dimanche 18 octobre 2009

Droits de l'homme ? Droits de l'individu ? Ou droits des citoyens franco-français ?

L'un de mes fidèles lecteurs me fait le gentil reproche de ne pas avoir été assez loin dans mon appréciation critique de la Déclaration des Droits de l'homme (qui est en réalité la Déclaration des Droits de l'Homme et du Citoyen, notez ce point). J'avais bien mentionné, cependant, que ce progrès indéniable, n'était que la déclaration des Droits de l'individu, et que son anthropologie était assez courte. Et dans une réponse à mon lecteur, j'allais plus loin en disant très crûment que cette déclaration des Droits de l'homme n'est que la déclaration des individus franco-français.


Il faut que je m'en explique.


Selon moi, l'homme est un sujet social. Par définition, un sujet est une personne qui pense et qui dit "Je". En rester là, en négligeant la relation du "je" au "tu" ou au "vous", est une très grave erreur. Car réduit à son seul "je", l'homme en vient à n'être relié qu'à son moi, c'est à dire à regarder son nombril, et à s'étioler. On peut tenir pour assuré que pour se développer, l'homme a besoin d'être relié à autrui, ou plus exactement à d'autres sujets avec qui il échange et sous le regard desquels il se construit. Nous connaissons tous, les ravages que fait la solitude dans le psychisme humain, ses répercussions sur la santé physique et mentale

Or la Déclaration n'envisage l'homme que dans son rapport au politique, en tant que citoyen, et non en tant que sujet social, membre de corps intermédiaires vivants. Même le fameux article I, tombe sous le coup de cette restriction : "Les hommes naissent et demeurent libres et égaux en droits". On voit bien, et les autres articles le prouvent, qu'il s'agit d'une égalité de droits politiques. Toutefois il ne nous est pas interdit de penser cet article plus largement, et d'étendre sa compréhension à une égalité d'essence supérieure, une égalité de dignité qui met l'aborigène de Nouvelle Guinée au même niveau que le citoyen français. Voilà le progrès indéniable, et qu'il convient de souligner.


Le contenu de la quasi totalité des autres articles est abstrait, rédigé dans un style incompréhensible pour la majorité des citoyens ; la Déclaration est rédigée, de manière fumeuse, imprécise, digne des philosophes des Lumières dont elle s'inspire. Voici déjà la déclaration préliminaire du 26 août 1789 : tout est tourné vers le politique, rien vers l'humain. C'est d'un ridicule achevé et d'une grandiloquence qui ferait sourire si le sujet n'était pas si grave.


"Les Représentants du Peuple Français, constitués en Assemblée nationale, considérant que l’ignorance, l’oubli ou le mépris des droits de l’homme sont les seules causes des malheurs publics et de la corruption des Gouvernements, ont résolu d’exposer, dans une Déclaration solennelle, les droits naturels, inaliénables et sacrés de l’homme, afin que cette Déclaration, constamment présente à tous les membres du corps social, leur rappelle sans cesse leurs droits et leurs devoirs ; afin que les actes du pouvoir législatif, et ceux du pouvoir exécutif pouvant être à chaque instant comparés avec le but de toute institution politique, en soient plus respectés ; afin que les réclamations des citoyens, fondées désormais sur des principes simples et incontestables, tournent toujours au maintien de la Constitution, et au bonheur de tous. En conséquence, l’Assemblée nationale reconnaît et déclare, en présence et sous les auspices de l’Être Suprême, les droits suivants de l’homme et du citoyen."
Il n'y a rien là-dedans qui ait trait aux relations que tout être humain doit entretenir avec ses semblables, et au droit qu'il a d'en entretenir à ce titre avec eux. Rien d'autre que le sujet devant la Loi, comme si tout le reste allait de soi.
Examinons quelques uns de ces articles de plus près.

Article premier
Les hommes naissent et demeurent libres et égaux en droits. Les distinctions sociales ne peuvent être fondées que sur l’utilité commune.

On ne peut qu'être d'accord avec cette déclaration de principe, surtout si l'égalité ainsi présentée est une égalité de dignité, de celle qui a permis à Montaigne de parler de ces indigènes et de leurs représentants en des termes touchants, ou de celle qui a poussé Bartholomé de LAS CASAS à soutenir devant SEPULVEDA que les indiens d'Amérique avait une âme qui valait bien celle des Européens. Je fais ici allusion à la controverse de VALLADOLID.

Article II
Le but de toute association politique est la conservation des droits naturels et imprescriptibles de l’homme. Ces droits sont la liberté, la propriété, la sûreté et la résistance à l’oppression.

