dimanche 27 juillet 2008

Habiter sa vie (bis)

Un lecteur commente le précédent billet intitulé "Habiter sa vie". Il fait des remarques suffisamment importantes pour que je réponde plus officiellement à ses objections. Je résume ses critiques. La mort de Jésus est sanglante et sacrificielle ; les martyrs viennent confirmer le caractère sanglant et morbide du christianisme et surtout, contrairement à ce que je prétends, Jésus a dit qu'il n'est pas venu abolir la Loi (mosaïque) mais l'accomplir, et n'avait donc pas l'intention de détruire les religions et surtout pas le judaïsme.

Je vais être obligé d'être un peu long. Ayez la patience, si le sujet vous intéresse, de me lire jusqu'au bout. Je reprends les analyses lumineuses de René GIRARD.

Dans les sociétés primitives, aux dimensions nécessairement réduites, apparaissaient de temps à autres des troubles suffisamment graves pour mettre la communauté concernée en péril de mort. Ces troubles, René GIRARD les attribue à ce qu'il appelle la rivalité mimétique, phénomène qui fait que les hommes désirent les objets convoités par/ et jusqu'au désir même de/ ceux qui leur ressemblent le plus. On peut comprendre que dans ces sociétés - ceci est une remarque personnelle - les fonctions sociales sont indifférenciées, l'égalité entre ses membres presque parfaite, et les conditions sociales, idéales pour qu'apparaissent cette rivalité et les violences qui l'accompagnent. Les littératures anciennes, les mythes, les rites, les traditions dont certaines restent encore vivaces, témoignent de cette rivalité. René GIRARD évoque le mythe de CAÏN et ABEL et le meurtre du cadet par l'aîné (pour souligner la manière radicalement nouvelle dont la Bible traite ce meurtre, contrairement à tous les autres textes mythiques) ; mais on peut citer bien d'autres exemples : la guerre féroce entre ETEOCLE et POLYNICE (deux frères là encore) par exemple, ou encore les nombreux meurtres que des souverains antiques, installés sur un trône vacillant, commettent vis-à-vis de leurs fils, de leurs proches ou de leurs frères. Je voudrais ajouter ici un exemple que René GIRARD n'a pas repris. Dans les mythes mésopotamiens, il en est un qui raconte comment l'assemblée des dieux, pour contenir les ambitions de l'un des leurs, lui suscitent un jumeau, un double, afin de créer les conditions d'une rivalité mimétique qui mobilisera toutes leurs énergies et ainsi apaisera la crainte qu'ils ont de voir rompre l'équilibre des pouvoirs au sein du panthéon (cf. J. BOTTERO et S.N. KRAMER. Lorsque les dieux faisaient l'homme. Mythes mésopotamiens. Gallimard, Paris, 2000). Tout le monde peut comprendre ici que pour qu'il y ait rivalité mimétique, il faut qu'il y ait un modèle ou un double qui soit le support et l'aliment de cette rivalité.

Pour ramener la paix, et juste à son entrée dans la phase des sociétés religieuses, la communauté choisit, arbitrairement, une victime innocente qu'elle charge de la responsabilité de tous les désordres, et qu'elle tue en le lynchant. Ce meurtre est fondateur. Les hommes voyant qu'ils retrouvent la paix ont tendance à attribuer à la victime émissaire la cause de cet apaisement, et, par un curieux renversement des choses, ils la déifient. Mais pour cacher ce meurtre fondateur, ils créent des mythes qui le dissimulent définitivement à notre connaissance. (Ce sont ces choses cachées depuis la fondation du monde que Jésus vient dévoiler.) Chaque fois que des troubles sociaux apparaissent, ce meurtre initial qui a si bien réussi, est réitéré (hélas, le phénomène a perduré au Moyen-Âge avec, par exemple, le massacre des Juifs accusés d'avoir déclenché la peste) ; des sacrifices, d'abord humains, puis animaux, des rites par conséquent, miment ce meurtre initial qui avait si bien réussi. Une autre façon de perpétuer en le masquant ce crime originel consiste à désigner un roi ou un bouc émissaire qui doit répondre sur sa vie de ces désordres. René GIRARD donne quelques exemples de rois africains, ou celui des pharmakoi grec. Dans son livre passionnant, Voyage d'une parisienne à LHASSA (nombreuses éditions), Alexandra DAVID-NEEL décrit ainsi une cérémonie rituelle, celle Roi de quelques jours, véritable bouc émissaire, qui après avoir eu le droit de satisfaire tous ses désirs pendant une semaine, doit quitter la ville, s'enfuir, est poursuivi, et est en général tué, chargé qu'il est de tous les péchés des habitants. Je le signale à l'intention de René GIRARD tant l'exemple est démonstratif.

