mardi 9 septembre 2008

Au risque de choquer

Au risque de choquer mes (rares) lecteurs, je fais mien ce que dit Gustave THIBON dans son Diagnostics. Essai de Physiologie sociale. Avant de commenter ce constat lucide, je le cite dans son ensemble :
C'est un fait : jamais peut-être, d'une classe à l'autre de la société ou entre hommes de niveau culturel différent, on n'avait observé tant de distances et si peu d'échanges. L'influence humaine, positive des élites sur le peuple est maintenant voisine du néant. On avait cru pourtant - et ce fut un des mythes majeurs du XIXe siècle - que la fraternité, la communion symphonique des hommes naîtrait du relâchement de l'esprit de classe et, à la limite, de la suppression des barrières sociales. Mais ce qui arrive n'est paradoxal qu'en apparence. La confusion n'unit pas, elle sépare : elle crée entre les éléments confondus des oppositions irréductibles. Toute réciprocité d'influence implique une solide diversité de nature et de position. C'est dans les sociétés fortement diversifiées et hiérarchisées, où le passage d'un étage à un autre est très difficile, voire impossible, que s'établissent entre les membres de ces hiérarchies, les échanges les plus féconds et les plus durables.
Avant de s'emporter, de pester contre ce vieux réactionnaire de Gustave THIBON, il me paraît utile de se poser quelques questions. Égalité ! Égalité ! crie la populace (que je n'aurai garde de confondre avec le Peuple). Elle se fait l'écho de toute une classe de politiciens qui ne cessent de gloser sur les inégalités, les commenter, critiquer les distinctions sociales, non pour les combattre, mais pour les utiliser à des fins impures : la prise du pouvoir, et rien que cela. En général, leurs petites réunions se tiennent dans des bistrots chics, et l'on trouve autour de la table des normaliens, des énarques, des professeurs (notamment en Sciences Politiques), toutes personnes fort honorables certes, mais qui ont peu de points communs avec un salarié, un ouvrier, ou un fonctionnaire subalterne. Abolissant en esprit la distance qui les sépare de ces citoyens moins favorisés, avec lesquels ils ne fraient point, si ce n'est en paroles, ils feignent de se mettre à leur place en ignorant tout de leurs préoccupations, de leurs angoisses, de leurs désirs profonds. Et ils inscrivent dans les esprits le "Pourquoi pas moi ?" de l'envie la plus basse.
Mais qui de ces jeunes, désolés de leur maigre situation et de perspectives d'avenir bouchées, aurait passé ses vacances à travailler physique ou mathématiques ou anglais, pour préparer la future année scolaire, comme l'a fait un de mes neveux, dont la famille n'est pas spécialement fortunée ? Qui, parmi les revendicateurs, aura profité des six mois de gratuité de nombreux musées nationaux, pour se cultiver, profiter des conférences explicatives, commencer à rentrer dans le monde enchanté de la culture ?
Il n'est pire démagogie que de laisser croire à une ascension sociale automatique, garantie par le seul jeu des lois, de la redistribution des ressources, et de l'abolition artificielle des barrières de classe. S'élever dans l'échelle de la société, réclame efforts, ascèse et responsabilité accrue vis-à-vis de ses concitoyens. L'objectif n'est pas de consommer plus, ni même de gagner plus (fatale erreur), mais d'être plus, plus libre, plus fraternel, plus bienveillant, plus ouvert, plus généreux, plus partageur, plus responsable. Loin de moi l'idée que ces vertus ont déserté le Peuple. Bien au contraire. (Un peuple sain regorge de vitalité, et de richesse humaine. Le rôle du politique est de la détecter et de la mettre au service du pays.) La véritable égalité, selon moi, est de donner à ceux de ses fils qui en présentent le désir et les aptitudes, les moyens, tous les moyens pour réaliser en acte.
Tout le reste est littérature. L'homme n'est grand que s'il est responsable. La responsabilité peut être plus ou moins avérée selon les cas ; mais elle n'est jamais nulle. Mettre sur le compte de la société la totalité des misères qui frappent tel ou tel relève en partie de l'imaginaire. Qu'il y ait des conditions sociales qui favorisent ou défavorisent l'évolution des vies humaines est l'évidence même. Mais il n'y a pas d'automatisme. Et la bonne question que l'on devrait se poser est la suivante : pourquoi, dans des familles à conditions socio-économiques défavorisées, y-a-t-il des jeunes gens et jeunes filles qui développent des talents de tous ordres, réussissent fort bien dans leurs études, font une brillante carrière et restent simples, ouverts et bienveillants ? Pourquoi ? J'en connais, et plus d'un. Si l'on arrivait à trouver des réponses scientifiquement fondées à cette question, on aurait fait faire bien des progrès à l'éducation et à la politique.

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