mardi 5 février 2019

Mardi 05 février 2019. Petit voyage dans l'ordre symbolique post-moderne : ode burlesque et dézingante à la télévision


-
Je crois que dans ce passage de Rejet de greffe, MURAY a atteint le sommet de son art lequel consiste à démolir l’Empire du Bien et à réintégrer le péché originel dans l’Histoire. Je pense que vous allez vous payer une belle tranche de rigolade ! (Rejet de Greffe. Chapitre Ode à la Télévision. (Pages 403ss, passim.)
-
"Ô Télévision, toi sans qui les choses ne seraient pas ce qu’elles font semblant d’être !
Moloch informe et lumineux ! Rayon de la mort ! Poubelle irrévocable !
Ô Grand Fétiche de la vitesse absolue et de l’innocence irrémédiable ! Ô quantité enchantée et enchevêtrée ! Polycopie divine de toutes les multiplicités trafiquées !
Attention !
Toi qui as su ôter la vue aux aveugles, l’ouïe aux sourds, la signification à toute vie ; toi qui effaces les repères, démembres les langues, anéantis le sens de tout ; toi qui débarrasses en beauté les hommes de leurs illusions idéologiques, de leurs attentes utopiques, de leurs velléités critiques : toi qui les soulages de leur entendement, de leur jugement et de leur raisonnement, ô pur Non-Esprit !
Méfie-toi.
[…].
On rêve de jouir de toi, ô frigide nébuleuse. Des intellectuels repentants et sournois s’approchent, rodent, te reniflent, soupèsent, agitent sous ton nez les instruments d’investigation dont tu es le vivant et perpétuel anéantissement, ô non-sens souverain.
[…].
Ô télésphère insaisissable roulant dans tes vapeurs, au milieu de tes parts de marché, de tes sacrées soirées, de tes dimanches d’horreur, de tes téléthons, de tes froufrous, de tes cracras, de tes taratatas, de tes Drucker, de tes Pivot, de tes expéditions humanitaires, de tes chimpanzés maousse-kosto, de tes Nagui, de tes Dechavanne, de tes coucous c’est nous, de tes brassées de sondages en bouillie et de toute la quincaillerie de tes grilles de programme ! Voilà qu’ils voudraient te refaire une dignité à leur mesure ! Une beauté à leur goût !
Œsophage du monde nouveau, ils te traitent de « lien social indispensable » !
Ô caniveau !
Poubelle irrévocable ! Ne les laisse pas faire !
Refuse de te laisser arranger le portrait !
Ne deviens pas surtout leur Téléubu à visage humain, ce serait ta fin.
Reste l’inconnaissable, l’Obscure, l’Impénétrable.
Te voilà avertie, ô grande cochonnerie obligatoire ! Sois de plus en plus bête, obscène, téléthonne, délatrice, morbide, chiotte, corrompue, infâme. Le troisième millénaire sera dégueulasse ou ne sera pas. Ô Parque à Thèmes ! L’avenir épouvantable des siècles est à toi."

Il y a dans ce passage du CÉLINE, du BLOY et bien entendu du MURAY. J’admire et approuve ce jugement terrible sur la pire institution qui transforme le réel en virtuel par le prisme décomposant l’image sélectionnée. Pas plus tard qu’il y a deux jours, regardant par hasard (hélas !), le journal régional de France 3, je constate que le journaliste de service avait invité Philippe BESSON, un copain du Président, un futur consul dans une grande ville américaine. Il s’agissait pour la chaîne de faire de la publicité pour un nouveau roman du sus-dit, exaltant les vertes années de ses amours homosexuelles adolescentes. J’ai vite quitté le salon… Mais avant, j’avais dû subir la publicité, où systématiquement, apparaît, au milieu des figurants, au moins un Africain, pour faire multiculturel et mieux vendre la camelote vantée par des images idiotes et infantilisantes. Nous avons eu droit aussi à des retransmissions de quelques séquences du Grand Débat National, où, sous le meilleur angle (et après sérieuse filtration des participants) on voit un Président, recueilli, attentif, pénétré de son importance messianique. Société du spectacle, société qui refait à l’image des maîtres de l’outil, une France irréelle, imaginaire, tandis que la campagne crève de son isolement, des paysans se suicident tous les jours, des agriculteurs mettent la clé sous la porte, des éoliennes poussent comme champignons en humides printemps dans les petits villages qui n’en peuvent mai ! Pourquoi ne mettrait-on pas des éoliennes sur le Champ de Mars, aux Buttes Chaumont ou au Parc Monceau ? Il ne manque pas de vents en ces lieux boboïsés, et ça ferait bien plaisir aux écologistes parisiens, non ?

Aucun commentaire: