-
Au lieu d’un château fort dressé au milieu des terres,
pensons pluitôt à l’armée des étoiles, jetée à travers le ciel.
-
PAS
QUESTION DE RIRE DU PROGRÈS.
-
"Ainsi se présente la
situation. Elle est assez particulière pour qu’on la regarde comme un tournant
capital dans l’histoire du rire, autrement dit de l’humanité. Le rire touche à
la fin de son cycle, il est rentré dans la sphère des dangerosités homologuées,
il porte atteinte aux bonnes mœurs et menace le nouvel ordre
humanitaire-victimaire. Le rire est devenu un fléau social. Sans doute même,
comme tant d’autres nuisances, relève-t-il d’une domination patriarcale
aujourd’hui en complète déroute. À la lettre, il n’y a plus de quoi rire. Le comique est en liquidation. Le fonds
de risible est épuisé. Cette source est tarie. Le ridicule ne tue plus ;
au contraire, il fait vivre. Et il faudrait un réel mauvais esprit, je veux dire
un esprit d’un autre siècle, pour esquisser fût-ce un sourire, par exemple en
entendant parler à la radio d’« un groupe de reggae normand au message
citoyen » ; ou en lisant dans un journal qu’un couple de lesbiennes
sourdes est résolu à «transmettre à ses enfants la surdité en héritage parce
que la surdité n’est pas un handicap mais une identité culturelle » ;
ou en découvrant qu’il existe un Collectif de démocrates handicapés, mais pas
de handicapés royalistes ni marxistes-léninistes : ou en voyant les bêtes
à cornes des Inrockuptibles se
prendre pour l’intelligence ; et les fanatiques de BUSH traiter de
munichois le comportement des Espagnols après les attentats de Madrid, les
mensonges d’AZNAR et les performances américaines en Irak."
Et
"[…]. J’avais
parlé de parcs d’abstractions, non d’attractions, ce qui
serait banal, pour désigner l’espèce de bonheur recomposé et aussi purement
conceptuel, nettoyé des contradictions du passé, donc également de ce qu’on
appelait la réalité, qui est l’idéal auquel semble partout travailler la
civilisation actuelle, même quand elle entreprend d’imposer la démocratie à
coups de bombes à des populations déviantes ou récalcitrantes. Le parc
d’abstractions mondialisé, c’est aussi bien les baraquements miteux de
Paris-Plage que l’instauration d’une démocratie préventive et imaginaire ;
aussi bien la comédie actuelle autour du mariage homosexuel sur la base d’une
exigence de « justice » et d’« égalité » devenue folle,
engagée dans un renchérissement sans fin, que d’autres phénomènes tout aussi
caricaturaux comme le passage à l’acte mythomaniaque, cet été, de la fameuse
Marie-Léonie dans le RER D ou comme celui de ce jeune crétin qui signait
Phinéas et qui est allé peindre des croix gammées dans un cimetière juif pour
se faire reconnaître en tant qu’ennemi des Arabes, ce qui constitue une
manière inédite d’accélérer encore la folie générale, d’en rassembler la
quintessence dans une simulation explosive, de la transformer en destin par une
bouffonnerie supérieurement sinistre, et de changer la confusion ordinaire en
extase criminelle. Tout cela, et bien d’autres choses encore, c’est ce qui se
passe après la liquidation de la réalité, ou tandis que la réalité est en
liquidation, en liquéfaction, tandis qu’elle se décompose ou désincarne. Si le
réel passe au-delà de ses fins, si la réalité est « intégrale » comme
le dit aujourd’hui BAUDRILLARD, si son principe est mort, alors on va assister
de plus en plus à ce genre de pitrerie plus ou moins atroces, à ces
renchérissements sur la démence ambiante où plus personne ne s’y retrouvera,
sauf comme d’habitude les moralistes, les consultants en expertise de la
sociologie, de la philosophie, du CNRS, qui ne sont jamais à court
d’« analyses » destinées à camoufler, sous des vestiges de
« sens », l’état réellement hallucinatoire de la réalité."
In
Philippe MURAY.
Moderne
contre moderne. Exorcismes spirituels IV. Essais. Quatrième tirage.
Préface
(pages 184 et 77 dans l’ordre pour les deux citations).
Les
Belles Lettres, Paris, 2010 (pour la présente édition).
-
UN
TEXTE PROPHÉTIQUE, RESTÉ LONGTEMPS INÉDIT, DE SIMONE WEIL.
-
"Nous
vivons dans un âge éclairé, qui a secoué les superstitions et les dieux. Il ne
reste attaché qu’à quelques divinités qui réclament et obtiennent la plus haute
considération intellectuelle, telles que Patrie, Production, Progrès, Science.
Par malheur, ces divinités si apurées, si affinées, tout à fait abstraites
comme il convient à une époque hautement civilisée, sont pour la plupart de l’espèce
anthropophage. Elles aiment le sang. Il leur faut des sacrifices humains. Zeus
était moins exigeant. Mais c’est qu’on n’aurait pas accordé à Zeus plus que
quelques gouttes de vin et un peu de graisse de bœuf. Au lieu que le Progrès ―
que ne lui accorderait-on pas ? Aussi riait-on parfois de Zeus, tandis qu’on
ne rit jamais du Progrès. Nous sommes une civilisation qui ne rit pas de ses
dieux. Est-ce par hasard que depuis l’intronisation dans l’Olympe de ces dieux
dont on ne rit pas, il n’y a presque plus de comédie ?"
In
Simone
WEIL.
Fragment
intitulé Progrès et Production rédigé
sans doute pour une rubrique des Nouveaux
Cahiers. (Page 398 ; suite du fragment dans un prochain billet.)
Écrits
historiques et politiques. Collection Espoir, fondée par Albert CAMUS.
Gallimard,
Paris, 1960.
-
COMMENTAIRES.
-
Vous
noterez la concordance des analyses. Il est apparu de nouveaux dieux dont il
est interdit de rire… Il n’y a plus de comédie ou presque. MURAY s’en désolait,
et Simone l’avait observé !
Le
parieur bénédictin n’est ni pour ni contre le progrès. Il n’en fait pas un
dieu, surtout pas. Et il le dénonce quand il détruit l’homme, et qu’il devient homicide.
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire