mercredi 20 mai 2009

Une pensée forte

Jean-Claude GUILLEBAUD produit très régulièrement un bloc-notes dans l'hebdomadaire La Vie. C'est un homme qui pense, pèse le poids de ses propos, chemine. Son dernier article, intitulé Panne de sens, publié dans le numéro 3324 de l'hebdomadaire (semaine du 14 au 20 mai), est absolument remarquable. (Enfin il l'est pour moi ! Je module pour ne pas donner l'impression d'avancer avec trop d'assurance...). Il commence comme il suit :
Voilà qu'au sujet de la crise resurgissent des questions "morales". Les guillemets s'imposent car on aurait bien tort de les réduire à la seule morale traditionnelle. On pense à cette rapacité, à ce vertige du lucre et du profit immédiats qui ont été à l'origine de la dérive financière du libéralisme. En vérité, c'est plus d'anthropologie que de morale qu'il faut parler. Expliquons-nous. Le capitalisme - à l'instar de la société moderne - ne peut fonctionner que parce qu'il a hérité que quelques types anthropologiques dont il n'était pas lui-même le créateur : des juges irréprochables, des ouvriers consciencieux, des entrepreneurs imaginatifs, des fonctionnaires intègres, etc.
Ces types humains avaient été créés dans des sociétés antérieures, à des époques où ni l'argent ni le cynisme n'étaient tout à fait rois. Ces modèles anthropologiques étaient donc les produits d'une longue alchimie éducative. Leur création - on pourrait dire leur patiente "construction" - se référait à des valeurs encore jugées prioritaires : honnêteté, civisme, désintéressement, goût d'entreprendre. Seules ces valeurs partagées ont pu être le ciment invisible qui permet à une société humaine d'assurer sa cohésion et - surtout- de durer en se reproduisant, d'une génération à l'autre.
L'auteur poursuit son analyse, explique comment le système libéral à déraillé d'une manière tout-à-fait prédictible, en niant les valeurs qui avaient permis son émergence. Et il conclut :
Ce processus, on le voit bien, n'invite nullement à un discours moralisateur. Il nous renvoie à une question bien plus essentielle : quel est donc cet ingrédient qui nous permettait de vivre ensemble et que, manifestement, nous avons perdu ?
Souvent, dans mes billets, je vous ai parlé de "morale", au sens d'un art de vivre et de la réponse qu'il convient de donner à la question du "que dois-je faire ?" La morale en effet n'est pas une accumulation de mesures d'obligations et d'interdiction, mais une orientation délibérée de la vie, en fonction de ses exigences propres. Dans cet article, je retrouve, infiniment mieux dit que je n'aurais pu le faire, un cheminement de pensée que je ne cesse suivre depuis l'ouverture de ce Blog. Combien de fois n'ai-je pas critiqué la fausse anthropologie, l'anthropologie trompeuse de nombre de penseurs modernes (pas plus tard que dans mon dernier billet) ? Combien de fois n'ai pas rageusement dénoncé la cupidité, l'avidité pour les profits immédiats, le mortel égoïsme des puissants, la convoitise dérisoire des moins bien nantis ?
Les deux caractéristiques de la vie sont la croissance et la reproduction. GUILLEBAUD fait tout à fait allusion à ces propriétés qui ont permis à nos sociétés de tenir "cimentées". Et, par sa question finale, il appelle une réponse. Quand on congédie la majesté, la puissance et l'amour divins de l'espace public, on a, du moins il me semble, identifié les raisons de notre autodestruction. Ce que nous avons perdu ? Je vous le laisse deviner.

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