jeudi 17 septembre 2009

Mode et contagion mimétique

L'expression était maladroite. Et le PDG de France Télécom a reconnu que l'utiliser pour nommer la vague de suicides qui a submergé son entreprise est mal venu. Mais au-delà de l'émotion suscitée par l'intervention de monsieur LOMBARD, au-delà de la réelle maladresse (qui a du reste suscité l'indignation d'Hélène CIXOUS lors de l'émission Ce soir ou jamais), il faut essayer d'aller plus loin.
Une mode est une façon particulière d'être, de paraître et d'agir qui apparaît et se répand dans des circonstances, en une période et dans un milieu spécifiques. On n'en finirait pas de les nommer ces modes qui ont marqué l'après guerre : le bee-bop, les zazous, le hoola-hoop, les jeans troués, les dread-locks, etc. Une mode se répand, et elle se répand entre personnes qui ont quelque chose en commun. Elle a pour but de différencier des groupes d'autres groupes. Ce qui caractérise la mode est donc son caractère contagieux, et son caractère mimétique.
Mais parler de mode à propos de suicides est une grave impropriété, car la mode intéresse la vie, et même l'explosion de la vie. Elle n'est pas toujours de bon goût, mais là n'est pas le point. La mode est une expression vitale. Le goût exagéré que l'on peut avoir pour elle est-il l'indice d'une faiblesse de caractère ? La réponse doit être nuancée. Quelquefois oui, quelquefois non. Mais il est certain que les stylistes, les spécialistes du marketing, les publicistes, etc. jouent sur le phénomène et l'exploite.
En revanche, il n'est pas impossible de juger que les suicides de France Télécom relèvent d'une contagion mimétique. Dans un moment de désespoir, quand on ne sait plus que faire ni vers qui se tourner, quand on est privé de moyen d'expression, on peut vouloir se supprimer. Un employé n'a vu que cette solution pour protester. Et d'autres l'ont imité, en y voyant la protestation la plus forte, la seule capable de faire changer d'avis des responsables qui paraissent bien aveugles. On sait combien l'imitation est une tendance très forte de la psychologie humaine. (René GIRARD a fort bien analysé ce phénomène qui dans ses formes extrêmes a conduit au bouc émissaire.) Hélas, elle a joué ici contre le vie. On ne peut que le déplorer et demander aux responsables de France Télécom un peu plus de doigté, d'humanité, et peut-être même de justice.
En utilisant ce mot, monsieur LOMBARD a simplement marqué d'un signe le lieu d'où il parlait : celui d'un entrepreneur qui veut le bien de son entreprise sans trop se soucier du bien de ses employés.

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