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Voici dans son intégralité, le discours prononcé par Madeleine à STRASBOURG. Ce texte est tout simplement admirable de clarté, de force et de vérité. Axel nous l'a lu à la fameuse veillée du 26 juin, Place de la République. Si vous n'y étiez pas, et même si vous y étiez, pénétrez-vous de ces paroles. La qualité littéraire est exceptionnelle et son auteur fait preuve d'une maîtrise d'elle-même que bien des adultes peuvent lui envier. Donc voici le texte. Malheureusement, les photos qui l'accompagnent n'ont pu être incluses.
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"Dans la nuit du 14 au 15
avril dernier, alors que le projet
de loi ouvrant le mariage et l’adoption aux couples de même sexe allait être
adopté par le pouvoir législatif en France, au terme d’un processus
parlementaire accéléré,67 jeunes opposés au mariage homosexuel décidèrent de camper
pacifiquement et sans bruit devant l’Assemblée nationale. La
chose n’était pas inédite : entre autres exemples, des enfants de harkis
avaient déjà choisi de camper sur ce lieu, en 2009, pendant 7 mois, pour
attirer l’attention des pouvoirs publics sur leur condition, sans être ni
inquiétés ni délogés.
Mais les
67 jeunes opposants n’eurent pas droit au même traitement de faveur. Vers 1h du matin, ils furent soudainement et violemment embarqués par les
forces de police, puis retenus en garde à vue pendant plus de dix-huit heures dans des conditions extrêmement
pénibles, pour ne pas dire déplorables.
Face à
une telle disproportion des méthodes répressives, face à un pouvoir qui
révélait de plus en plus manifestement son vrai visage, et cherchait la
division et l’affrontement quand il aurait fallu favoriser l’apaisement, nous avons réfléchi toute la nuit au moyen de réagir. Fallait-il se
soulever et se radicaliser ? Le
choix d’une action violente semblait désormais nécessaire pour se faire
entendre d’un gouvernement qui enchaînait provocation sur provocation, traitant
avec le plus grand mépris plusieurs centaines de milliers de Français
légitimement inquiets de leur avenir, de celui de leurs enfants et de leur
pays.
Mais au fil de la nuit, nous
avons compris que la violence ne mènerait à rien, et qu’on ne pouvait s’ériger
en défenseurs de la dignité humaine sans être en même temps garant de la paix
sociale. Nous avons compris que la
violence première se trouvait du côté d’une loi qui priverait bientôt les
enfants d’un père ou d’une mère. Nous avons compris que notre colère, si
légitime et si noble fût-elle, pouvait tout aussi bien s’exprimer de manière
pacifique. Nous avons compris enfin que nous ne pourrions désarmer ces violences
policières qu’en étant nous-mêmes non-violents.
Il n’y
eut donc pas de concept ou de système préalable à la mise en place des
Veilleurs. Non. Il n’y eut qu’une
simple intuition, un sursaut naturel de la conscience, ce même sursaut qui
conduisit Antigone à enterrer son frère Polynice contre les ordres de Créon.
Convaincus de la gravité des évolutions en cours, nous ne pouvons nous empêcher
de prendre pour modèles ces grandes voix prophétiques du XXème siècle qui, de
Sophie Scholl à Jerzy Popieluszko, de Winston Churchill à Vaclav Havel, se sont
courageusement levés pour réveiller une humanité en danger de mort.
Alors, la nuit qui suivit les 67 gardes à
vue, nous nous sommes assis sur une pelouse devant les Invalides, avec des
bougies, pour veiller sur le respect des personnes. Pour rester vigilants,
tandis que les consciences de nos concitoyens s’étaient endormies dans une
mortelle indifférence.
Nous sommes aussi venus avec
quelques textes de littérature que nous aimons, parce que nous avons eu l’intuition
très forte qu’outre la non-violence, la culture serait l’arme la plus juste
contre un pouvoir qui, par cette loi, rompait avec des siècles voire des
millénaires de sagesse humaine.
Oui,
l’adoption de cette loi est la conséquence d’une véritable démission de la
pensée. Estimant à la suite
d’Hannah Arendt que les pires drames de l’Histoire se sont produits parce que
les hommes ont cessé de penser, nous avons choisi de réveiller les voix des
grands penseurs dont nous relisons les écrits, soir après soir.
Cinquante
lors de la première veillée, nous avons vu notre nombre multiplié par dix au
bout de cinq jours seulement. Voilà maintenant douze semaines que nous nous
rassemblons, dans le calme le plus absolu. Le mouvement, parti de Paris, a
rapidement embrasé toute la France. Les villes de Province ont en effet mis en
place leurs propres veillées, de manière spontanée et autonome, sans recevoir
de directives de Paris. Les Veilleurs sont désormais présents dans plus de 150
villes en France, et dans une douzaine de pays à l’étranger. Cet embrasement révèle, en France, et bien au-delà, l’existence d’une
réelle soif : la soif de reconstruire le sens de l’homme et de sa dignité face
à des idéologies qui le menacent. La soif de retisser le lien social d’une
société pulvérisée par plusieurs siècle d’individualisme, un individualisme grossissant qui
laisse la personne radicalement seule et démunie, notamment en ces temps de
crise, et qui détruit les moindres aspirations de l’homme en le réduisant à ses
désirs immédiats, afin de le circonscrire dans une vision à court terme, sans
souci des générations qui pourront venir après lui, et sans gratitude pour
celles qui l’ont fait naître.
