mardi 8 mars 2011

L'europe et l'Asie pour le millième billet

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C'est aujourd'hui le millième billet de ce Blog. Je voudrais combiner aujourd'hui les deux centres d'intérêt autour desquels j'ai tourné depuis mon premier billet : la politique, non point dans ses aspects politiciens, mais comme l'art de gouverner les peuples et les hommes en leur rendant ce qui leur est dû parce qu'ils sont des hommes ; et la Chine, ma deuxième passion.
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Gilbert Keith CHESTERTON, homme de lettre et journaliste anglais, a publié dans le journal londonien Illustrated London News, quarante-deux propos, au cours de l'année 1927. Ces propos ont été rassemblés en un ouvrage qui, dans sa traduction française, porte un titre très évocateur : A bâtons rompus. Il parle de toutes sortes de choses avec profondeur et en même temps légèreté, comme vous pourrez le constater dans ce qui suit (il suffit de se rappeler que nous sommes dans le premier tiers de XXe siècle quand ces lignes ont été écrites ; elles sont extraites du quatrième article intitulé A propos de l'Europe et de l'Asie).
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"Pour ce qui est de l'opinion exprimée par un capitaliste de tout premier plan selon laquelle tout eût été bien en Chine si nous avions retiré les missionnaires et sans doute laissé seulement les marchands, je dirai personnellement (pour corriger légèrement le propos) que tout eût été bien si nous avions retiré les marchands et laissé les missionnaires. Mais sous réserve de cette différence, je serais tout à fait prêt à accepter en bloc le fond et la forme de sa phrase.
[...] Si notre civilisation a quoi que ce soit à donner aux autres population de la planète, ce doit sûrement être de leur apporter des idées d'homme et pas seulement de leur vendre des pantalons, des chaussures et des chapeaux melons. [...] Notre tournure d'esprit concernant l'expansion des méthodes européennes en Asie a toujours été d'une inconséquence des plus confuses et immorales. Nous avons insisté pour qu'ils aient des machines et nous nous sommes opposés à ce qu'ils aient des mitrailleuses ; nous leur avons souvent permis d'entrer dans nos académies et interdit de prendre place à leurs propres assemblées nationales ; nous nous sommes moqués d'eux parce qu'ils portaient leur propre costume, puis moqués d'eux parce qu'ils portaient le nôtre. [...] La question chinoise est vraiment sérieuse et il est temps que le Chinois nous apparaissent sérieusement pour ce qu'il est en soi et non pour ce qu'il nous apparaît à nous, [je veux dire] l'incarnation de quelque chose d'extravagant et d'extrême, aux extrémités de la terre."
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Et un peu plus loin, ceci :
"Bref, l'Européen prend un air supérieur, mais pas dans le domaine où il est vraiment supérieur. A cet égard, il y a une ironie très étrange et une contradiction, voire même un renversement de situation. Non seulement l'Asie a emprunté tout ce que l'Europe a de mauvais, mais l'Europe elle aussi a très largement puisé dans tout ce que l'Asie a de mauvais. [...] Nous n'avons pas réussi à faire que le lointain Asiatique se sente chrétien, mais nous avons réussi à lui donner l'allure d'un malotru [CHESTERTON fait ici allusion à la laideur et la vulgarité des vêtements des Occidentaux]. Ceci me paraît l'une des plus étranges et des plus sinistres de toutes les contradictions historiques, lorsque nous considérons ce que la chrétienté avait à donner et ce qu'elle a donné."
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Tout le développement qui suit est d'une profondeur incroyable. Je n'ai pas pour le moment le loisir de le détailler. Je dirai simplement que pour CHESTERTON, le meilleur de l'Europe ("l'esprit de libre arbitre, d'engagement personnel chevaleresque et charitable, ce vent frais d'espoir", "les idées courageuses et vivifiantes, de celles qui rendent possible la vie en commun, la chrétienté en a infiniment plus que n'importe quelle culture") nous n'avons pas su, ou surtout pas voulu le transmettre. Révolution Française oblige, rationalisme des Lumières et sociétés de pensée qui le soutenaient, de même. Et c'est ainsi que HEGEL s'est payé le luxe ridicule de refuser à CONFUCIUS le statut de philosophe que les Jésuites européens lui avaient pourtant accordé vers la fin du XVIIe siècle, en publiant leur Confucius sinarum philosophus. Chercher l'erreur ; considérez les résultats ; regardez qui a honoré et compris l'esprit de la Chine, et qui a rêvé de "pendre le dernier prêtre avec les tripes du dernier roi". Oui, cherchez l'erreur. Soyez honnête, et dites si nous avons gagné à mettre MARX et LENINE au coeur de cet immense pays, au lieu et place de JESUS.
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8 commentaires:

