lundi 18 octobre 2010

Les hommes de ce temps ont des bleus à l'âme

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Je ne mets pas en doute un seul instant la bonne foi des leaders syndicaux dans la contestation qu'ils mènent contre la réforme des retraites. Je mets en cause la justesse de leurs analyses, et par conséquent la justice de leurs actions. Tout ça mérite une explication.
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Que les leaders syndicaux défendent les intérêts de leurs adhérents, c'est tout à fait légitime. Mais qu'ils le fassent en considérant que ceux-ci forment des groupes complètement indépendants de la société dans laquelle ils vivent, est une erreur de perspective fondamentale qui ne peut conduire qu'à des impasses. Penser que l'on agit justement parce que l'on est le plus fort (j'ai déjà évoqué dans un billet l'opinion de notre grande Simone WEIL sur cette position, hélas très répandue) est tout simplement le comble de l'injustice. Car si nous avons besoin d'agents de la SNCF ou de la RATP ou de dockers, ou d'ouvriers des raffineries, eux ont besoin de plombiers, d'électriciens, de médecins, de boulangers, de bouchers, que sais-je encore. Et la qualité de salarié ne donne aucun avantage particulier dans le champ social sur celle d'indépendant. Qu'arriverait-il si les médecins cessaient tous de travailler ? Et pourquoi faudrait-il qu'interrompre les transports fût de moindre gravité que de cesser de soigner les malades ?
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Alors, il faut revenir à la réalité : les Français sont attachés, justement, au système de retraite par répartition. Dans ce système, les actifs cotisent pour les inactifs et l'on répartit ce qu'il y a dans le pot. Il se trouve que pour diverses raisons, le pot est devenu sinon minuscule, du moins petit et que son contenu doit être distribué à un nombre croissant d'ayant-droit. Il est donc nécessaire de l'abonder. Quand madame AUBRY proclame qu'il faut tout remettre à plat, elle admet sans le dire que le système est à bout de souffle. Si la seule solution consiste à augmenter l'impôt, déjà fort lourd en France, ce sont les classes moyennes qui vont encore payer. Je reviens à mon idée de prélever sur les dividendes versés aux actionnaires, et de verser ce prélèvement à une ou des caisses de compensation (une par entreprise ? une caisse générale ?) pour augmenter le montant des pensions.
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En vérité, il me semble que ces protestations traduisent un malaise plus profond, une sorte de mal-être propre à nombre d'hommes et de femme de la post-modernité. Ils ont des bleus à l'âme, et protester sans raisons valables, quoi qu'ils disent, n'est que l'expression de cette blessure intérieure : la vie est devenue matériellement meilleure, mais elle a perdu son sens.

1 commentaire:

Geneviève CRIDLIG a dit…

« Et pourquoi faudrait-il qu'interrompre les transports seraient de moindre gravité que de cesser de soigner les malades ? »
Moindre gravité ??? Il me semble que le sens du réel et de la responsabilité échappe à tous ceux qui participent ou soutiennent la grève des transports : d’une part on sait depuis des lustres- et bien que l’on soit à l’heure nucléaire - que la solution radicale pour l’emporter dans une guerre consiste à affamer les habitants des villes donc de couper les routes et tout acheminement de nourriture au sens large du terme.

- Un exemple qui paraît d’importance très minime au départ: hier dimanche j’attendais une partie de ma famille habitant Nancy pour célébrer une fête familiale. Tout était prêt : Riesling, Muscat,Gewurtztraminer attendaient dans le frigo, les canards tranquillement dans le four. L’heure tourne...tourne. Un appel téléphonique à partir d’une station d’essence: la 7ème ! Vide ! Plus rien sur la ville. Donc impossible de venir vu l’incertitude d’un ravitaillement en cours de route avec en perspective l’impossibilité pour le père d’assurer le travail du lendemain, celui d’un laboratoire d’analyses médicales : aller faire les prélèvements sanguins à domicile ! Avec des malades qui attendent les résultats. Et pour combien de temps ?
[A savoir qu’un refus lui avait été opposé la veille lorsqu’il avait voulu remplir par précaution le réservoir de la voiture du labo : seuls sont prioritaires les infirmiers et les médecins. Point]

- Autre souci qui tenaillait un membre de la famille en maison de retraite dans un village proche: vu la situation, la veilleuse de nuit pourrait-elle venir le soir ? Pas de plan de remplacement. Pas de transport en commun existant. Vous imaginez 50 personnes pour la plupart grabataires avec toutes les maladies liées à la vieillesse toutes seules pendant une nuit ?
Bien sûr la responsable de la résidence (gestionnaire de formation) – si elle est chez elle pourrait éventuellement venir à pied -4kms –...
Finalement une solution a été trouvée in extrémis : une aide soignante de jour en principe et habitant heureusement à côté a accepté de venir au pied levé.

- Dernier récit : comme je voyais mes voisins venir de leur pays (la Hollande) passer quelques jours dans leur maison secondaire, je suis allée les avertir de la situation pour qu’ils se mettent à la recherche d’essence. Quel étonnement : « Comment est-ce possible? Mais chez nous, la retraite est maintenant fixée à 67 ans et il n’y a eu aucune difficulté ! De toute façon, en Hollande il n’y a jamais de grève. Point. – Si nous ne trouvons pas de carburant dans la région, nous irons demain en Allemagne, ce n’est pas loin : à 60kms. »

En conclusion, un peu d’humour malgré tout : au menu de mes hôtes tous les jours de cette semaine ? Du canard...