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Monsieur PORTELLI, toujours lui, a énoncé les valeurs qui selon lui devaient être défendues absolument. Il vous souvient qu'ils les appelaient "nos" valeurs sans préciser qui en étaient les possesseurs ou promoteurs. L'une d'elle, et je l'avais indiqué dans le billet consacré au magistrat, m'a paru essentielle : la passion de comprendre. Et puisqu'il insinue, sans le dire, que c'est l'islam qui est visé par ceux qu'il exècre, j'ai voulu en savoir plus sur cette religion.
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Déjà j'avais lu le livre de Hans KÜNG, Van ESS, STIETENCRON et BECHERT intitulé Le Christianisme et les religion du monde : islam, hindouisme, bouddhisme (Editions du Seuil, Paris, 1986), mais il y a bien longtemps ; et ce livre est aujourd'hui enfoui dans l'un des nombreux cartons où dorment les ouvrages que je n'ai pu loger chez moi faute de place. Il a été écrit dans une période un peu particulière de l'après-concile, en un moment où la douce euphorie qui planait sur les relations islamo-chrétiennes allait en s'atténuant. Il est passionnant, mais sa méthode est tout sauf historico-critique. Les auteurs s'efforcent de dégager dans les doctrines des trois religions qu'ils étudient, les points positifs, les pierres d'attente pour une rencontre unifiante en Jésus-Christ de tous les fidèles sincères des trois religions. La méthode est comparatiste et ne porte pas spécifiquement sur l'islam. Il en ressort qu'il y a dans des religions, des éléments effectivement dignes d'intérêt et de respect de la part des chrétiens en raison de leur haute valeur spirituelle.
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Mais j'ai voulu en savoir plus, et surtout avoir un point de vue contemporain sur le sujet. Il faut croire que la Providence me couvre de sa bienveillance. J'ai trouvé un livre - en tout point remarquable et que je recommande à ceux que dévore la passion de comprendre -, intitulé Comprendre l'islam, risque ou défi ? (Editions des Béatitudes, sans mention de lieu, 2010). L'auteur en est le Père Pierre-Marie SOUBEYRAND. Ce prêtre est membre de la Communauté des Béatitudes. Il est père blanc et a exercé son ministère dans le Maghreb, au Proche-Orient et en Afrique de l'Ouest, pendant 40 ans. Il a d'abord passé deux années à l'Institut Pontifical d'Etudes Arabes et Islamiques de Rome. Il s'agit là d'un des Instituts les plus pointus en ces matières ; il s'y développe des recherches internationalement connues. Bien entendu, le Père SOUBEYRAND parle couramment l'arabe. Il a sur Hans KÜNG et ses collaborateurs le double avantage de parler la langue dans laquelle le Coran est écrit, et d'avoir vécu pendant 40 ans avec des musulmans. Je doute qu'il en aille de même pour monsieur PORTELLI.
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Le but du Père SOUBEYRAND est d'établir les fondements d'un dialogue vrai avec les savants musulmans, versés dans le Coran et la théologie de l'islam. Il n'est nullement polémique, bien au contraire. Il fait dans ses premiers chapitres (j'en suis là, et donc ma contribution est partielle), un travail qu'aucun érudit musulman ou presque n'a jamais fait, celui d'établir ou de rétablir la vérité historique sur les premiers moments de l'islam. Et par ailleurs, il s'appuie sur les documents conciliaires, et notamment sur la Déclaration Nostra Aetate relative aux religions non chrétiennes. En somme, une démarche scientifique : un savant arabophone, un chrétien bienveillant s'efforce de jeter sur l'islam un regard de vérité et d'amour, susceptible de faire naître un climat propice à un vrai dialogue.
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Voici ce que dit le Père SOUBEYRAND dans son avant-propos :
"Pour l'heure [l'après-concile immédiat veut dire le Père], le dialogue était ce voile pudique jeté sur toute différence. Il semblait devoir à la fois sauvegarder un mystère encore caché, sous peine de perdre raison et retenue, et à la fois maintenir une apparente cohérence des aspirations religieuses convoquées dans un même combat pour le maintien de la vertu de religion dans un monde sécularisé. Le dialogue, dans bien des cas, devenait un alibi pour réconcilier l'inconciliable, supporter l'insupportable, et surtout donner l'illusion d'une humanité réconciliée, en donnant raison à l'Uma d'Allah."
Après avoir évoqué la manipulation politico-médiadique organisée par KADHAFI à TRIPOLI en 1976 (rencontre islamo-chrétienne, dont le Vatican a été obligé dénoncer le communiqué final, après avoir envoyé là-bas le Cardinal PIGNEDOLI), ainsi que d'autres tentatives tout aussi illusoires, le Père SOUBEYRAND évoque la tendance relativiste, droit-de-l'hommiste, fade, sans ambition évangélisatrice, de ces années-là ("Le monde musulman était une fatalité, dit-il, que nous devions accepter comme tel, en étant réduits à l'impuissance, tout en essayant de garder des liens d'amitiés et une convivialité 'au coeur des masses'. [...] Le rêve sera de courte durée.").
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Enfin, dans l'Introduction à son ouvrage, l'auteur commence ainsi : "Pour l'Islam [majuscule, car signifiant une civilisation et une politique ; c'est votre serviteur qui souligne. On utilise une minuscule quand on parle de la religion], les dimensions politiques et religieuses restent intimement liées, ce qui, pour la pensée judéo-chrétienne et occidentale, prête à confusion et complique les relations. L'Islam fait régulièrement la une des médias, l'attention des politiques d'intégration, des enjeux juridiques, de compréhension et de dialogue social et religieux. Personnes n'ignore ces difficultés, mais peu de personnes parviennent à envisager des solutions, tant, aujourd'hui, le phénomène semble dépasser, non seulement l'individu dans sa vie quotidienne, mais les structures sociales politiques, voire étatiques et continentales."
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Voilà un point de vue qui me semble constatif, dépourvu de tout jugement de valeur, un point de vue respectueux de ce que l'autre dit de lui-même. C'est tout de même plus précis, mieux situé (le Père dit bien d'où il parle, prêtre, chrétien, occidental), plus près du réel que les assènements de monsieur PORTELLI. C'est un point de vue qui ne cache pas les difficultés d'un dialogue authentique. Je reviendrai dans un prochain billet sur l'apport inestimable du Père SOUBEYRAND en matière d'histoire proto-islamique, domaine que les imams et théologiens musulmans n'ont jamais su, voulu, ou pu envisager (sauf quelques rares chercheurs égyptiens, pour autant que je m'en souvienne). Il suffit de retenir que monsieur PORTELLI, sous couvert de respecter la différence, ne fait que l'abolir, en niant ces réalités.
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On me pardonnera la longueur et la sécheresse de ce billet. Mais il est important d'être en vérité en cette matière, puisque, paraît-il, un débat doit s'ouvrir sur ce sujet en France.