jeudi 7 mai 2009

Au hasard de mes lectures

J'ai déjà eu l'occasion de dire combien les excuses présentées par madame ROYAL aux Africains pour les propos du Président SARKOZY tenus à DAKAR (Les Africains ne sont PRESQUE [un "presque" omis par madame ROYAL] pas encore rentrés dans l'histoire) étaient intellectuellement infondés. Ils n'impliquaient pas en effet, que les Africains n'eussent point de passé, mais simplement qu'en l'absence d'écriture, avec laquelle naît l'histoire, ce passé ne pouvait être saisi, à moins que des explorateurs européens ne fixent par écrit les récits de ce qu'ils avaient vu et entendu pendant leur voyage en Afrique.
Je ne pensais pas que mes lectures viendraient si rapidement conforter mes propos. J'achève l'étude d'un livre que nous devons à Charles-F. JEAN, La littérature des Babyloniens et des Assyriens, Librairie Orientaliste Paul Geuthner, Paris, 1924. Le premier paragraphe du Chapitre I commence ainsi : Au moment où commence l'histoire, depuis les bords du Nil jusqu'au lointain Elam, nous nous trouvons en présence d'une civilisation vieille de longs siècles, civilisation très brillante, vers le milieu du troisième millénaire av. J.-C., en Basse Mésopotamie, dans le bassin de la mer Égée et en Égypte, toute primitive au contraire en Canaan. L'auteur veut dire par là que nous ne pouvons connaître l'histoire de ces civilisations brillantes qu'au moment où elles inventent l'écriture : hiéroglyphe en Égypte, cunéiformes en Mésopotamie, signes syllabiques avec les linéaires A et B dont le déchiffrement est tout récent (on ne doit à VENTRIS). Charles-F. JEAN indique bien par là qu'une civilisation peut être brillante sans pour autant être encore rentrée dans l'histoire, faute d'avoir une écriture pour fixer par écrit les événements qui la concernent. Il en va exactement ainsi pour l'Afrique. Elle a pu connaître, et elle a connu, de brillantes civilisations dont nous pouvons saisir un peu l'éclat par les rares témoignages archéologiques qu'elles ont laissés, mais dont nous ne connaîtront jamais l'histoire, à moins qu'elle n'ait été fixé par écrit grâce à la curiosité de visiteurs européens. C'est ainsi que les Béninois ne connaîtraient rien de leur histoire, ou très peu, si elle n'avait été écrite par Archibald DALZEL, un explorateur anglais qui en avait recueilli les récits lors de sa visite au Roi du Dahomey, et les avait écrit dans son ouvrage The history of Dahomey, Biblioth. Brit., Mai 1796, Volume II, n°1, page 87.
Madame ROYAL, née à DAKAR en raison des hasards de la colonisation (et qui se sert indécemment de cette coïncidence pour présenter des excuses indignes à des peuples qui sont plus offensés par cette initiative que par les fidèles récits de visiteurs honnêtes et scrupuleux) aurait mieux fait d'inciter les chercheurs sénégalais à recueillir les traditions orales, mythiques, légendaires, ou historiques du pays, lesquelles sont en train de se perdre faute de trouver une oreille attentive et des mains diligentes à écrire ces monuments de mémoire orale. Madame ROYAL est arrogante, car elle plaque sur des civilisations très anciennes, très sages, des schémas de pensée européens. Ne pas être rentré dans l'histoire n'est pas un signe d'arriération, mais l'expression d'un mode de vie différent, comme l'a si bien dit Charles-F. JEAN à propos des Assyriens et des Babyloniens.
Je l'ai déjà dit, je ne connais pas les civilisations africaines. Le peu qui est venu à ma connaissance m'indique combien les peuples africains ont un sens de la relation, un sens de l'humain, un respect de la famille et de la nature que nous n'avons jamais connus. Et surtout, avant qu'ils ne nous rencontrent, ils n'étaient ni avides de cueillir un fruit dont ils ne sentaient pas l'utilité, ni cupides. Hommage leur soit rendu pour cette leçon de sagesse antique.

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