D'ordinaire mieux inspiré, monsieur BADINTER s'est livré hier à un exercice périlleux, celui de commenter la visite de Benoît XVI, en y mettant toutes les nuances, en condamnant sans condamner, tout en désapprouvant mais en réservant quelques éléments positifs qui etc. etc. Bref, il s'est pris les pieds dans le tapis. Voici, en substance, ce qu'il dit :
La Constitution de la République française en son article un stipule que la République est une, laïque et indivisible. Par conséquent la laïcité n'est ni positive ni ouverte, elle est républicaine. Na ! Et il ne convient pas de raviver une querelle qui était en train de s'éteindre (à vrai dire on se demande qui ravive la querelle, si ce n'est les opposants à une visite prévue depuis longtemps)
La laïcité est donc républicaine. Voilà, selon moi, une affirmation qui ne veut strictement rien dire, et que chacun peut entendre de la manière qui lui convient. Les tenants du "camp laïc" y comprendront qu'il faut continuer de combatte les Églises et les religions, et plus précisément l'Église catholique. D'autres, moins sectaires, comprendront que les décisions des politiques ne doivent pas s'appuyer sur des considérations religieuses ; d'autres, ce sont sans doute les plus nombreux, que la religion (qu'ils appellent croyance) doit être cantonnée à l'espace privée. Et puis il y a les gens qui s'intéressent aux faits, et qui remarquent que l'homme est un être en quête de sens, un sens qui ne peut être absolument trouvé dans la seule satisfaction des besoins matériels. Et ils se demandent si ce besoin peut trouver un moyen d'expression dans l'espace public. Le sens, les uns le trouvent dans le sport, d'autres, dans les arts, dans la politique, certains encore dans le travail intellectuel ; pour d'autres encore, dont le nombre croit, le sens sera trouvé dans le recours aux voyantes, aux gourous, à l'astrologie, à la numérologie, au yoga, à la méditation zen, aux pratiques bouddhistes. Un observateur minutieux de la société française contemporaine ne peut que constater cette soif de sens de nos concitoyens, soif qui renvoie l'homme à sa finitude et lui révèle, pour autant qu'il ait le courage et l'honnêteté de le faire, son désir d'infini ; en même temps, l'observateur verra l'émiettement des efforts dans la quête du sens. Ce désir-là d'infini, on le trouve dans une forme à la fois touchante et populaire, qui fait rimer amour avec toujours. Je suis du reste tout près à accorder aux tenants du laïcisme pur et dur cette tension vers le sens ; souvent ce sont des hommes et des femmes dévoués et généreux, ouverts à la détresse des pauvres. Qu'ils le veuillent ou non, ils sont sur un chemin de sens qui est un chemin spirituel.
Or les milieux qui font l'opinion publique ne croit pas à l'amour, car ils ne l'aiment pas. (Tout au plus prôneront-ils la générosité, d'une tout autre nature.) C'est pourquoi tel journal consacrera un article "au divorce sans douleur", un autre narrera les frasques extra-conjugales de telle ou telle lectrice, ou la fierté qu'elles ont trouvée à faire chuter un homme marié (je n'invente rien). Bien entendu, personne n'étudie les effets de ces campagnes et de ces pratiques sur la stabilité de la société, et sur l'efficacité du politique dans un contexte aussi libertaire. Pourquoi en effet, se soumettre aux rigueurs de la règle, quand la culture dominante baigne dans la jubilation de la transgression et l'exaltation de la jouissance ?
Il n'est alors pas étonnant que les esprits droits, souvent du reste des esprits simples, des esprits d'enfance, se tournent vers des sources de sens plus unifiantes. C'est du reste l'une des raisons essentielles du succès des églises évangéliques. Elles réfutent toute institutionnalisation, connaissent, cultivent, diffusent, interprètent la parole de Jésus, parfois en se plaçant hors de la Tradition reçue des disciples passés. Mais elles ne font pas semblant, ces églises. Et je connais nombre de chrétiens évangéliques qui sont des exemples, des témoignages.
En somme, en refoulant dans l'espace privé les grandes questions que l'être humain se pose, en se bornant à combattre les religions, en se cantonnant (souvent) à un matérialisme de bas étage, la laïcité se passe de toute une réflexion qui permettrait au politique de trouver des issues acceptables à de brûlantes questions, s'il pouvait en débattre dans l'espace public, le sien. Monsieur BADINTER a des croyances, comme les chrétiens ; il rend un culte à la constitution, en oubliant que la Loi est faite pour l'homme et non l'homme pour la Loi ; il donne l'impression que les religions sont nuisibles à la société ; mais il ne trouve aucune solution de substitution pour répondre aux questions existentielles de ses concitoyens. On n'adore pas un taux de croissance ; on ne donne pas sa vie pour le PIB ; on ne va pas en pèlerinage au Sénat ou à l'Assemblée Nationale ! Or le but du politique est de conduire l'homme à la fin qui lui est due. J'aimerais savoir quelle fin notre éminent juriste assigne à ses congénères et si finalement il est d'accord que c'est là la justification de la politique.
J'ajoute, pour terminer, que ce climat de persécution molle qui pèse sur les chrétiens, et tout spécialement sur les catholiques, va très exactement à l'encontre du but poursuivi. On attendait 15.000 jeunes sur le parvis de Notre-Dame, hier soir ; il en serait venu, (chiffre à confirmer) 50.000. Il y avait 220.000 personnes ce matin sur la Place des Invalides (chiffre de la Préfecture, ceci à l'intention de madame DROIT avec qui je préférerais dire un Notre Père que polémiquer). Plus ils critiqueront, et plus ils susciteront dans le coeur des disciples le désir de témoigner. Merci à monsieur BADINTER, merci à monsieur BLONDEL !
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