samedi 20 août 2022

BILLET DU 20 AOÛT 2022. LE NAUFRAGE DE LA GAUCHE, LA FIN DES ILLUSIONS.

 "Je voudrais donc exposer brièvement ici, et en me situant d’un point de vue essentiellement philosophique, les raisons pour lesquelles ce recentrage de la gauche moderne, depuis maintenant plus de trente ans, sur la seule rhétorique des « droits de l’homme » (ou de ce qu’on appelle parfois lutte contre toutes les discriminations », en oubliant d’ailleurs que cette formule avait été introduite dans les années 1950 par l’économiste néolibéral Gary BECKER, puis systématisée, au début des années 1970, par Friedrich HAYEK) a rendu progressivement inévitable la conversion de cette gauche aux dogmes du libéralisme économique (et notamment à la mystique de la « croissance » et de la « compétitivité »). Ce qui explique évidemment beaucoup de choses quant à la crise d’identité qui affecte aujourd’hui tous les courants de cette gauche."

Ce constat on le trouve dans une livre remarquable de Jean-Claude MICHÉA.

Le loup dans la bergerie. Climats. Un département des Editions Flammarion, Paris, 2018.

Quelques pages plus loin (page 25), il dit ceci, qui pose d'une manière lumineuse la question morale, sociale, culturelle de notre époque :

 

"Quant au fait qu’on définisse souvent la société libérale comme une société dont la liberté est la valeur fondamentale, il ne contredit bien sûr en rien le principe de neutralité axiologique. La liberté ainsi définie représente beaucoup moins en effet, une valeur au sens habituel du terme que le pouvoir reconnu à chaque individu ― en tant que propriétaire privé de lui-même (C’est LOCKE qui introduira ce vocabulaire) ― de déterminer en toute indépendance l’ensemble des valeurs morales, religieuses et philosophiques qui seront les siennes (en ce sens, il faudrait plutôt dire qu’elle constitue une méta-valeur). C’est donc précisément parce que, dans une société libérale, il existe effectivement une valeur théoriquement partagée par tous ― la « liberté » ―, que cette société ne peut en partager aucune autre (une religion peut, certes, être pratiquée de façon majoritaire dans tel ou tel pays libéral, mais c’est là un simple fait empirique ― dû à une convergence contingente et provisoire des choix individuels ― et qui ne fonde aucun droit). Or, si parler de vie commune n’a de sens que là où il existe un minimum de valeurs et de pratiques morales et culturelles partagées, on doit donc en conclure qu’une politique libérale exclut par définition toute prise en compte théorique de cette dimension anthropologique particulière (sinon, bien entendu, dans le cadre de considérations purement politiciennes et électorales). C’est ce qui explique, entre autre, l’étonnante phobie des idéologues libéraux à l’égard de tout concept d’« identité » (autrement dit, de normes culturelles ou linguistiques collectivement partagées), que ce soit sur le plan des appartenances « communautaires » ou des appartenances de classe. Tout comme le problème récurrent que pose au libéralisme une institution comme l’École. Quelle culture commune ― aussi bien littéraire qu’historique ― une école libérale pourrait-elle transmettre aux nouvelles générations dès lors, en effet, que l’on présuppose, avec l’anthropologue thatchérien Jean-Loup AMSELLE, que « la culture n’existe pas » et qu’il « n’existe que des individus » ? De ce point de vue, le droit libéral est donc très différents des droits traditionnels, qui s’adossaient toujours à un ordre métaphysique ou religieux. On doit plutôt le comparer à un simple code de la route dont la fonction est, par définition, purement technique : à savoir éviter les collisions et les accidents sans jamais prescrire aux automobilistes la « bonne » destination qu’ils auraient à prendre. Cette analogie avec le Code de la route est, du reste, familière aux libéraux modernes. C’est ainsi par exemple que Michel FOUCAULT ― dans sa volonté de soustraire nos choix de vie à toute emprise morale (puisque tel était, à ses  finition qui permettait enfin d’abolir définitivement à ses yeux, disait qu'il faut nier toute différence philosophique « entre une infraction au Code de la route et un meurtre prémédité » (on peut supposer que ce genre d’approche purement libérale de la délinquance a dû jouer un rôle non négligeable dans le divorce grandissant entre l’intelligentsia de gauche et les classes populaires !)"

Cette explication est absolument lumineuse. Et elle vient en contrepoint de ce que disait Simone WEIL sur le fait que le nombre ne fait pas la force. Les puissants ont besoin de ce concept fou de liberté pour asseoir leur pouvoir, à partir de leur petit cercle d'insiders. Cette liberté éparpille le peuple en une multitude d'atomes sociaux

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