Arrive Jésus. Que dit-il aux pharisiens ? : "Satan, homicide dès l'origine" ; "Vous êtes nés tout entier dans le sang" ; "Vos pères ont tué les prophètes". Et surtout, et là, René GIRARD est d'une finesse d'analyse sans égal, Jésus dit "Tout royaume divisé contre lui-même est destiné à périr", signifiant ainsi que les religions, nées dans le sang d'un innocent, n'ont aucun espoir de survie.

Revenons à la rivalité mimétique et au modèle : dans l'épisode de la femme adultère, il est dit que Jésus écrivait par terre et se taisait, alors que les accusateurs lui demandaient hypocritement ce qu'il fallait faire de la pécheresse. René GIRARD analyse là encore magistralement l'épisode. Si Jésus avait regardé la foule, il aurait déclenché la violence collective. Mais comme il lui faut répondre, il a cette parole absolument bouleversante : que celui qui n'a jamais péché lui jette la première pierre. Cela est évidemment difficile à trouver. Ainsi, personne ne pourra le faire ET IL N'Y AURA PAS DE MODELE. On peut voir a contrario comment une situation à la structure analogue a été traitée en IRAN, en plein XXe S. (Elle est racontée par Claude ANET. Les feuilles persanes. Les Cahiers Verts. Trente-deuxième cahier. Bernard Grasset, Paris, 1934) Une femme mariée est abandonnée par son mari. Un an, deux ans, dix ans se passent. Elle le croit mort et refait sa vie. Quelques vingt ans plus tard, le mari revient. La femme est déclarée adultère. On la condamne à la lapidation. Résignée, elle creuse sa propre tombe, et c'est le mollah de son village qui jette la première pierre. Le thème du modèle est récurrent chez les grands écrivains. Il me vient par exemple à l'esprit cette fable de FLORIAN où l'on voir un vizir pressé par ses courtisans de cueillir des cédrats dans un jardin qui ne lui appartient pas. Et le vizir de déclarer : A Dieu ne plaise que je cueille un de ses cédrats etc. Il a compris que s'il cédait, le jardin serait dévasté, car il aurait servi de modèle.

Pour terminer, je voudrais montrer à mon lecteur combien il mésinterprête la parole de Jésus : Je suis venu non pour abolir la Loi mais pour l'accomplir. Le cardinal RATZINGER devenu BENOIT XVI distingue (cf. Jésus de Nazareth. I. Du baptême dans le Jourdain à la Transfiguration. Flammarion, Paris, 2007) ce qui dans la loi mosaïque relève de la casuistique, et donc du contingent, du périssable, du passager et ce qui relève de l'apodictique, c'est-à-dire de ce qui s'impose à la conscience comme une exigence imprescriptible. Ce que Jésus est venu accomplir c'est justement les aspects apodictiques de la loi mosaïque. Voilà pourquoi, en en transgressant sans états d'âme les exigences purement casuistiques, les disciples froissent des épis de blé le jour du sabbat, mangent à l'instigation de Jésus avec des publicains et des pécheurs (ce qui normalement entraînait une impureté rituelle), se voient reprocher par les pharisiens de ne pas pratiquer les ablutions rituelles avant les repas, etc. Si ces pratiques ne signifient pas que Jésus ne veut point de religion extérieure, purement rituelle, mais de coeurs retournés et pleins d'amour, je veux bien me faire vice-camerlingue au Vatican. Jésus condamnent les pharisiens qui déclaraient korban (consacrée) leur fortune pour ne pas avoir à aider leurs parents dans le dénuement. Encore un détail : aujourd'hui encore un juif séropositif n'a pas le droit de célébrer le kipour ou le seder ni aucune fête juive. Il est en état de péché, d'impureté rituelle. On voit le chemin parcouru par les disciples de Jésus !

En résumé, les Évangiles racontent le meurtre d'une victime innocente, du point de vue de la victime et non des bourreaux. C'est une nouveauté absolue dans l'histoire de l'humanité. Plus aucune religion ne peut naître et s'installer durablement aujourd'hui, car elle est dénoncée immédiatement par la mort de Jésus LIBREMENT CONSENTIE (Ma vie nulle ne la prend, c'est moi qui la donne). Nous sommes donc amenés à comprendre de par Jésus que, pour échapper à la violence qui trouve sa source dans la rivalité mimétique, nous n'avons pas d'autres solutions : renoncer à la vengeance, saisir d'où viennent nos désirs, et vivre dans l'amour.


5 commentaires:

Roparzh Hemon a dit…

Cher auteur,

depuis votre dernier billet je cerne mieux votre position,
qui me parait maintenant beaucoup moins "extremiste" et insoutenable. De votre
côté, dans votre premier paragraphe vous avez bien restitué le contenu de ma réponse (sauf sur un point : ce n'est pas moi qui dis que le christianisme est "morbide", ce sont
ses détracteurs. Selon moi, bien sur, le christianisme est la "nouvelle vie", la vraie).

Cela ne m'empêche pas de continuer à penser que vous avez tort, ni de maintenir
intégralement tout ce que j'avais dit dans ma première réponse. Pour résumer, dans
"Habiter sa vie(2)" vous énumerez une liste de faits et de citations, suivi de leur interprétation girardienne (magistrale selon vous). Il se trouve que pour chacun
de ces points, j'ai ma propre interprétation (qui n'est pas de moi bien entendu, mais
peu importe), differente de celle de Girard, ce qui me permet de faire une synthèse
parallèle à la votre. Pour éviter de surcharger cette réponse et d'en faire quelque chose
de 3 fois plus long encore que votre dernier billet, je ne développe pas ce point
pour l'instant. Je préfère procéder par petits bouts (ce préliminaire pour que vous ne croyez pas que je sois un chipoteur qui n'a rien à poposer et qui ergote pour le plaisir d'ergoter ; simplement, lenteur est mère de sureté, et évite la confusion).

Sauf votre respect, votre citation de Benoît XIV ne réfute rien du tout dans ma première
réponse, je dirais même qu'elle apporte de l'eau à mon moulin : si j'ai bien compris, vous dites que Jésus dénonce quelque chose d'intrinsèquement et d'originellement mauvais dans le Judaisme, tandis que moi je dis qu'il ne faisait que dénoncer l'hypocrisie et le décadence des Pharisiens de son époque. Ce que dit Benoît XIV va dans ce sens-là.

Dernière remarque de cette réponse : une affirmation comme "Jésus ne veut point de religion extérieure, purement rituelle, mais de coeurs retournés et pleins d'amour"
(comme d'autres à la fin de votre dernier billet)
est exacte en soi, mais malheureusement, la formulation est plutôt malheureuse à notre
époque, et risque vraiment d'être incomprise ou d'être recuperée, galvaudée voire même retournée par des causes politiques de plus antichrétiennes. Le christianisme n'est pas le socialisme, ni le pacifisme, ni la "non-violence" (je vous cite à ce sujet Olavo de Carvalho,
un philosophe chrétien d'aujourd'hui : "Contrairement aux innombrables Gandhi de notre époque, Jésus n'a jamais condamné la haine. Il s'est borné a constater : En vérité je vous le dis, vous aimez ce que vous devriez haïr, et vous haissez ce que vous devriez aimer. Le sophisme qui identifie la paire amour/haine à la paire bien/mal engendre l'hypocrisie de ceux qui aiment le Bien sans haïr le Mal, ou inversement." )

Bien cordialement.

