On m'accordera que RENAN n'était ni un calotin ni un cul béni. Homme fort savant, spécialiste des langues sémitiques anciennes, il avait de la hauteur de vue et de la sympathie, pour ceux-là même dont il n'approuvait pas les idées. Il est donc tout à fait intéressant de lire ce que ce grand esprit disait dans la préface des Questions contemporaines (1868), à propos de la Révolution sur laquelle il avait jeté le plus lucide des regards :
Avec leur mesquine conception de la famille et de la propriété, ceux qui liquidèrent si tristement la banqueroute de la Révolution dans les dernières années du XVIIIe siècle préparaient un monde de pygmées et de révoltés. Ce n'est jamais impunément qu'on manque de philosophie, de science et de religion. Comment des juristes, quelque habiles qu'on les suppose, comment de médiocres hommes politiques, échappés par leur lâcheté aux massacres de la Terreur, comment des esprits sans haute culture, comme la plupart de ceux qui composaient la tête de la France, en ces dernières années décisives, crurent-ils résolu le problème qu'aucun génie n'a pu résoudre : CRÉER ARTIFICIELLEMENT ET PAR LA RÉFLEXION l'atmosphère où une société peut vivre et porter tous ses fruits (les majuscules sont de votre serviteur).
Voilà le vice originel de notre pensée politique actuelle : croire qu'il suffit d'avoir des idées, sagement ordonnées en un système lisse et supposé dépourvu de contradictions, pour fonder un régime durable, accordé au désir des citoyens, et au but de la politique (qui consiste, on le rappelle, à conduire les hommes à la fin qui leur est due). Ils étaient non seulement cruels et lâches, ils étaient aussi aveugles tous ces petits bourgeois, de la Terreur au Consulat, en passant par le Directoire. Ils nous ont préparé une patrie où il ne ferait plus bon vivre, et qui verrait les meilleurs de ses enfants s'exiler pour respirer et vivre, une patrie qui ne cesserait de perdre de l'influence au cours des années et de l'éclat, et qui finirait par se résoudre en paillettes de pouvoir d'achat, de travail du dimanche, de RTT, de Star Ac, de Ségolène et de Nicolas. Misère de misère ! Où est-il le temps où l'art et la science se faisait à Paris ? Où notre langue était admirée et parlée par les savants de toute l'Europe ? Voilà à quoi ils nous ont réduits : à borner notre désir à celui de devenir (à leur image) des petits bourgeois avides, envieux, rétrécis. J'ai en horreur cette vision atomisante de l'homme, cette vision qui anéantit tous les liens qu'une société pragmatique et riche d'une expérience multiséculaire a tissé, n'en gardant que les meilleurs et les plus solides. Triste héritage que celui de la Révolution. Quand aurons-nous le courage d'en faire l'inventaire et d'en tirer les conséquences ? Il n'est que temps si le mot France nous fait encore vibrer.
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