Tout cela est bien abstrait, et l'on s'épouvante de la définition que l'article IV donne de la liberté, dont les bornes seraient celles de la liberté de l'autre. Où voyez-vous poindre la moindre trace de relation à autrui ? Rien de tout cela. Qu'est-ce que la résistance à l'oppression ? Je considère personnellement que les peuples divers qui composent notre patrie ont été largement opprimés dans leur langue, leur culture, leurs traditions. Ils n'ont guère eu le moyen de s'opposer au rouleau compresseur des idéologues du jacobinisme. Et quand deux libertés, parfaitement subjectives, se heurtent, voyez vous apparaître le nécessaire respect de l'autre et la nécessité d'avoir des instances qui permettent l'expression d'un compromis ?

Article III
Le principe de toute Souveraineté réside essentiellement dans la Nation. Nul corps, nul individu ne peut exercer d’autorité qui n’en émane expressément.
C'est grâce à cet article que l'on a supprimé les "Privilèges" (privata lex, loi privée) que l'on avait indûment et volontairement confondus avec des "Avantages". Cet article a signé la mort des corps intermédiaires, et il laisse chaque citoyen (on ne parle plus ici d'être humain !) complètement désarmé devant la volonté de la Nation, laquelle est représentée tantôt par une majorité tantôt par une autre, qui manifestement ne représente qu'elle-même et impose avec violence son point de vue aux opposants. Et c'est vrai aujourd'hui encore. Je pense notamment au viol des cultures et à la suppression des langues régionales. Si ça n'est pasun droit naturel que de pouvoir parler sa langue maternelle et la transmettre à ses enfants, je me fais garde-suisse au Vatican.
Article IV
La liberté consiste à pouvoir faire tout ce qui ne nuit pas à autrui : ainsi l’exercice des droits naturels de chaque homme n’a de bornes que celles qui assurent aux autres Membres de la Société, la jouissance de ces mêmes droits. Ces bornes ne peuvent être déterminées que par la Loi.

On est loin de la définition de la liberté qu'a donné Simone WEIL et dont j'ai souvent parlé ici même. Il s'agit ici de la liberté de faire ce qui me plaît dans la mesure où elle n'empêche pas l'autre d'en faire autant : c'est ainsi que naissent les inexpiables conflits d'intérêts, de volonté de puissance. Et qu'est-ce qu'une liberté définie par la Loi ? On connaît la chanson des libertés dans les dictatures...


Aucune de ces notions fumeuses n'est inscrite dans les Constitutions de nos voisins européens. Mais chez nous, la Déclaration, tout droit sortie du cerveau des philosophes des Lumières, fait partie du "Bloc Constitutionnel". Tout le vice de cette Déclaration, est compris dans dans l'article IV. Les lois privées ou privilèges qui régissaient la vie des Corps intermédiaires sont abolies ; elles protégeaient le citoyen des abus d'une administration anonyme ; l'article donne possibilité à une majorité, fût-elle minime, d'imposer des lois iniques, immorales, ou tâtillonnes.
Tout est faux dans cette déclaration, tout est système, rien ne repose sur des sentiments humains éprouvés spontanément par tous les habitants de la planète.

Mais le système politique français, formaté par cette pensée complètement déconnectée de la nature humaine, a forgé un citoyen qui ne trouve sa liberté que dans un individualisme forcené, (car la solidarité imposée, l'égalité décrétée, si manifestement bafouée par la nature, par la société, et par la loi y conduit inévitablement, simplement pour permettre de respirer !) puisqu'il n'a d'existence aux yeux de la loi que politique. Or l'homme n'est pas qu'un animal politique, il n'est pas qu'un animal économique. Il est tout autre chose, et ni la Déclaration, ni nos hommes politiques, ni nos enseignants n'y peuvent rien changer. Une telle négation de la réalité de ce qu'est l'homme nous a conduit où nous en sommes : capables de donner leurs vies pour des idées, les Français sont incapables de s'accommoder du réel et de faire les sacrifices nécessaires pour sauver leur patrie.

2 commentaires:

Eugénie a dit…

encore une fois d'accord avec vous : les droits de l'homme sont une fumisterie , voir Simone Veil evidemment sur le sujet qui dresse dans l'Enracinement une liste de "besoins de l'ame" correspondant à des obligations que tout homme se doit d'avoir envers tout autre "la notion d'obligation prime sur celle de droit , qui lui est subordonnée et relative...une obligation ne serait-elle reconnue par personne, elle ne perd rien de la plénitude de son etre .Un droit qui n'est reconnu par personne n'est pas grand chose": quelle grandeur d'esprit , quelle probité intellectuelle! à mettre en opposition avec notre pauvre individualisme moderne, ou chacun, replié dans sa sphère individuelle , defend becs et ongles des droits, qui ne peuvent lui etre assuré que par sa dimension politique , celle qui le fait vivre pour , par et avec les autres .Le politique disparait au profit de l'animal.

Philippe POINDRON a dit…

Chère Eugénie, votre intervention est tellement décisive que je reviendrai dessus par un billet qui tiendra le plus grand compte de vos profondes remarques. je vois votre grand-mère tout à l'heure et lui dirai toute l'admiration que suscite en moi votre maturité.
Amicalement.