Philippe POINDRON a dit…

Cher et bienveillant lecteur,

Vous avez raison sur bien des points. Mais, comme toujours dans ce type de billet, on est obligé d'être schématique. Je vous donne bien volontiers acte que vous ne portez pas ce jugement de morbidité sur le christianisme. Je vous donne également acte que nous croyons l'un et l'autre au pouvoir de libération de la Parole de Jésus.
Pour comprendre en quoi la citation de Benoît XVI éclaire mon propos, je vais encore revenir à René GIRARD. Ce que je n'ai pas pu dire, hélas, c'est que celui-ci considère l'Ancien Testament comme l'inauguration de la troisime phase de l'humanité. En effet, quand il évoque Caïn et Abel, il montre que, contrairement à tous les mythes et textes de l'époque, ce meurtre abominable n'entraîne pas la vengeance de Dieu. Caïn du reste la craint, mais Dieu lui répond qu'il ne poursuivra pas de sa haine.
J'ajoute que des psaumes et plusieurs passages du prophète Isaïe disent formellement que Dieu ne veut pas de sacrifices mais d'un coeur droit et tourné vers lui, un coeur qui pratique la justice. Ainsi s'amorce dans l'Ancien Testament le mouvement que Jésus viendra achever. C'est arce que les juis ont voulu conserver des lambeaux de l'antique religion (cananéenne ?) qu'ils ne peuvent comprendre ces paroles. Pourtant, le sacrifice dIsaac par Abraham avait bien été refusé par Dieu... Ainsi ce que Jésus vient sauver de la loi mosaïque, c'est son aspect apodictique NOUVEAU : celui du renoncement à la violence réciproque, à la vengeance circulaire, à la nécessité de l'amour.Jésus le dit expressément : je suis venu pour sauver les brebis perdues de la MAISON D'ISRAEL. Les promesses de Dieu sont inamissibles en effet, et que cela nous plaise ou ne nous plaise pas, ISRAEL fut le premier dépositaire de la promesse ; Jésus condamne donc l'INFIDELITE d'ISRAEL, et du judaïsme. Il récuse son dévoiement par les hypocrites pharisiens (vous avez là encore raison).
Je ne pense pas que vous soyez un chipoteur, certainement pas. Les qualités de vos objections indiquent que vous cherchez, comme moi, la lmière et l'intelligence de l'histoire humaine et la place de Jésus dans celle-ci.
Vous avez encore mille fois raison sur la formulation que j'utilise. Mais je n'en connais pas d'autres qui puissent traduire aussi précisément ma pensée. Qu'est-ce que l'amour ? Un vieux chartreux me disait un jour : j'ai réfléchi toute ma vie à ce que voulais dire aimer ; aimer me dit-il, je crois que c'est ne rien garder pour soi.
Voilà pourquoi Jésus à tout donné, y compris sa vie. Il n'a rien gardé pour lui, PAR OBEISSANCE à son Père et non pour accomplir un autre sacrifice, définitif celui-là, aux fins d'apaiser sa colère, car un père ne peut vouloir la mort de son fils pour satisfaire son ressentiment. L'épitre aux Hébreux indique, en il est vari, que Jésus a par le don de sa vie, réalisé l'unique et définitif sacrifice, à la différence des Grands-Prêtres qui devaient sans arrêt sacrifier des animaux. Mais il faut bien comprendre ici ce que signifie le mot ; en aucun cas il n'a la valeur qu'on lui attribue dans les religions sacrificielles.
Enfin je suis ENTIEREMENT D'ACCORD avec votre citation et le commentaire que vous en faites. Jésus a toujours été positif, il n'a jamais donné de conseils prescriptifs(faites ceci, faites cela, dans telle ou telle circonstance). C'est bien cela que saint Paul appelle la liberté des enfants de Dieu.
Pour terminer, mais j'y reviendrai dans un autre billet, je vous signale le livre de Marcel GAUCHET : le désenchantement du monde. Par des voies et des méthodes différentes (sociologie politique et philosophie) il arrive pratiquement aux mêmes conclusions que René GIRARD quand à la responsabilité du christianisme dans la sortie des Religions.
Je désire rester en contact avec vous par le biais de vos stimulantes et profondes réflexions. J'espère donc que vous continuerez à m'honorer de vos lectures et remarques.
Bien amicalement.

Philippe POINDRON

Roparzh Hemon a dit…

Cher auteur,

depuis le début de notre discussion sont venues bien des choses sur lesquelles nous
sommes entièrement d'accord, tout en laissant toujours un certain "fond" auquel je m'oppose absolument. Je vais reprendre cette question du Judaisme :

Votre point de vue (si j'ai bien compris) : la promesse de Dieu est une "occasion à saisir", sans seconde chance. Les juifs l'ont eue mais l'ont trahie irréversiblement, et la "balle" de la promesse de Dieu est maintenant dans le camp des chrétiens. Le christianisme serait donc une forme plus "évoluée" du Judaisme.

Mon point de vue : suivant la parole de Jésus "Je ne suis pas venu pour guérir les bien-portants, mais les malades", les chrétiens sont des "malades" par rapport aux "bien-portants" juifs, et ces "malades" ont donc besoin d'une religion parallèle, spécifique. La condition de "Peuple Élu" du peuple juif n'exclut pas l'alternance de trahisons, de prophètes et de rédemptions successives (voyez l'Ancien Testament). Les juifs orthodoxes eux-mêmes se considèrent comme en "exil, imposé par décret divin", mais pas damnés définitivement.

