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Au lieu d’un château fort dressé
au milieu des terres, pensons plutôt à l’armée des étoiles jetée à travers le
ciel.
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CHESTERTON REMET LES PENDULES À L’HEURE
QUANT À LA PLACE DE L’ÉCONOMIE DANS LA VIE HUMAINE.
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"[…]. Que l’homme ne puisse pas
vivre sans pain n’implique pas qu’il vive seulement de pain. Il lui est naturel
de se préoccuper beaucoup moins des mécanismes économiques qui, lui procurant
son pain quotidien, assurent son existence, que de cette existence elle-même,
de l’univers où il s’éveille chaque matin, de la place qu’il y tient. Ce n’est
pas sa subsistance qui le préoccupe le plus, mais son existence. Pour une fois
où il se représentera clairement ce que lui rapporte son travail et ce que lui
coûte sa nourriture, il lui arrivera dix fois de se dire qu’il fait beau, que
le monde est bizarre, que la vie vaut d’être vécue, que le mariage n’est pas
toujours rose, que les enfants sont gentils, mais que sa jeunesse était plus
gaie, bref de méditer vaguement sur le mystère de la vie humaine. Ce que je
viens de dire est vrai de la plupart des esclaves à gage de notre monde
industriel qui, par son horreur et son inhumanité, a réussi à rendre réellement
primordiale la question économique, mais l’est infiniment plus de la multitude
innombrable de paysans, de chasseurs, de pêcheurs qui forment encore la plus
grande partie de l’humanité. Même les cuistres qui font dépendre la morale de
l’économie suppose l’existence. L’existence implique une foule d’interrogation
mais, d’ordinaire, nous songeons plus souvent à son sens qu’à ses moyens. La
preuve de ce que j’avance est simple, simple comme le suicide. Abolissez
l’univers par l’imagination, vous abolirez du même coup les professeurs
d’économie politique ; si vous avez décidé de mourir, vous n’avez plus
besoin qu’ils vous apprennent comment vivre. Toutes les initiatives et toutes
les décisions qui forment le cours de notre histoire ont eu ce caractère commun
d’enrayer le cours purement économique des choses. De même que l’économiste
peut se dispenser de calculer l’augmentation du salaire du suicidé, il peut
omettre de calculer la retraite du martyr. Et de même qu’il est inutile qu’il
calcule la pension du martyr, il est inutile qu’il calcule les allocations
familiales du moine. Les plans de l’économie sont, à chaque instant, remis en
question par le soldat qui meurt pour son pays, par le paysan qui laboure son
champ, par le converti qui s’exerce à suivre les préceptes de sa religion, ce
qui ne relève pas d’une comptabilité des moyens de subsister, mais d’une vision
du sens de l’existence ― de ce que l’homme ressent au fond de lui-même quand il
regarde à travers ces étranges fenêtres qu’on appelle des yeux, cet étrange spectacle
qu’on appelle le monde."
In
G[ilbert]
K[eith] CHESTERTON.
L’homme éternel. 2e édition,
2e tirage (nouvelle traduction).
Dominique Martin, Bouère, 2012. (Page
145.)
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COMMENTAIRES.
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Avec l’humour décapant qui le
caractérise, CHESTERTON éclaire, selon moi, une grande partie des problèmes
politiques contemporains. Ne prendre en compte que la matière, négliger la subjectivité
sociale, ne pas imaginer que le suicide d’un paysan, les attentats sanglants,
les naissances ou les morts puissent avoir des répercussions essentielles sur
les comportements des personnes qui font l’expérience de ces ruptures, forment
le socle incertain de la soi-disant science économique. CHESTERTON a un
jugement tranchant comme une lame de rasoir à propos des cuistres qui font
dépendre la morale de l’économie. Il me semble que la crise sociale actuelle, si
profonde qu’on n’en voit pas vraiment la fin, est un cri en faveur de l’existence :
nous voulons vivre ! Bien entendu, il est très réducteur de faire dépendre
l’existence de l’économie, appelée par les Gilets jaunes « pouvoir d’achat »,
mais quand on a le crâne bourré par des considérations financières, on a du mal
à se défaire de ce credo putride et corrompu. Il se trouve qu’une nouvelle
forme d’existence, plus conviviale, plus fraternelle, plus indifférente aux
diktats des médias et du pouvoir, est en train de naître. Comme toute
naissance, elle se fait dans la douleur et les cris d’un enfantement difficile.
Qui ? Quel homme lucide, désintéressée, quelle femme courageuse osera se
jeter dans l’arène pour rappeler ces quelques règles essentielles de ce que les
anciens appelaient la vie bonne ?
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