Un grand texte de Simone WEIL, dans "L'enracinement".
"L'objet de l'obligation, dans le domaine des choses
humaines, est toujours l'être humain comme tel. Il y obligation envers tout
être humain, du seul fait qu'il est un être humain, sans qu'aucune autre
condition ait à intervenir, et quand même lui n'en reconnaîtrait aucune.
Cette obligation ne repose sur aucune situation de
fait, ni sur les jurisprudences, ni sur les coutumes, ni sur la structure
sociale, ni sur les rapports de force, ni sur l'héritage du passé, ni sur
l'orientation supposée de l'histoire. Car aucune situation de fait ne peut
susciter une obligation.
Cette obligation ne repose sur aucune convention. Car
toutes les conventions sont modifiables selon la volonté des contractants, au
lieu qu'en elles aucun changement dans la volonté des hommes ne peut modifier
quoi que ce soit.
Cette obligation est éternelle. Elle répond à la
destinée éternelle de l'être humain. Seul l'être humain a une destinée
éternelle. Les collectivités humaines n'en ont pas. Aussi n'y a-t-il pas à leur
égard d'obligations directes qui soient éternelles. Seul est éternel le devoir
envers l'être humain comme tel.
Cette obligation est inconditionnée. Si elle est
fondée sur quelque chose, ce quelque chose n'appartient pas à notre monde. Dans
notre monde, elle n'est fondée sur rien. C'est l'unique obligation relative aux
choses humaines qui ne soit soumise à aucune condition.
Cette obligation a non pas un fondement, mais une
vérification dans l'accord de la conscience universelle. Elle est exprimée par
certains des plus anciens textes écrits qui nous aient été conservés. Elle est
reconnue par tous dans tous les cas particuliers où elle n'est pas combattue
par les intérêts ou les passions. C'est relativement à elle qu'on mesure le
progrès.
La reconnaissance de cette obligation est exprimée
d'une manière confuse et imparfaite, mais plus ou moins imparfaite selon les
cas, par ce qu'on nomme les droits positifs. Dans la mesure où les droits
positifs sont en contradiction avec elle, dans cette mesure exacte ils sont
frappés d'illégitimité.
Quoique cette obligation éternelle réponde à la
destinée éternelle de l'être humain, elle n'a pas cette destinée pour objet
direct. La destinée éternelle d'un être humain ne peut être l'objet d'aucune
obligation, parce qu'elle n'est pas subordonnée à des actions extérieures.
Le fait qu'un être humain possède une destinée
éternelle n'impose qu'une seule obligation ; c'est le respect.
L'obligation n'est accomplie que si le respect est effectivement exprimé, d'une
manière réelle et non fictive ; il ne peut l'être que par l'intermédiaire
des besoins terrestres de l'homme."
C'est un texte magistral. Notez bien le paragraphe où il est dit que le droit positif est frappé d'illégitimité quand il viole les obligations de la conscience universelle. C'est la raison qui me fait dire que l'arrêt des soins au petit Archie est un crime abominable.
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