Au sujet de Caïn et Abel : à mon avis, l'expression "vengeance de Dieu" est un non-sens ; ce serait trop antropomorphiser Dieu... Ce de quoi on peut parler (et qui existe effectivement dans les religions), c'est de la "punition de Dieu" pour une action mauvaise.

"Caïn du reste la craint, mais Dieu lui répond qu'il ne poursuivra pas de sa haine"

Là, vous faites allusion à des choses que je ne connais pas : pouvez-vous préciser votre
citation? Ce que je sais, c'est que Caïn a bel et bien été réprimandé et puni par Dieu pour le meurtre de son frère.

"Mais il faut bien comprendre ici ce que signifie le mot ; en aucun cas il n'a la valeur qu'on lui attribue dans les religions sacrificielles."

Je maintiens ce que j'avais dit l'autre jour, qui est directement contraire à ce que vous dites :
toutes les religions sont sacrificielles (l'étymologie l'indique : sacrifier=sacrum facere, faire le sacré), le christianisme comme les autres : simplement, sacrifice non sanglant dans le cas du christianisme, sanglant pour les autres. Dire que le mot sacrifice doit être "interprété differemment" ne trouve aucun appui dans la Bible.

Bien cordialement.

Philippe POINDRON a dit…

Cher et si attentif lecteur,

Quelques éléments de réponse à vos remarques toujours très justes.

Voici, tout d'abord, le passage de la Genèse (Gen., 4, 9-16) où il est question de Caïn : Yahvé dit à Caïn : "Où est ton frère ?" Il répondit "Je ne sais pas. Suis-je le gardien de mon frère ?" Yahvé reprit : "Qu'as-tu fait ? Ecoute le sang de ton frère crier VERS MOI du sol ! Maintenant, SOIS MAUDIT et chassé du sol fertile qui a ouvert la bouche pour recevoir de ta main le sang de ton frère. Si tu cultives le sol, il ne te donnera plus son produit tu seras un errant parcourant la terre"; Alors Caïn dit à Yahvé : "Ma peine est trop lourde à porter. Vois ! TU ME BANNIS aujourd'hui du sol fertile, je devrai me CACHER LOIN DE TA FACE et je serai un errant parcourant la terre. Mais le premier venu me tuera !" Yahvé lui répondit "AUSSI BIEN, si QUELQU'UN TUE CAÏN, ON LE VENGERA SEPT FOIS." Et Yahvé MIT UN SIGNE SUR CAÏN AFIN QUE LE PREMIER VENU NE LE FRAPPÂT POINT. Caïn se RETIRA de la présence de Yahvé et séjourna au pays de Nod, à lOrient de l'Eden.
Une note de la Bible de Jérusalem indique que "le signe de Caïn n'est pas un stigmate infamant, mais une marque qui le protège en le désignant comme le membre d'un clan où s'exerce durement la vengeance du sang."
De très nombreux passages des prophètes signalent la répugnance de Yahvé pour les sacrifices : Ainsi Isaïe, 1, 11 ss :"Que m'importent vos innombrables sacrifices ? dit Yahvé. Je suis rassasié des holocaustes de bêliers et de la graisse des veaux. Le SANG des taureaux et des boucs ME REPUGNENT. Quand vous venez vous présenter devant moi, qui donc vous a invités à FOULER MES PARVIS ? CESSEZ de m'apporter DES OFFRANDES INUTILES : leur fumée m'est en horreur. [...] VOS MAINS SONT PLEINES DE SANG, LAVEZ-VOUS, PURIFIEZ-VOUS !" (idem dans Amos, 5, 21, par exemple). Je n'arrive pas à trouver la référence de ce texte essentiel que je vous cite de mémoire : "Tu ne voulais ni oblation si sacrifices. Alors j'ai dit me voici !" etc.
Voici, encore, le texte de l'Epitre aux Hébreux qui indique la différence essentielle entre les sacrifices anciens et ce que nous appelons le Saint sacrifice de la messe (Hébreux, 8, 26-28): "Oui, tel est précisément le grand prêtre qu'il nous fallait, SAINT, INNOCENT, IMMACULE, SEPARE DESORMAIS des pécheurs, élevé au plus haut que les cieux, QUI NE SOIT PAS JOURNELLEMENT DANS LA NECESSITE, COMME LES GRANDS PRETRES, D'OFFRIR DES VICTIMES D'ABORD POUR SES PROPRES PECHES, ENSUITE POUR CEUX DU PEUPLE, CAR CECI, IL L'A FAIT UNE FOIS POUR TOUTES, EN S'OFFRANT LUI-MEME."
Si vous acceptez de définir le sacrifice comme une offrande, sanglante ou non, offerte à Dieu pour apaiser son courroux et demander miséricorde, vous devez conclure qu'il y a une différence absolue de nature entre la mort de Jésus et un sacrifice humain ou animal.
La mort librement consentie de Jésus suffit. ET - point fondamental de doctrine, que contestent précisément les intégristes qui associent le salut à l'expiation de nos fautes exclusivement à la mort de Jésus-c'est la mort ET la résurrection de Jésus qui apportent, une fois pour toute le salut.
Il est du reste très significatif qu'au soir du Jeudi Saint, Jésus ait dit, en instituant le sacrement de l'Eucharistie : Faites ceci EN MEMOIRE de moi. C'est donc, de mon point de vue, un contresens total que de voir dans l'Eucharistie la réitération du martyre, de la passion et de la mort de Jésus. Marcel LEGAUT (Introduction à l'intelligence du passé et de l'avenir du christianisme. Aubier-Montaigne, Paris, 1970) a sur cette question des remarques absolument lumineuses. "Imposée par les circonstances, cette mort, Jésus ne la voulut nullement pour elle-même comme si une victime sanglante avait valeur devant Dieu ; il l'accepte sans restriction parce qu'elle était nécessaire au succès de sa mission, parce qu'elle était dans la ligne de son existence et que la refuser, la fuir, c'était se renier, réduire à néant tout ce qu'il avait été et fait."

