La mort désormais se lève à l'horizon de ma vie "comme un grand astre solennel". Cette belle expression est de Marcel LEGAUT.
Voici venue l'heure du bilan : qu'ai-je fait de ma vie ? Comme tant d'hommes, j'ai cherché le bonheur que je n'ai jamais pu séparer de la quête de la vérité, tant les deux me paraissent liés.
Le bonheur ? Cet état de paix intérieure qui fait goûter intensément le présent, ne pas habiter de nostalgie un passé révolu, avoir confiance dans les temps qui viennent ; cet état de douce tension vers une action qui remplit et creuse à la fois le désir d'être, qui fait sens en quelque sorte. Des années de recherche et d'études austères, de réflexions et de rencontres diverses m'ont conduit à une conclusion définitive : la raison seule est incapable de conduire au bonheur ; il y faut une autre faculté, que j'ai du mal à identifier ou à nommer, qui n'est pas irrationnelle mais à la limite de la conscience, comme un appel à la vie et à l'être, et non pas à la possession. Peut-être la connaissance de soi en vérité, sans complaisance, la certitude que ma vie a été voulue, que malgré mes limites, mes faiblesses, cet appel à la vie m'établit dans la dignité d'homme, de créature, et de fils. Je n'oblige personne à partager les deux derniers point de vue sur le statut de créature et sur celui de la filiation. En revanche, il me paraît peu sage de ne pas accepter l'idée que le bonheur suppose une reconnaissance de sa dignité d'homme.
Toute anthropologie qui néglige la dimension unique et originale de la personne est condamnée à périr, car ce sentiment d'unicité est présent, plus ou moins intense en chacun de nous. Toute anthropologie qui néglige la dimension de la personne "faite pour l'autre" est condamnée à périr, car l'homme est un être de relation.
La vérité ? Qu'il est difficile à un esprit moderne d'admettre cette notion. Mais si nous acceptons sans difficulté qu'il y ait des jugements ou des opinions qui soient erronés, il nous faut nécessairement admettre qu'il en est de vrais. Je vois là plusieurs éléments à prendre en compte, si je me place exclusivement sur le plan de l'intellection : impossible d'aller à la vérité sans tenir compte du réel et de l'expérience, accepter l'idée que les choses et les autres peuvent être sans que je les perçoive ou les connaisse. Mais une réflexion soutenue, continuelle (elle occupe ma pensée presque constamment) m'a amené à conclure que la vérité pleine ne peut venir que d'une source extérieure à l'esprit humain. Chaque fois que je crois avoir trouvé un raisonnement imparable, une objection, en général de nature subjective, m'interrompt dans le développement de mon argumentation, car je constate que les points de départ des pensées, et les références de mes interlocuteurs sont différents, et je suis trop impatient ou trop occupé pour refaire avec eux le développement d'une pensée qui a muri pendant des années.
J'en suis donc venu, par de longs détours, parfois difficiles, à croire absolument à la parole de Jésus : "Je suis le chemin, la vérité et la vie". Il m'a fallu des années pour échapper à la force d'évidence de cette parole. Mais c'est maintenant pour moi une certitude.
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