samedi 21 septembre 2013

Nouvelles de le Résistance : récit de la veillée du 20 septembre 2013, premier billet du 21 septembre

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Nous étions convenus avec Antoine de nous retrouver à la Fontaine des Innocents à 21 h 30 tapantes, heure prévue du début de la veillée. Je suis arrivé un peu avant lui sur cette place carrée, au milieu de laquelle s'élève ladite fontaine. Le lieu est assez spacieux et complètement entouré d'un petit muret qui fait office de banc pour les badauds qui s'amusent à regarder les évolutions acrobatiques des skate-boarders. Il y en a justement ce soir, et ils s'amusent à faire crisser les roulettes de leur engin sans trop se soucier de ceux qui les entourent. De nombreux veilleurs veilleurs sont assis, dispersés sur le pourtour de la placette, attendant que la veillée commence. Je téléphone à Antoine pour lui préciser où je suis assis afin qu'il me retrouve facilement. En réalité, Axel, Xavier, Madeleine, Charles et Romain qui vont animer notre rencontre nous font nous regrouper sur le trottoir, à l'angle nord-est de la placette. A ce moment, le service d'ordre est discret, pour ne pas dire inexistant. Ce n'est qu'après le début de la veillée que nous nous retrouverons entourés d'un cordon assez lâche de CRS. L'eau qui ruisselle des gargouilles de la fontaine fait un bruit doux et continu, et va longtemps accompagner notre soirée.
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Charles nous fait apprendre le chant de la paix, il s'agit en fait du chœur des Hébreux du Nabucco de Verdi. Puis commence la lecture de textes qui viennent truffer l'intervention très solide et étoffée de Xavier sur la manière dont notre société évacue la mort de son champ de vision. Notre société est malade de jeunisme, et les hommes qui la font, ne pouvant regarder la mort en face, ont pris le parti de l'évacuer. On n'utilise plus les mots de "mort", de "décès". On dira de telle personne qui justement vient de mourir : "elle nous a quittés", "elle est partie". Les rites de visites de condoléances ont disparu, les volets de la chambre mortuaire ne sont plus fermés, on ne porte plus le deuil et l'on réduit en cendres ces pauvres corps dont la vue nous rappellent notre propre finitude. Très beau témoignage aussi d'un jeune homme qui parle de la mort de son grand-père centenaire, ou d'Hervé qui parle des soins palliatifs et fait mention d'un opuscule édité par l'Association de la Culture Citoyenne : "Je veux mourir dans la dignité" qui montre comment il est possible d'aider les mourants sans avoir à les tuer, comme le propose l'Association pour le droit de mourir dans la dignité.
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Nous décidons vers minuit (mais je n'ai pas vérifié l'heure) de faire mouvement. Commence alors une ronde du plus comique effet, une sorte de jeu du chat et de la souris avec les forces de l'ordre. La sortie ouest de la place est barrée par des gendarmes ? Qu'à cela ne tienne, nous tournons à gauche pour tenter de sortir par une rue qui longe la place à l'est. Même chose. Nous continuons notre giration et finalement, constatant que nous sommes entièrement encerclés par lesdites forces de l'ordre, nous nous asseyons côté ouest de la place sur le trottoir. Il est à ce moment impossible de rentrer ou de sortir du lieu de la  veillée. Un homme d'un certain âge, qui n'est pas un veilleur habituel mais s'est intéressé au rassemblement, vient nous raconter avec un irrésistible humour qu'il voulait procéder à une distillatio per descensum (faire  pipi si vous préférez) et qu'il en a été empêché d'abord par un gendarme, puis par un gradé qui l'a renvoyé sans aménité vers un commissaire lequel l'a enfin autorisé à procéder à une urgente vidange. Le tout est raconté avec drôlerie et finesse. Et il nous donne enfin son avis sur les manipulations dont nous sommes l'objet et ne craint pas d'impliquer les forces occultes de la franc-maçonnerie. On nous lit aussi le magnifique poème de RIMBAUD : Le dormeur du val et je pense le cœur rempli de tristesse à ces centaines de milliers de jeunes Français qui ont perdu la vie lors de la première guerre mondiale, et dont nombre ont eu pour première couche le frais cresson des fontaines et pour caresse la brise qui n'arrêtent ni la mitraille ni le canon.
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Thomas nous lit de larges extraits d'un livre écrit par ses parents, sur la liberté. Enfin, Axel nous indique que nous "allons partir" et par le bouche à oreille invite ceux qui le désirent à se regrouper devant le Palais de justice, en indiquant que nous allons ainsi rentrer chez nous. Déjà, depuis plus d'une demi-heure,  les veilleurs qui le souhaitaient pouvaient quitter les lieux sans en être empêchés. Il y avait donc eu des contre-ordres. Pour ne  pas être refoulés, il est conseillé de quitter la Place par petits paquets. Il est un peu plus de minuit et demi quand nous arrivons devant les grilles pompeusement dorées du Palais de justice. Les forces de l'ordre ont été jouées. Nous nous asseyons et poursuivons la veillée : texte de Victor Hugo, lu comparativement à ce texte absolument épouvantable de l'Association pour le Droit à Mourir dans la dignité. La comparaison de ce que dit HUGO de sa jeune amie disparue, rencontrée par lui en exil, avec les expressions glaciales, générales, méprisantes pour les vieillards enfoncés dans la nuit de la vieillesse et de la maladie, dans les plaies et les douleurs, du texte publié par cette association (dans laquelle Jean-Luc ROMERO, ex-membre du RPR, passé au PS, revendiquant hautement son homosexualité, représente cette tendance terrible du mépris de la vie), oui, la comparaison est terrifiante. Lecture également de l'interview remarquable donnée par Fabrice HADJADJ au Figaro. Depuis trois quarts d'heure, des fourgons de gendarmes et un panier à salade stationnent devant le Palais de justice. Nous sommes cernés d'un infranchissable cordon de policiers. Mais ceux qui le veulent peuvent quitter la veillée, et il n'y a pas de commissaires ceint de l'écharpe tricolore et muni d'un porte-voix en forme de trompette. On me demande de témoigner sur l'expérience que nous avions prévu de faire dans mon laboratoire et qu'aucun de nous n'avons eu le courage de faire : disséquer un embryon humain de 12 semaines pour en prélever la moelle épinière afin d'innerver des cellules musculaires en culture fusionnées en myofibres.
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Oh, je n'ai pas été exhaustif, loin de là, et les intervenants dont j'ai omis le prénom voudront bien me pardonner. Je n'ai pas pris de note. Mais cette soirée a été d'une rare richesse ; quelque chose, comme un vent frais, se lève et nous sommes au début d'une ère dont nous ne percevons pas encore l'aurore en train de naître dans le secret des consciences.
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Ps : j'ai sorti de ce récit le témoignage d'une mère veilleuse. Cinq d'entre elle veillaient sur une place de la ville de RODEZ, quand monsieur VALLS est arrivé pour une visite. Elles ont été dégagées mamu militari pour permettre à cet imbécile (selon BERNANOS) de jouer au ministre de l'intérieur. Mais ce ministre est semblable au roi du conte : il est nu mais feint d'être drapé dans de somptueux habits que seuls peuvent voir d'autres imbéciles, non pas les enfants que nous sommes et que nous entendons rester : le Royaume, en effet, leur appartient. Attention, il ne s'agit pas de faire ici de la politique, mais de convaincre à défaut des hommes politiques, au moins nos concitoyens par notre détermination, notre fidélité, notre argumentation, de l'urgence qu'il y a à sauver notre âme, par la beauté, par la culture, par la non violence : "Contre l'esprit, il n'y a pas de loi" (Paul, Galates 5, 22ss).
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Nous nous dispersons à 2 heures du matin.
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Bon dimanche.

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