Ainsi que je l'ai déjà dit, je n'ai pas pu me procurer le livre de Bernard FRIOT sur les retraites. Néanmoins, j'ai reçu avant hier le message d'un ami de POITIERS qui me demandait ce que je pensais des propositions de cet économiste qui lui avaient été transmises par un tiers. C'est donc sur ce message et non sur ce livre que je réagis, en faisant l'hypothèse de départ que ce sont bien les positions de l'éminent collègue qui a publié cette étude. J'espère répondre ainsi, au moins provisoirement, à POTOMAC.
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Bernard FRIOT est économiste ET sociologue. Il enseigne à l'Université de PARIS X (Nanterre ?). Il a donc une double formation. Avant de dire pourquoi cette analyse me paraît irrecevable, je vais m'efforcer de vous la transmettre, à partir de ce message, j'insiste bien sur ce point, et non à partir du livre. Ceci signifie que le message anonyme a très bien pu déformer les propos de l'auteur.
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Le message porte donc sur l'article qu'a publié Bernard FRIOT : "Financement des retraites : l'enjeu des cotisations patronales." Il commence par en citer quelques extraits : "On oublie toujours, quand on raisonne sur l'avenir des retraites, que le PIB progresse d'environ 1,6 % par an, en volume, et qu'il double, à monnaie constante, en 40 ans. C'est pourquoi nous avons pu multiplier par 4,5 les dépenses de pension depuis 1960."
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L'auteur du message s'indigne qu'une telle information ait été passée sous silence et s'en sert pour fustiger la reforme des retraites. Par un calcul (exact), il indique que dix actifs produisent aujourd'hui un gâteau de 100 et qu'ils ont à charge 4 retraités. Quatorze personnes se partagent donc un gâteau de 100, soit 7,14 par personne. Si dans quarante ans, 10 actifs produisent un gâteau de 200 et qu'ils ont à charge 8 retraités, ce sont 18 personnes, dit-il, qui se partageront un gâteau de 400, soit 11,1 par personne. Et l'auteur du message de poursuivre en prétendant que ce sont les patrons qui veulent faire des plus-values boursières sur les 40 % de part salariale qui représentent les "fameuses cotisations patronales" (dixit l'anonyme du message). Et de rager, en prétendant que les patrons veulent faire main-basse sur ce qu'il appelle des "salaires différés".
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Je ne vais pas faire l'injure à Bernard FRIOT d'avoir produit une telle analyse. Si c'était le cas, je douterais de ses compétences, ceci pour plusieurs raisons.
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(a) Les chiffres de références qu'il donne prennent pour point de départ l'année 1960, en pleine période des Trente Glorieuses, avec des investissements énormes liés à la reconstruction de la France (après la guerre), et la nécessaire industrialisation. L'auteur du message semble méconnaître ce point, et il fait l'hypothèse très hasardeuse que le PIB continuera de croître sur le même rythme. On peut penser que cette hypothèse est fausse ; (1) en raison de la concurrence internationale, de la mondialisation, du développement des pays émergents (Chine, Inde Brésil), les parts du marché mondial dont nous disposons ont toutes les chances de diminuer et ne pourront être compensées entièrement par l'accroissement de la population française ; (2) nous ne pouvons continuer de vivre sur un mode de développement qui épuise les richesses naturelles, les pille, et les gaspille, et on peut imaginer que les théoriciens de la décroissance vont sans doute faire valoir leur point de vue, un point de vue plus respectueux des générations futures et de l'avenir de la planète.
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(b) Le concept de 'salaire différé' en matière de retraite est une imposture. Si cela était vraiment le cas, cela voudrait dire que la retraite par répartition est en réalité une retraite par capitalisation, et que nous serions assurés de voir intégralement réparties, au moment de la retraite entre tous les cotisants, les sommes mises de côté pendant la durée de cotisation, et seulement aux cotisants concernés par cette période. Or justement, la retraite par répartition consiste à faire payer par les actifs les pensions des inactifs, en mutualisant totalement les cotisations (ou presque, car les régimes spéciaux échappent à ce système), et en faisant le pari que le renouvellement des personnes rentrées en "inactivité" sera assuré par celles qui rentrent dans "l'activité". C'est précisément parce que c'est un pari dont les termes initiaux ont grandement changé que le problème se pose. Il y a une solution alternative à cette solution. Elle consiste à ne plus payer de cotisations sociales, ni patronales, ni ouvrières, à verser la totalité du fruit du travail aux salariés, et à laisser à l'épargne le soin de régler la question ou à la solidarité celui de prendre en charge ceux qui, faute de ressources, n'auraient pu suffisamment épargner pour assurer leurs vieux jours. Est-ce cela que veut l'auteur du message qui joue entre les deux solutions, celle du salaire différé, et celle de la solidarité, pour étayer une démonstration boiteuse ?
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(c) Je ne sais pas où l'auteur de ce message a puisé ses renseignements sur la démographie prévisible des inactifs. Je sais simplement que j'ai vu récemment dans divers journaux, que la France comptera très vraisemblablement près de 200.000 centenaires au milieu du siècle. Je ne vois pas comment cet allongement de la durée de vie peut aboutir aux chiffres donnés par cet auteur.
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(d) Enfin et surtout, je constate que l'analyse est fortement idéologique. Cela n'est pas grave en soi. Tout le monde a le droit de penser que MARX a raison EN TOUT. Mais il serait plus honnête que l'auteur dise d'où il parle, et ne tente pas de faire passer pour information objective ce qui est une analyse fortement contestable sur le plan économique, fausse (pour ne pas dire plus) sur le plan intellectuel, et teintée très fortement de haine de classe.
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Je ne peux pas imaginer que le livre de Bernard FRIOT reprenne ces arguments sans les nuancer, sans marquer les hypothèses et leur niveau de vraisemblance, et sans comparer ses solutions avec des solutions alternatives. Voilà ce qui, intellectuellement, me paraît honnête.
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