commentaires - et je me félicite qu'ils se multiplient - m'amènent à constater que mes interlocuteurs s'acceptent comme vulnérables, tout comme moi, du reste, qui n'aie jamais songé à dissimuler mon nom sous un pseudonyme, (pas plus que les tâtonnements de ma réflexion, quand bien même je pourrais apparaître comme un peu raide ou tranché dans mes opinions), et qui par conséquent accepte de m'exposer aux critiques.
J'ai le bonheur de compter parmi mes filleules, Marie, la fille de mon meilleur ami. Marie est normalienne, agrégée de philosophie (à 23 ans !), et prépare une thèse sur la vulnérabilité. Je vous livre ici le début d'une conférence qu'elle a récemment donnée, avant de commenter quelque peu ce que semble être la vulnérabilité.
"La catégorie de vulnérabilité est au centre de la critique des théories traditionnelles de la justice et de la morale élaborée par Martha Nussbaum et Joan Tronto. Celles-ci déploient une anthropologie de la vulnérabilité qui fait de cette catégorie un trait de toute existence humaine, et se fondent sur cette anthropologie pour réviser nos conceptions de la vie bonne et de la société juste. Je voudrais me pencher sur ces tentatives – et surtout sur celle de Nussbaum – pour expliciter l’intérêt politique d’une réflexion sur la vulnérabilité mais également en indiquer les difficultés épistémologiques.
Pour résumer les choses rapidement, il me semble que cet intérêt politique provient du fait que la catégorie de vulnérabilité peut jouer un rôle à la fois critique et normatif : un rôle critique au sens où elle permet de mettre en question une certaine « idéologie de l’autonomie » et, conjointement, le contexte social et politique qui la produit et lui permet de se maintenir ; un rôle normatif au sens où elle permet d’élaborer une conception différente de la justice et de la coopération sociale, intégrant pleinement les valeurs engagées dans les pratiques de care.
Cela dit, pour remplir effectivement ce double rôle, la notion de vulnérabilité semble demander à être précisée, et c’est là où les problèmes épistémologiques surgissent : à première vue, à la centralité de la catégorie semble en effet correspondre sa sous-détermination, le flou qui entoure ses usages et qui en compromet le caractère opératoire. Je voudrais montrer ici qu’on aurait tort de faire de cette sous-détermination un « manque », ou un « défaut » qui justifierait la disqualification de la notion. Plus précisément, il me semble que la catégorie de vulnérabilité, tout en renvoyant à un trait de l’existence humaine, à une propriété essentielle et donc universelle, ne peut pourtant être saisie qu’indirectement, à travers des manifestations et des pratiques particulières, qui varient d’un contexte socio-historique à un autre, voire même d’un individu à un autre. Autrement dit, la vulnérabilité pure n’apparaîtrait jamais comme telle, mais il serait nécessaire de la postuler pour rendre compte d’un certain nombre de phénomènes moralement et politiquement problématiques dont elle serait la condition de possibilité."
Pour résumer les choses rapidement, il me semble que cet intérêt politique provient du fait que la catégorie de vulnérabilité peut jouer un rôle à la fois critique et normatif : un rôle critique au sens où elle permet de mettre en question une certaine « idéologie de l’autonomie » et, conjointement, le contexte social et politique qui la produit et lui permet de se maintenir ; un rôle normatif au sens où elle permet d’élaborer une conception différente de la justice et de la coopération sociale, intégrant pleinement les valeurs engagées dans les pratiques de care.
Cela dit, pour remplir effectivement ce double rôle, la notion de vulnérabilité semble demander à être précisée, et c’est là où les problèmes épistémologiques surgissent : à première vue, à la centralité de la catégorie semble en effet correspondre sa sous-détermination, le flou qui entoure ses usages et qui en compromet le caractère opératoire. Je voudrais montrer ici qu’on aurait tort de faire de cette sous-détermination un « manque », ou un « défaut » qui justifierait la disqualification de la notion. Plus précisément, il me semble que la catégorie de vulnérabilité, tout en renvoyant à un trait de l’existence humaine, à une propriété essentielle et donc universelle, ne peut pourtant être saisie qu’indirectement, à travers des manifestations et des pratiques particulières, qui varient d’un contexte socio-historique à un autre, voire même d’un individu à un autre. Autrement dit, la vulnérabilité pure n’apparaîtrait jamais comme telle, mais il serait nécessaire de la postuler pour rendre compte d’un certain nombre de phénomènes moralement et politiquement problématiques dont elle serait la condition de possibilité."
Tout le reste de la conférence est de la même rigueur. Exceptionnel.
Il me semble que l'homme, dès son apparition sur la terre, a eu le sentiment de sa vulnérabilité. J'entends par là, de sa faiblesse, de ses limites, de sa fragilité, de la facilité extrême, qui est celle de tout homme, qu'il a d'être blessé, au propre comme au figuré, par la nature comme par autrui. A mon avis, c'est ce sentiment, initialement confus, de vulnérabilité qui a poussé l'homme à faire société, selon le principe bien cristallisé : "L'union fait la force". Selon moi toujours, la société est nécessaire pour qu'apparaisse la violence mimétique si bien analysée par René GIRARD. Elle est donc postérieure à la prise de conscience de la vulnérabilité. Mais qui dit société, dit possibilité de se comparer à autrui, de désirer ce qu'il désire, d'où les violences, et la mise en route du processus victimaire, dès qu'apparaissent des inégalités, pas n'importe lesquelles, des inégalités qui créent des rapports de force, suscite la soumission contrainte, et parfois conduit à l'esclavage, toutes situations qui peuvent paraître désirables comme elle est bonne pour celui qui en est le bénéficiaire.
