Je suis arrivé hier vers 18 h 15 sur l'esplanade de la Défense ; je me demandais si j'arriverai à sortir de la station du RER, car il était impossible de sortir à l'Etoile, et les stations de métro de la ligne 1, comme il était à prévoir, étaient elles aussi bouclées de la Concorde à la Défense. Ainsi va la liberté en France.
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Mon ami François m'attendait. Déjà un grand nombre de veilleurs partaient, par petits paquets, en direction de l'Arc de Triomphe. Mais contrairement à ce que prétendent les médias, ce n'est pas à l'invitation de la police (personnellement, quand je suis arrivé, il n'y avait qu'un gradé, à la mine tendue, qui discutait avec quelques organisateurs, le groupe étant entouré d'une petite foule, et de nombreux journalistes de télévision). Nous partons à petite vitesse sur le coup de 18 h 30. Devant nous, et derrière nous des dizaines de marcheurs, toujours par petits paquets, silencieux ou rigolards, surtout des jeunes gens et des jeunes filles de 18 à 25 ans environ. Nous arrivons porte Maillot, vers 19 h et là nous voyons d'abord deux dizaines de cars de CRS. Il semble que le trottoir de gauche de l'Avenue de la Grande Armée soit bloqué. Arrivés près de la gare du RER, nous apprenons de la bouche d'un organisateur qu'il serait bon de gagner la Concorde par des voies parallèles, et, si nous ne pouvions veiller à la Concorde, de faire de la veille debout partout dans PARIS, quand, d'un seul coup, les cars de police démarrent en trombe. Il y en d'autres, de l'autre côté de la Porte Maillot. La voie est devenue libre. Nous nous engageons donc sur le trottoir qui nous semblait d'abord interdit. Nous voyons d'un seul coup déboucher d'une rue plus d'une dizaine de cars de CRS, sirènes hurlantes. Place de l'Etoile, des cordons de policiers interdisant l'accès à la voute de l'Arc, nous faisons le tour de la place. D'autres cars de police viennent à toute vitesse de l'avenue Carnot (Carnot, vous savez, l'organisateur de la victoire sous la Convention, qui signait en blanc des bulletins de proscription dont certains de ses proches faillirent être les victimes ; ça valait bien une avenue, ça). A hauteur de l'avenue de Wagram, le trottoir de gauche (c'est une manie) semble lui aussi interdit, mais c'est une illusion. Il y a simplement quelques policiers qui regardent passer le train (des marcheurs...).
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A hauteur du restaurant Le Nôtre, où se déroule semble-t-il une réception de mariage, les invités doivent montrer patte blanche pour rentrer, à deux ou trois policiers qui sont là pour filtrer (pour filtrer quoi, on se le demande). Au même moment, nous entamons une conversation avec un jeune qui nous dit : là vous voyez, c'est la jeune femme qui a été embarquée le 14 juillet pour avoir criée "Hollande démission". Nous lui serrons chaleureusement la pince. Arrivée vers 20 heure à la Concorde. Des cars de police veillent. Des dizaines de personnes sont les unes assises sur le parapet de l'esplanade STRASBOURG (c'est notre cas), les autres sur la bordure surélevée d'un trottoir qui borde ladite esplanade, les autres sont debout ou assis sur l'espace donnant sur la place. Il y a des familles, dont une avec un délicieux bambin qui gambade. Un prêtre, étole au cou, confesse un jeune homme. A 20 heures, de multiples cordons de policiers commencent à encercler la foule qui a grossi. Plus d'une dizaine de cars de gendarmes arrivent à toute vitesse. Il en jaillit des dizaines d'hommes, ce qui donne le dispositif suivant : derrière le parapet, un cordon ; devant le parapet, un autre cordon, tout autour de l'esplanade de STRASBOURG encore un cordon. Une foule moins importante se presse du côte des Tuileries, et derrière la balustrade qui donne sur la place. Autre cordon pour la petit foule concordienne, pas de cordon pour la petite foule tuilerienne. Vers 20 h 30, nous sommes invités à nous rendre sur le terrain qui s'étend devant le jardin des Tuileries, côté place de la Concorde. J'avais entendu, quand j'étais assis sur le parapet un gradé de dire à ses hommes : on ne laisse sortir personne, on ne laisse rentrer personne. Avant que nous ne fassions mouvement, j'avais pu discuter avec une famille d'anglais, (qui marchait du bon côté du parapet, avant l'arrivée des gendarmes) absolument interloquée de voir ce déploiement de force, et cette espèce d'oppression qui semblait peser sur la libre expression publique d'opinions politiques. Nous évoquons Hyde Park, en effet, ou chacun peut dire à qui veut bien l'entendre, ce qu'il lui plaît de dire...
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Donc nous voilà parti de l'autre côté. Je n'ai jamais vu un tel affolement régner chez les forces de l'ordre. Il fallait à tout prix empêcher les marcheurs de sortir du périmètre mouvant qu'il encerclait. Une vieille dame, prise au piège, tente de le faire, elle est rattrapée avec brutalité ; un autre marcheur et moi-même intervenons auprès de l'homme qui a rattrapé cette dame, en lui faisant remarquer qu'elle est fort âgée. Il la laisse partir en précisant qu'il n'avait pas vu que c'était une dame âgée. Nous le remercions pour son humanité. Il est gêné et penaud. Après une brève station devant l'espace qui nous est réservé, au pied de la balustrade des Tuilerie, et sous les applaudissement des spectateurs-participants tuileriens, nous pénétrons enfin dans l'espace désiré. Les portes du jardin ont été fermées. Nous nous asseyons et la veillée commence. Quand je la quitterai, sur les coups de minuit, Annabelle, une des co-organisatrices, avec qui j'avais discuté à SAINT-NAZAIRE pour caler mon intervention, et que je croise en tentant de prendre le métro (sans succès), m'apprend que nous sommes 3000. Hors de l'enceinte entièrement bouclée par les forces de l'ordre au début de la veillée, des dizaines de personnes se pressent. Axel les prie de s'asseoir pour que nous puissions jouir du spectacle de l'hôtel de la marine illuminé. Ils le font (presque tous !).
Les forces de l'ordre s'éclipseront partiellement au fur et à mesure de la veillée.
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Musique (dont un dit de BACH-MOZART, joué par trois musiciens), morceaux de cornemuse, une scène désopilante jouée par Damien, lecture de textes, notamment du Commandant DENOIX de SAINT-MARC, (résistant, déporté, engagé en Indochine puis en Algérie, et qui engagera son régiment au côte des généraux SALAN; CHALLE, JOUHAUD et ZELLER. Il le paiera de 5 ans de prison). (Madame TAUBIRA n'avait pas encore inventé la contrainte de probation.) Témoignage magnifique d'un syndicaliste, intervention de GAUTHIER qui résume les acquis de la marche le long de la côte atlantique, une intervention absolument remarquable. Intervention de Marianne qui, dans un exposé époustouflant, nous fait bien sentir la différence qu'il y a entre mémoire et souvenir, espérance et optimisme. J'apprends que les veilleurs à côte de moi viennent de Valenciennes, un autre de l'Yonne. Ambiance fraternelle, décontractée, bienveillante, attentive.
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Inoubliable soirée ; magnifique témoignage de liberté ; pied-de-nez aux imbéciles bernanosiens qui entendaient nous priver de l'usage de nos droits. Merci qui ? Merci monsieur BOUCAULT !
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