Coyez bien que ce n'est pas pour avoir le dernier mot que j'écris ceci. Il me semble qu'il y a là un point nodal pour la foi AUJOURD'HUI. C'est parce que Jésus sollicite notre liberté et elle seule, et non point les rites et les habitudes, que le Christianisme est responsable, et je trouve cela bien, de la sortie des religions. En associant, sans doute avec maladresse, des remarques acides, et sans doute pas toujours très gentilles sur le socialisme et ses partisans, j'entends simplement souligner que le GROS ANIMAL SOCIAL (Simone WEIL) est parfaitement incapable de ramener la paix et le sens, dans l'humanité, et c'est en raison de l'influence qu'il exerce sur les esprits, que je combats ses erreurs.
Est-i nécessaire de vous dire ici mes sentiments de reconnaissance pour la pertinence de vos remarques, et de vous assurer de mon amitié ?

Philippe POINDRON

Roparzh Hemon a dit…

Cher interlocuteur,

je vous remercie pour la citation précise de la Genèse que vous
m'avez donnée, qui m'a permis d'apprendre et de réflechir sur de
nouvelles choses.

La polémique "réiteration" versus "simple narration" autour de la
communion a longtemps constitué une ligne de démarcation nette
entre catholiques et protestants, jusqu'à Vatican II. Depuis la position
officielle de l'Église Catholique tend de plus en plus à s'harmoniser
avec le point de vue protestant, ce qui va dans le sens de ce que vous
dites sur la foi aujourd'hui. Mais cela ne suffit pas à apaiser les graves
doutes de certains, dont je suis ... je vais essayer de vous en communiquer
un petit échantillon :

1) L'idée que la mort ET la résurrection de Jésus sont associées au salut
ne trouve pas d'appui dans la Bible, que je sache : l'expression "sang versé
en rémission des péchés" ne parle pas de résurrection, et je me demande
même comment vous conciliez ce passage avec votre interprétation.

2) Je ne vois pas trop en quel sens vous entendez que "Jésus sollicite
notre liberté et elle seule"; la "liberté" n'est rien elle-même, ce qui compte
c'est ce qu'on en fait ... je dirais plutôt que Jésus sollicite notre capacité
à aimer, à comprendre etc ...

3) Il est absolument faux de dire (comme dans votre citation de Marcel
LEGAUT) que la mort de Jésus a été "imposée par les circonstances".
Jésus lui-même a dit qu'il allait être mis à mort pour que s'accomplisse
ce qui avait été dit dans les Écritures et prévu par les prophètes, ce qui
est tout le contraire.

Bien cordialement.