samedi 31 octobre 2009

La justice du Royaume et le surcroît

Roparzh commente mon dernier billet par un verset de l'Evangile : "Cherchez d'abord le Royaume de Dieu et sa justice, et le reste vous sera donné par surcroît". Le propos est laconique ; il est pourtant d'une justesse absolue.
Pour ne pas tomber dans l'utopie ou l'illusion qu'il est facile d'instaurer la Cité de Dieu sur la Terre (ou l'ersatz d'une Cité humaine déifiée), mais pour ne pas perdre de vue que c'est bien l'impératif absolu de tous les disciples de Jésus que d'indiquer l'unique voie possible du bonheur terrestre (eh oui !), il faut s'efforcer de trouver une solution qui respecte la liberté de tout être humain - celle de croire et de suivre ; celle de ne pas croire et de ne pas suivre. C'est bien là la difficulté.
Nous avons dans la Parole de précieuses indications, celle-ci par exemple : "Petits enfants, n'aimons ni de mots ni de langue, mais en actes véritablement. A cela nous saurons que nous sommes de la Vérité" (1Jn 3 18) et l'injonction est précédée (verset 17) de ce jugement: "Si quelqu'un, jouissant des richesses du monde, voit son frère dans la nécessité et lui ferme ses entrailles, comment l'amour de Dieu demeurerait-il en lui ?"
Peut-on être plus clair ?
Et ceci encore : "D'où viennent les guerres, d'où viennent les batailles parmi vous ? N'est-ce pas précisément de vos passions, qui combattent dans vos membres ? Vous convoitez et ne possédez pas ? Alors vous tuez. Vous êtes jaloux et ne pouvez obtenir ? Alors vous bataillez et vous faites la guerre. Vous ne possédez pas parce que vous ne demandez pas. Vous demandez et ne recevez pas parce que vous demandez mal, afin de dépenser pour vos passions." (Jc 4, 1-3)
Le disciple est dépourvu de toute volonté de pouvoir. Son Maître lui a donné l'exemple au soir du Jeudi Saint en lavant les pieds de ses amis.
Le disciple n'attend pas que l'initiative du partage lui vienne des autres, et surtout pas du politique, le champ clos des passions.
Le disciple donne avec discrétion, et "sa main gauche ignore ce que fait [= donne] sa main droite".
Le disciple voit un frère en tout être humain.
Tout cela est plus facile à écrire qu'à mettre en pratique, et pourtant, il n'y a aucune autre solution humaine à nos problèmes humains. Et c'est pourquoi Simone WEIL écrit dans ce livre décidément inépuisable (Réflexions sur les causes de la liberté et de l'oppression sociale) ceci qui ferme la boucle :
"La bonne volonté éclairée des hommes agissant en tant qu'individus est l'unique principe possible du progrès social ; si les nécessités sociales, une fois clairement perçues, se révélaient comme étant hors de portée de cette bonne volonté, au même titre que celles [les nécessités] qui régissent les astres, chacun n'aurait plus qu'à regarder se dérouler l'histoire comme on regarde se dérouler les saisons, en faisant son possible pour éviter à lui-même et aux êtres aimés le malheur d'être soit un instrument soit une victime de l'oppression sociale."
Lisez et relisez, méditez cette réflexion jaillie de l'âme d'une très grande philosophe, et d'une admirable mystique. Et mesurez combien elle est juste. Comment faire alors, me disait au téléphone hier, une lectrice de Marseille ? Commençons par regarder autour de nous, et voyons comment par un regard, une parole, un partage, il est possible de mettre de la joie et de la paix autour de nous. Partager un paquet de gâteau avec son voisin de métro, ou un bonbon, prêter son journal au voyageur qui dans le train s'ennuie. Regarder, faire attention aux personnes que nous croisons, ne pas les considérer comme des vitres transparentes, leur sourire, admirer le bébé d'une jeune maman, etc., petites choses, petits débuts, grands effets pacificateurs.
Ensuite, et très certainement, ne pas considérer que l'impôt est le seul et unique moyen de redistribution des richesses, et donner, avec discernement (je vous avouerai qu'il est arrivé à tel ou tel que je connais très bien... d'avoir été trompé) mais largement. Il existe de très nombreuses associations caritatives : Caritas-Secours Catholique, Restos du Coeur, Emmaüs, Médecins sans frontières, Association pour l'enfance abandonnée, etc) à qui l'on peut donner les yeux fermées. Il suffit d'avoir un peu d'imagination. Et puis surtout partager une parole, parler, sans crainte. Souvent un sourire ou une petite question à celui qui quête dans la rue est un bien meilleur baume qu'un gros billet, car il réintroduit l'exclu dans la société des hommes.
Enfin, mais j'ai des lecteurs qui peut-être vont rire, demander, mais bien, demander dans la prière, non pour le service de nos passions, mais pour son Règne vienne. Je ne sais si ces quelques pistes satisfairont Suzanna... J'espère que oui.
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PS : "Laconique" vient de ce que les habitants de Sparte en Laconie, recevant des émissaires étrangers venus les menacer s'ils ne consentent pas à se plier à leur exigences, ont fait une réponse restée célèbre à leurs menaces :
"Si nous rentrons dans vos murs, nous ruinerons votre cité, et ses habitants seront réduits en esclavage !
Si..."
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C'est tout pour aujourd'hui.
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