vendredi 20 mars 2009

Nécessité du travail

A de multiples reprises, j'ai dit ici mon admiration pour Simone WEIL, sans doute l'un des penseurs les plus puissants du XXe siècle. En ces temps ou les loisirs semblent être devenus le désir principal de nos contemporains, et le travail leur supplice, il est bon de rappeler ce quelle disait dans ses Réflexions sur les causes de la liberté et de l'oppression sociale (Folio essais N°316, Gallimard, Paris, 1998). Madame AUBRY aurait grand profit à lire ce livre.
Un état de chose où l'homme aurait autant de jouissances et aussi peu de fatigues qu'il lui plairait ne peut pas trouver place, sinon par fiction, (c'est moi qui souligne) dans le monde où nous vivons. La nature est, il est vrai, plus clémente ou plus sévère aux besoins humains, selon les climats et peut-être selon les époques ; mais attendre l'invention miraculeuse qui la rendrait clémente partout et une fois pour toute, c'est à peu près aussi raisonnable que les espérances attachées autrefois à la date de l'an mille (sic pour "mil"). Au reste si l'on examine cette fiction de près, il n'apparaît pas qu'elle vaille un regret. Il suffit de tenir compte de la faiblesse humaine pour comprendre qu'une vie d'où la notion même de travail aurait à peu près disparu serait livré aux passions et peut-être à la folie ; il n'y a pas de maîtrise de soi sans discipline, et il n'y a pas d'autre source de discipline pour l'homme que l'effort demandé par les obstacles extérieurs.
La grande erreur anthropologique de madame AUBRY est d'avoir fait du travail un repoussoir et des loisirs un inaccessible paradis, qu'il serait possible d'atteindre en travaillant moins. Bien entendu, diminuer la peine des hommes par la machine et les moyens auxiliaires modernes est tout à fait utile et nécessaire. Mais imaginer que travailler moins c'est vraiment vivre mieux est tout simplement faux.
Et Simone WEIL poursuit un peu plus loin :
On peut entendre par liberté autre chose que d'obtenir sans effort ce qui plaît.
Tout ce texte est d'une densité, d'une justesse confondante. Et Simone WEIL sait de quoi elle parle, qui a écrit La condition ouvrière, après avoir été elle-même ouvrière, à s'y épuiser, pendant plus d'une année.
C'est pourquoi, entendant les slogans des manifestants qui défilaient en nombre hier dans la France entière, je faisais bien la différence entre les supplications des chômeurs et des salariés sur le point d'être licenciés - qui eux veulent travailler - et les criailleries des salariés inamovibles qui réclament toujours plus et veulent travailler moins.

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