jeudi 26 mars 2009

Ah, malicieuse Simone...

Ah, malicieuse Simone, je vous admire et je vous aime !
Clarté de l'exposé, puissance de la pensée, rigueur de l'analyse, telles sont les principales qualités du livre de Simone WEIL, Réflexions sur les causes de la liberté et de l'oppression sociale. Simone WEIL n'est ni de droite, ni de gauche, si l'on cherche à savoir où elle se situe sur le ridicule échiquier politique qu'on se plaît à nous exposer. Simone WEIL pense. Elle ne vocifère pas, ne tempête pas, ne criaille pas, ne conteste pas. Elle se contente, avec une rigueur presque implacable, de prendre au mot ses collègues philosophes et penseurs et de pousser leur pensée à leurs ultimes conséquences, puis l'ayant fait, elle expose sereinement la sienne. Jugez-en.
"Dans la fabrique", écrit [MARX] dans le Capital, "il existe un mécanisme indépendant des travailleurs, et qui se les incorpore comme des rouages vivants... La séparation entre les forces spirituelles qui interviennent dans la production et le travail manuel, et la transformation des premières en puissance du capital sur le travail, trouvent leur achèvement dans la grande industrie fondée sur le machinisme. Le détail de la destinée individuelle du manoeuvre sur machine disparaît comme un néant devant la science, les formidables forces naturelles et le travail collectif qui sont incorporés dans l'ensemble des machines et constituent avec elles la puissance du maître. Simone WEIL alors de commenter : "Ainsi la complète subordination de l'ouvrier à l'entreprise et à ceux qui la dirige REPOSE SUR LA STRUCTURE DE L'USINE ET NON SUR LE RÉGIME DE LA PROPRIÉTÉ. Vous noterez ici que Simone WEIL ne fait que développer les conséquences du constat de MARX. Dans toute la suite du livre, elle montrera que le marxisme, en se proposant de libérer les forces de production, ne fait que développer la "dégradante division du travail en travail manuel et travail intellectuel" selon la formule même de MARX.
"Car, dit-elle, si MARX a cru montrer comment le régime capitaliste finit par entraver la production, il n'a même pas essayé de prouver que, de nos jours, tout autre régime oppressif l'entraverait pareillement ; et de plus on ignore pourquoi l'oppression ne pourrait pas réussir à se maintenir, même une fois devenue un facteur de régression économique. Surtout MARX omet d'expliquer pourquoi l'oppression est invincible aussi longtemps qu'elle est utile, pourquoi les opprimés en révolte n'ont jamais réussi à fonder une société non oppressive, soit sur la base des forces productives, soit même au prix d'une régression économique qui pouvait difficilement accroître leur misère ; et enfin, il laisse tout à fait dans l'ombre les principes généraux du mécanisme par lequel une forme déterminée d'oppression est remplacée par une autre." Et pan !
Et elle constate ceci :
"La bonne volonté éclairée des hommes AGISSANT EN TANT QU'INDIVIDUS est l'unique principe possible du progrès social."
Depuis que j'ai ouvert ce Blog, je n'ai jamais cessé de clamer que l'homme est un sujet social, que la vie morale des personnes, responsables politiques comme citoyens, est le fondement même d'une société harmonieuse et pure - autant que faire se peut - de toute oppression. Je l'ai dit bien maladroitement. J'en conviens. J'ai appelé à mon secours Gustave THIBON qui fut justement l'ami de Simone WEIL, LANZA del VASTO qui prôna la désertion de la civilisation urbaine, le travail manuel, la prière, l'ascèse et le partage, Marcel LEGAUT, très grand penseur, agrégé de philosophie, qui se retira à la campagne lui aussi et vécut de son travail de paysan.
Ce qui est en cause, c'est le fol amour qu'ont les hommes, tous les hommes, et je m'inclus dans cette humanité-là -, pour le pouvoir et la domination, ce fol amour qui les pousse à rivaliser avec ceux qui leur ressemblent et leur sont de dangereux concurrents, des obstacles à la réalisation de leur désir, un désir qu'ils n'ont même pas conçu, comme l'a si bien montré René GIRARD. Tous ces penseurs nous offrent matière à réflexion, ouvrent des pistes à nos comportements.
Ah, chère Simone, comme je vous aime et vous admire. Votre trop courte vie a été pour ceux qui vous lisent chemin de lumière et de vie !

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