Je vous ai déjà parlé de ce livre de Simone WEIL, Réflexions sur les causes de la liberté et de l'oppression sociale. C'est, de mon point de vue, un très grand livre que tout homme politique qui pense, au lieu de chercher à conquérir le pouvoir, doit lire, relire et méditer.
Le chapitre intitulé Esquisse de la vie sociale contemporaine est une analyse éblouissante, et prophétique. Le livre a été écrit en 1934, et déjà Simone WEIL voyait où nous mènerait la complication extraordinaire de notre organisation sociale, son opacité, son incapacité à penser, et à organiser quoi que ce soit, son côté arbitraire et aveugle, son caractère oppressif progressivement et inéluctablement croissant. Je vous invite, toute affaire cessante, à acheter ce livre que vous trouverez pour un prix modique à la Librairie La Procure, Rue de Mézières, près de Saint-Sulpice.
Pour aujourd'hui - car je reviendrai sur cette oeuvre achevée que je ne cesse de lire et relire - voici un petit extrait du premier paragraphe de l'Esquisse.
Jamais l'individu n'a été aussi complètement livré à une collectivité aveugle, et jamais les hommes n'ont été plus incapables non seulement de soumettre leurs actions à leurs pensées, mais même de penser. Les termes d'oppresseurs et d'opprimés, la notion de classe, tout cela est bien près de perdre toute signification, tant sont évidentes l'impuissance et l'angoisse de tous les hommes devant la machine sociale, devenue une machine à briser les coeurs, à écraser les esprits, une machine à fabriquer de l'inconscience, de la sottise, de la corruption, de la veulerie, et surtout du vertige. La cause de ce douloureux état de choses est bien claire. Nous vivons dans un monde où rien n'est à la mesure de l'homme ; il y a une disproportion monstrueuse entre le corps de l'homme, l'esprit de l'homme et les choses qui constituent actuellement les éléments de la vie humaine ; tout est déséquilibre. Il n'existe pas de catégorie, de groupe ou de classe d'homme qui échappe tout à fait à ce déséquilibre dévorant, à l'exception peut-être de quelques îlots de vie plus primitive ; et les jeunes qui y ont grandi, qui y grandissent, reflètent plus que les autres à l'intérieur d'eux-mêmes le chaos qui les entoure.
Quand on pense que ce texte a été écrit en 1934, on demeure subjugué par la prescience de Simone WEIL. Et notamment pour ce qui concerne les jeunes. On est stupéfait d'entendre ses propos sur la sottise, que l'on voit proliférer dans les médias, spécialement à la télévision, sur la corruption qui ronge nos sociétés, aussi bien prétendument démocratiques et policées, que tyranniques ou autocratiques, sur la veulerie, nous qui laissons des centaines de milliers d'êtres humains, des millions, aux mains des tyrans ou des bandits, les abandonnant à un sort que nous ne voulons pas connaître.
Je reviendrai là-dessus. Je ne veux pas laisser Eugénie sur l'impression que l'avenir est bouché. Il ne l'est pas. Mais, et Simone WEIL le dit, il nous faut attendre l'écroulement d'un système aveugle pour réinventer un nouvel art de vivre ensemble. Pour cela il nous faut penser, et il nous faut partir du réel.
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