tippel a dit…

Mille billets nostalgiques et poétiques.
Plaisirs de lire vos idées politiques.
Pour cet anniversaire à Philippe je dédie.
Mes pauvres vers, pour ses fabuleux écrits.

Anonyme a dit…

Cher Professeur.

Pour le millième billet, je vous félicite et vous encourage de continuer à écrire. Je n'ose dire à continuer votre combat.

Envoyer des missionnaires plutôt que des marchands en Chine... L'auteur est très anglais. Et d'une autre époque. Mais son point de vue demeure très très intéressant.

Je vous lance un défi pour votre millième.

Quel est d'après vous, l'OCCIDENTAL le plus prisé des Chinois ( de Chine Populaire ) ?

J'attends votre réponse.

Pour vous aider, je dirais qu'il est de la même génération que celle de Chesterton. Parlant la même langue mais avec un accent différent. Son nom de famille porte le nom d'une ville en France.

Envoyer des missionnaires ou des marchands. À l'époque de Chesterton, les missionnaires se faisaient " sauter " par les Japonais. Quant aux marchands...

Romrik a dit…

Et dire que je suis tombé par hasard sur ce blog il y a un an,pour chercher une info, sur mon cours de pharmacotechnie.

Les œufs de poules embryonnés: EOPS, servant à la culture virale.

Et alors me direz vous?
Et bien...rien...

Félicitation à l'auteur de se blog, à ses lecteurs, et commentateurs pour l'incessante exhaustivité d'esprit qu'ils procurent.

PS: Je le confesse, j'ai pas lu les milles!

Roparzh Hemon a dit…

Longue vie au blog de Philippe POINDRON!

Philippe POINDRON a dit…

Cher Rougemer, j'avoue que je donne ma langue au chat. Qui donc, contemporain de CHESTERTON, parlant sa langue, serait-il l'Occidental le plus prisé des Chinois ? Il serait américain ? (Je le suppose si son accent est différent). Je cherche et ne trouve pas. Voulez-vous m'éclairer ?
Bien amicalement.

Anonyme a dit…

Cher Professeur,

L'Occidental le plus prisé des Chinois est souvent le moins bien connu des Occidentaux en Occident.

Non il n'était point Américain.

Parlé de lui va me donner la chair de poule et les larmes aux yeux, car pour moi il est le héros occidental moderne vu de la Chine. Je l'ai toujours admiré, et ce depuis longtemps.

Il n'était ni marchand, ni missionnaire, bien que son père fût pasteur.

Son grand-père était fils d'un négociant de fourrure et petit-fils d'un pasteur Écossais, chirurgien et l'ami du fondateur de la Croix Rouge, Henri Dunant, autre chirurgien célèbre.

Il était enfin un compatriote Canadien. Un chirurgien lui aussi comme son grand-père. Il s'appelait Norman Bethune. Ou le docteur " Blanc ". 白大夫。白求恩。

Il ne prêchait rien, ni ne vendait rien. Il donnait. Et que donna t-il ? Son savoir, ses compétences, son sens du travail acharné, son courage, son sacrifice, son amour des hommes, sa passion pour le peuple. Il avait mis son savoir, ses compétences au service du peuple.

Il était ce que les Chinois attendaient d'un Occidental. Oui, il avait les qualités humaines que les chinois admirent. Des encore pour le courage et le goût du sacrifice !

