Je viens d'achever la lecture d'un livre merveilleux dû à Giorgio MANGANELLI : Chine et autres Orients. Voilà un carnet de voyages qui ne se laisse pas résumer, mais qui se savoure, tant la langue (admirablement traduite de l'italien) est savoureuse, foisonnante, riche, suggestive et mystérieuse à la fois. Permettez-moi simplement de vous donner ici la conclusion de ce petit chef d'oeuvre, laquelle est intitulée : Le Cabinet des lettrés.
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"Ceux qui aiment ardemment les livres constituent sans qu'ils le sachent une société secrète. Le plaisir de la lecture, la curiosité de tout et une médisance sans âge les rassemblent.
Leurs choix ne correspondent jamais à ceux des marchands, des professeurs ni des académies. Ils ne respectent pas le goût des autres et vont se loger plutôt dans les interstices et les replis, la solitude, les oublis, les confins du temps, les moeurs passionnées, les zones d'ombre.
Ils forment à eux seuls une bibliothèque de vies brèves. Ils s'entrelisent dans le silence, à la lueur des chandelles, dans le recoin de leur bibliothèque tandis que la classe des guerriers s'entre-tue avec fracas et que celle des marchands s'entre-dévore en criaillant dans la lumière tombant à plomb sur les places des bourgs".
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Ah ! quelles mélancolie dans ces propos ! Cacheraient-ils quelques secrets désespoir ? Comment le savoir puisque le propre des grandes plumes est de laisser le lecteur devant les multiples interprétations possibles de textes conçus et enfantés souvent dans la douleur ?
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Je dois dire que je me reconnais assez bien dans le lecteur bizarre et biscornu qui se repaît de livres dont aucun hall de gare ne voudrait, pas même dans ses réserves. Non, mes choix ne correspondent pas à ceux des marchands, et surtout pas à celui des pantins qui siègent pour le compte de leur éditeur dans les jurys de prix littéraires, prix proclamés prestigieux par tout ceux qui profitent de ce prestige. Non ! Je préfère la ténébreuse solitude du métro, où faute de trouver des hommes disposés à échanger, je finis par me plonger dans ces ouvrages étranges en attendant de retrouver l'air libre mais surchargé des vapeurs indéfinissables et corrompues, celles d'une mégalopole en train de rendre l'âme.
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Sehnsucht aurait dit je ne sais plus quel auteur allemand qui cheminait dans la Rue de Seine, il y a des décennies, cette rue jadis décorée de boutiques de marchands de gravures anciennes qui peu à peu ont disparu. Un jour, il n'y aura plus là que des marchands de fringues, de panini et de kebabs ! Allez, je retourne à mes lectures et à mes voyages intérieurs.
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Bonne journée.
2 commentaires:
Cher Professeur,
Vous voilà bien mélancolique.
Les Chinois disent que sur 10 choses, une seule vous apportera du bonheur. Les neuf autres n'étant que de l'ennui et de la sueur.
Quand on pense à ces Anciens qui parfois n'écrivaient pas leurs ouvrages ( C'était les disciples ou les successeurs qui récupéraient les propos ), ou s'ils les écrivaient ils écrivaient à la main, en laissant à la postérité une vague calligraphie, mais dont le sens de leurs pensées et de leurs poésies demeurent et frémissent encore dans nos coeurs aujourd'hui.
Un mot de Li Bai :
仙人有待乘黄鹤,海客无心随白鸥!
L'esprit céleste attend de chevaucher le grand héron ( pour monter au ciel )
mais les marins se moquent bien de suivre les goélands.
Si le grand héron ne vient pas chercher l'esprit, l'esprit ne pourra monter au ciel. et le paradis ne sera pas réalisé.
Alors que celui qui vit au bord de mer, et s'en vaen mer, s'amuse avec les mouettes, ne fait qu'un avec le monde.
Dans le brouhaha d'aujourd'hui, ces quelques mots suffisent pour dire : je ne suis pas venu ici pour rien.
Et la seule chose parmi les neuf qui reste, c'est sans doute cela le bonheur, l'insouciance de ces instants.
Avec mes amitiés, professeur.
Comment vous remercier pour ces commentaires si pertinents ? Je ne crois pas être nostalgique ou mélancolique, mais simplement réaliste. J'avoue avoir de la peine à m'adapter au monde qui vient.
Amicalement.
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