C'est sans doute la raison qui a poussé tant de sages, dans toutes les cultures, a énoncer la Règle d'or, la règle cardinale de la vie en commun, dans une société bonne et juste : "Ne fais pas à autrui ce que tu ne voudrais pas qu'il te fasse", reprise de manière positive par Jésus : "Fais à autrui ce que tu voudrais qu'il te fasse". Jésus se place ici dans le registre de la relation, et non de la prestation économique ou sociale. Et il prend comme modèle de relation, celle qu'il entretient avec son Père. On voit par là que Jésus n'est pas un sage comme les autres, car il sanctionne la vérité de ses paroles par des signes (guérisons, exorcismes, résurrection de morts), et sa parole est performative ; elle fait ce qu'elle dit. Bien entendu, je comprends que l'on puisse borner son adhésion à Jésus, à l'adhésion aux seuls textes, sans conclure à leur vérité historique. Mais ce que disent les Évangiles, c'est bien cela, et rien d'autre. Libre à chacun d'en tirer pour lui les conséquences.
Si nous étions convaincus de notre vulnérabilité, au lieu de la dissimuler derrière des masques, nous l'accepterions, et nous pourrions alors faire de la compassion pour autrui et pour la nature, le moteur de nos actions et de nos décisions.
Affaire à suivre
4 commentaires:
boudiou (bis repetitat placent)
est-ce que jésus va y comprendre quelque chose? Moi, en tout cas, rien (cf réponse à votre billet d'hier) mais ça doit être vrai et ça doit valoir le coup.
A+
Cher Olibrius, ne vous faites pas plus ignorant que vous l'êtes. Vous comprenez très bien ce que je veux dire, boudiou ! Le modèle de relation que Jésus veut promouvoir entre les hommes est celui qu'il entretient avec son père. Il ne retient rien pour lui et donne tout a son Père qui ne garde rien pour et rend tout au Fils, dans une "vibration" instantanée d'où jaillit l'Esprit. Désolé, je ne peux pas dire autrement. je vais essayer de clarifier ici ma pensée. Si nous ne nous sentions pas, en tant que personne, désarmés et isolés, nous pourrions nous passer des autres. Il n'y aurait aucune raison de faire société. Comme les animaux, et pour satisfaire notre libido, nous nous accouplerions en des lunes déterminées, et puis, hop, nous repartirions pour un tour dans notre auto-suffisance. C'est la tentation d'un certain néolibéralisme.
Je crois que Jésus comprend ce que je veux dire, comme il comprend ce que vous dites. La vulnérabilité de tout être humain est le fondement de toute réflexion politique.
Bien amicalement.
* A Olibrius : Merci pour votre explication du mot Boudiou mais je suis sans doute complètement bornée en ce qui concerne la compréhension de l'échange faisant suite à ' Rectificatif ': je ne saisis toujours pas de qui vous parlez ? Qui sont les Boudious en question ???
* à P.Poindron : Au sujet de ce billet présent > la teneur du passage cité est certainement exceptionnelle mais tout ce que je comprends c’est que son sens complet doit échapper au commun des pauvres mortels que nous sommes.
Je rejoins un peu Olibrius car je trouve ce texte ardu, se fondant sur des concepts inconnus au bataillon des pieds nus en philosophie. Je crois cependant avoir compris la signification d’ensemble mais je ne le jurerai pas et même cela ne m’a pas intéressé. C’est pourquoi je trouve cette démarche très maladroite et cette fois complètement ‘anti pédagogique ‘ mais évidemment, si cette conférence ne s’adressait qu’aux spécialistes, elle est tout à fait excellente.
Cependant une autre remarque formelle : quand on s’exprime en public, la première chose est de s’assurer que les gens comprennent les mots essentiels utilisés. Or cela n’est pas fait.
Par exemple la notion de catégorie n’a certainement pas la signification que lui donnait Kant mais alors laquelle ?
De plus pas une fois la définition de « vulnérabilité » n’est donnée : est-ce celle du dictionnaire> ? celle de la conférencière ? celle d’autres sages ?? Le fait-elle à d’autres moments ?
Donc j’ai eu la désagréable sensation au fil de ma lecture de cet extrait de marcher sur du sable mouvant. Vraiment désagréable : je ne savais pas de quoi on me parlait.
[décidément….]
Heureusement -et ce n’est pas pour jeter des fleurs – que votre commentaire est plus éclairant.
Dommage cependant qu’il ait fallu « un traducteur » et qui - heureusement- a en plus ajouté son propre sentiment sur ce sujet et en a donné une extension crédible.
NB. J’ai donc relu bien attentivement le texte proposé, espérant mieux comprendre > résultat : à peine mieux et il me reste toujours aussi peu intéressant.
les boudious ne sont personne. C'es une expression qui, dans le midi,veut prendre Dieu à témoin, surtout en cas d'énervement intérieur devant quelque chose que l'on ne peut comprendre. C'est tout.
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