Dimanche
dernier, à Paris, plus d’un millier de personnes se sont rassemblées devant les
Invalides. Nous choisissons
généralement de faire nos veillées en un lieu de mémoire ou de pouvoir, en lien
avec le thème que nous abordons lors de nos veillées. Celles-ci sont ponctuées
de lectures de textes, de discours d’intervenants (psychiatres, légistes,
personnalités politiques, artistiques ou religieuses, pères ou mères de
familles, enfants adoptés, personnes homosexuelles, etc). Les
Veilleurs restent assis en silence : ils applaudissent à la manière des
personnes malentendantes, pour ne pas troubler le calme de la nuit, et
manifester ainsi leur non-violence absolue et leur respect pour la parole
d’autrui. Ce silence est interrompu par des chants que nous reprenons en cœur,
notamment le chant de l’Espérance et le chant des Partisans.
Nos rassemblements sont non
confessionnels et non-partisans : ils entendent être ouverts à toutes les
personnes, quelles que soient leurs opinions politiques et leurs convictions
religieuses, car la défense de la dignité humaine est un combat qui dépasse
toutes sortes de clivages, et qui
doit pouvoir rassembler les citoyens dans un même réveil des consciences.
Nos
veillées sont la plupart du temps suivies d’une marche dans Paris vers un lieu
symbolique. Nous sommes alors rapidement encerclés par les forces de police, et
souvent soumis à des sommations. Chaque veilleur est libre de rester ou de
partir. Nous demeurons sur place jusqu’au temps que nous avons fixé, sans obéir
aux sommations : par cette modeste transgression, nous posons un acte de
désobéissance civile destiné à manifester notre résistance et l’irrépressible
liberté de la marche de nos consciences. Malgré les sommations
nombreuses que nous avons pu recevoir, les quelques interpellations et les
intimidations que les animateurs ont pu subir, aucun veilleur n’a jamais été
emmené en garde à vue, ce qui est assez surprenant dans un contexte où les
opposants au mariage homosexuel sont arrêtés à tout va.
Comment expliquer cette relative
tolérance à notre égard ? Nous avons pu constater à quel point les forces de
l’ordre étaient embarrassées et divisées face à nous. Il est en effet très
délicat d’embarquer des personnes qui n’entravent pas la circulation, ne font
pas de bruit, récitent des poésies et proclament, à la suite de Dostoïevski,
que « la beauté sauvera le monde ».
Apparemment inoffensive, cette révolution intérieure, culturelle et spirituelle
que nous avons lancée est bien plus subversive qu’il n’y paraît. Elle contamine
notamment les forces de l’ordre qui nous entourent. Un veilleur a pu discuter
avec l’un d’eux dimanche dernier, et le policier lui a confié : « Nous sommes
entre 80 et 90% à être de votre côté. Nous sommes de plus en plus écoeurés par
les ordres très sévères que nous recevons contre les opposants au mariage
homosexuel, alors même qu’on nous a demandé, lors de la manifestation des
antifascistes, de ne pas intervenir, tandis que nous assistions au cassage du
quartier de la Bastille. » Certains CRS rient de bon cœur avec nous, d’autres
obéissent aux ordres en nous faisant savoir qu’ils le font à contre-cœur. Lors d’une veillée, nous avons lu un discours du général McArthur sur la
jeunesse, et un gendarme, qui connaissait ce discours par cœur, l’a récité en
même temps que nous. Oui, cette flamme que nous allumons est contagieuse.
Les
Veilleurs entendent donner l’étincelle qui permettra l’embrasement d’un
véritable réveil des consciences, par la médiation de la culture, de la pensée
et des arts. A chaque veillée, depuis le mois de juin, nous demandons aux
personnes présentes de prendre un moment de silence pour penser à l’engagement
concret qu’elles pourront prendre, dès le lendemain, chacune selon son charisme
propre, pour promouvoir à l’intérieur des associations, quels qu’ils soient, à
l’intérieur des syndicats, des partis politiques existants ou des médias, le
sens de l’homme que nous défendons. Nous assistons à la
naissance d’une génération qui a enfin saisi le sens de la citoyenneté et de
l’engagement, et qui est porteuse d’espérance pour l’avenir.
L’Europe, actuellement, a choisi
de suivre la voix trompeuse des Sophistes, plutôt que la sage pensée des
Philosophes. Oui, l’Europe est en
train de perdre son âme dans une illusion démiurgique digne de Protagoras,
lorsqu’elle affirme que l’homme est la mesure de toute chose, et qu’il peut à
sa guise nier la réalité et vider les mots de leurs sens – je pense notamment
au mariage, à la filiation et à l’altérité et la complémentarité sexuelles.
Nous, Veilleurs, refusons de nous
laisser fourvoyer par ces sophistes des temps modernes, et répondons à la suite
de Socrate que si l’homme est la mesure de toute chose, alors la folie devient
la mesure de toute chose. Oui, à la suite de Socrate, nous sommes prêts à obéir
à la seule voix de notre conscience, malgré le blâme ou la condamnation
publique, par amour pour la Sagesse et pour la Vérité, par amour pour notre
Cité et pour l’Homme."
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