Même s'ils étaient communistes à l'époque, ils étaient quand même Chinois avant tout, ils étaient aussi des hommes. Et ils ont vu juste.

Je vous laisse le soin de découvrir sa biographie sur :

http://fr.wikipedia.org/wiki/Norman_Bethune

http://chineseposters.net/themes/bethune.php
http://www.suite101.com/content/dr-norman-bethune-was-surgeon-and-inventor-a101141

Les Chinois sont des gens très pragmatiques, et cela n'a rien à voir avec le matérialisme marxiste. Ils aiment apprendre, échanger et ils sont beaucoup ouverts que ne le croient les occidentaux, à condition d'ouvrir la bonne porte.

Vous avez raison d'apprécier les Chinois. Les Occidentaux ont beaucoup à apprendre d'eux.

La porte s'ouvrira à celui qui fera montre d'un profil bas.

Bien à vous.

Rougemer 2011 03 09

Philippe POINDRON a dit…

Oui, j'aime le peuple chinois et les Chinois. Ils ont un sens inné du réel, sans doute parce qu'ils ont beaucoup souffert pendant leur si longue histoire. Et leurs philosophes contemporains s'inspirent justement de la philosophie dite "pragmatique" américaine (John DEWEY). Leurs Lettrés avaient un sens artistique exceptionnel, le peuple aimait les rites par quoi il agissait. Nous aimons, nous, les mots et nous croyons que "dire c'est faire", comme le dit AUSTIN, un autre philosophe pragmatique, anglais celui-là, mais nous, nous le faisons en restant seulement en restant au niveau de l'énonciation purement phonétique.
Nous avons une arrogance qui nous a été infusée par les prétendues Lumières lesquelles croyaient produire de l'Universel, et ne fabriquaient que du parisien, du berlinois ou du londonien. Les cours que je suis au Collège de France, et que dispense le Pr Anne CHENG, m'ont définitivement ouvert les yeux sur cette prétention ridicule qui nous a poussé à humilier un grand peuple en lui fourguant de l'opium et en faisant main basse sur ses ports et ses rivières. Ces choses doivent se savoir au nom de la vérité, et en vue de la réconciliation dans le respect.

Anonyme a dit…

Cher Professeur,

Merci pour votre mot très émouvant.

Nous, vous et moi, avons emprunté des voies différentes, mais cela n'empêche pas de se retrouver à bien des endroits.

La guerre de l'Opium n'est guère terminée. Les Occidentaux " fourguent " aux Chinois des hamburgers qui les rendent obèses et engraissent les caisses des actionnaires occidentaux. Les Occidentaux " fourguent " des automobiles à essence qui les asphyxient de jour en jour mais donnent de l'air frais aux actionnaires occidentaux. Sans oublier les entreprises chimiques, les céréales infertiles distribuées par les Américains premier fournisseur mondial de céréales et de coton.

Cependant en 150 ans de résistance contre l'Occident, les Chinois ont appris la leçon. S'ils ont vu le vrai visage de l'Occident qui finançait la faillite de l'Empire des Qing, ils ont compris qu'il fallait qu'ils se rendent indispensables au développement sans scrupules du même occident. Autrement, ils se sont servis de la rapacité du " Blanc " pour se relever et s'affirmer dans le monde.

Aujourd'hui ils tapent sur la table, n'écoutent plus les cravateux voyous aux cheveux blancs des bureaux de New York City et s'imposent. L'occident ne peut plus sans eux.

Ils sont les maîtres de la finance, et font jongler les Américains avec leur billet rouge à l'effigie de Mao. Ils sont les maîtres de la haute technologie en faisant frémir les multinationales de la communication et de l'armement avec la main mise sur les Terres Rares. Ils font plier la plus grande multinationale agroalimentaire qui ne trouve qu'en Chine l'élément qui permet à sa boisson de converser le même goût.

Mais ils ne sont pas au bout de leur peine, même si la vapeur est renversée, et les jours bienheureux de l'occident sont comptés.

Bien à vous.

Rougemer 2011 03 10