mercredi 11 septembre 2013

Nouvelles de la Résistance : à Caroline Fourest, deuxième billet du 11 septembre 2013

-
Chère Caroline,

Vous avez déclaré au « Le Grand Journal » de Canal+ : « S’il y a bien un intégrisme massivement en train de reprendre du poil de la bête : c’est l’intégrisme catholique ». Je n'ai pas pris connaissance de la suite de votre intervention et par conséquent, il se peut que mes remarques ne soient pas entièrement justifiées. A vous de me le dire si vous en avez l'opportunité.
 -
Je pense que vous serez d'accord avec moi pour convenir que vous portez là un jugement, et que ce jugement doit être étayé en raison. Votre remarque en effet soulève plusieurs questions : qu'est-ce l'intégrisme ? En quoi l'intégrisme présenté comme catholique est-il en train de reprendre MASSIVEMENT du poil de la bête ? Où, comment, sous quelle forme ? Pourquoi visez-vous les catholiques en particulier, alors que dans le monde entier, il y a un réveil du religieux qui - que l'on soit ou non croyant - interroge tout observateur de bonne foi et qui peut prendre en effet plusieurs visages : celui de l'intégrisme (qui consiste à vivre de la lettre et non de l'esprit), celui de l'exaltation, de la ferveur (domestique ou ecclésiale au sens large de qualificatif de rassemblement de croyants), de la violence, de l'affirmation massive de la foi dans l'espace public, de conversion instantanée et bouleversante, etc. C'est pourquoi, et ce sera là ma dernière question, je vous demande les raisons pour lesquelles vous restée aveugle à ce phénomène de renouveau religieux, ou que, le voyant, vous le qualifiez indistinctement d'intégriste.
-
Dans tout dialogue, ce que m'efforce d'instaurer ici-même avec vous si d'aventure vous me lisez, il est important de dire d'où l'on parle, et je le fais : je suis catholique, converti et pratiquant, mais je suis aussi et en même temps scientifique de formation et de métier. J'ai passé une grande partie de ma vie à faire de la recherche, et je continue (dans un cadre privé puisque j'ai quitté l'Université). Je m'intéresse aux maladies neurodégénératives, et par là même au fonctionnement du cerveau.
-
Ce que je trouve gênant dans votre intervention, c'est que vous jugez, et affirmez, sans qu'il soit possible d'opposer des contre-arguments à vos arguments (mais vous ne semblez pas en voir donnés) ou des faits (même remarque) sur le lieu même où vous avez parlé. C'est donc un monologue. Et ce n'est pas un exposé philosophique qui porterait sur le réveil de la vérité dans la mesure où il est possible de l'approcher, c'est du théâtre, au sens grec. Diogène LAËRCE met ces paroles dans la bouche de PYTHAGORE :  "La vie [...] ressemble  aux grands jeux : certains y viennent pour lutter, d'autres pour faire du commerce, mais les meilleurs s'y rendent comme spectateurs [theatai]. De même dans la vie, les hommes serviles pourchassent la renommée [doxa] ou le gain, les philosophes sont en quête de la vérité." (Vies et opinions des hommes illustres, VIII, 8.) Loin de moi l'idée de vous accuser de servilité, je vous demande de me croire sur ce point. Simplement vous êtes acteur et non pas spectateur, ce qui ôtent beaucoup de poids et de valeur à vos massives assertions.
-
Je vous invite à venir, par exemple, à la distribution de nourriture que la Banque alimentaire tenue par la Conférence de saint Vincent de Paul, à la paroisse Sainte-Jeanne de Chantal ; vous y verrez la plus pure expression de l'intégrisme catholique en effet : des hommes et des femmes qui donnent de leur temps et de leur ressources pour accueillir les pauvres parmi les pauvres, les sans-toits, les étrangers, parlant souvent à peine notre langue. Quel intégrisme de la charité active dans ces sourires, ces cafés que l'on distribue, ces nouvelles des familles ou des enfants que l'on demande au papa ou à la maman de familles nombreuses, ce précieux temps que l'on consacre à l'autre, cet argent que tant de nos contemporains idolâtrent et qui est généreusement donné, sans idée de retour de gratitude. Comme c'est sans doute trop près, la Porte de Saint-Cloud, faites des voyages. Allez en Syrie où les "rebelles" qui en viennent à conquérir un village chrétien commence par en massacrer tous les habitants, allez en Iran, en Afghanistan, au Pakistan, où les chrétiens sont persécutés, tués, condamnés à la prison, pour leur foi ou parce qu'ils se sont convertis. Voilà en effet l'expression massive de l'intégrisme catholique : accepter de perdre sa vie pour la sauver.
-
Que voulez-vous, la foi catholique a un contenu, et tenir au Credo ne me semble pas relever de l'intégrisme. Ce qui en relève (peut-être), c'est votre position trop dogmatique. Puisque vous êtes philosophe, je me permets de vous citer, sans malice, un fragment de la lettre que KANT écrivit à son ami Marcus HERZ, dans les années 1770 :
 
"Vous savez que je n’aborde jamais des objections raisonnables avec la seule intention de les réfuter, mais que, en y réfléchissant, je les mêle à mes jugements et leur offre l’occasion de mettre à bas toutes mes convictions les plus chères. Je nourris l’espoir qu’en considérant ainsi, avec impartialité, mes jugements du point de vue des autres, je parviendrai à un troisième aperçu qui améliorera ma perspective antérieure."
-
Croyez bien, chère Caroline, que je ne demande qu'à recevoir des preuves de ce que vous avancez avec tant d'intrépidité. Mais si être "intégriste" consiste à s'opposer à la loi TAUBIRA ou aux lois sur l'euthanasie, alors, oui, je me sens intégriste. Et je ne saurais prendre comme un argument de raison cette raison-là.
-
Quoi que vous en pensiez, je vous prie d'agréer l'expression de mes sentiments les meilleurs.
 
Philippe POINDRON
 
 

Aucun commentaire: