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Je suis,
comme vous le pouvez constater, dans ma période chinoise. Voici un texte tiré
du Mèngzǐ, qui a pour auteur MÈNG ZǏ, ou, selon le terme latinisé, MENCIUS. A
plusieurs reprises, dans ces billets, j’ai eu l’occasion de vous présenter
quelques passages de cet héritier de la pensée de CONFUCIUS. La traduction que
voici est donnée par H.G. CREEL, dans son livre La pensée chinoise, de Confucius à Mao tseu-Tong (Payot, Paris,
1955) traduit de l’anglais par Jean-François LECLERC. Je vous donne aussi le
texte chinois (que l’on peut trouver dans le Chinese Text project) et la traduction qu’en fit James LEGGE. Il
convient de savoir que ce texte a également été traduit en français par G. PAUTHIER d'une part, et de l'autre par S. COUVREUR (téléchargeable depuis
"Meng
Zi dit : La nature humaine possède certaines tendances qui la guident vers
le bien. C’est en cela que je dis qu’elle est bonne. Si les hommes se conduisent
mal, il ne faut pas en chercher la raison dans leur essence. Tous les humains
possèdent des dispositions à la sympathie, au remord et au dégoût, à la
vénération et au respect. Ce sont ces dispositions qui constituent les germes
des vertus de bienveillance de droiture, de bienséance et de sagesse. Ces
vertus, ce n’est pas le monde extérieur qui me les infuse ; elles font
partie intégrantes de mon moi. Une
opinion différente proviendrait d’un manque de réflexion. C’est pourquoi il est
dit : « Cherchez et vous les trouverez ; négligez-les et vous
les perdrez. » Les hommes sont différents les uns des autres, certains
sont deux fois plus différents que les autres, certains cinq fois plus, d’autres
encore incalculablement plus, pour la simple raison qu’ils ne sont pas tous capable
de développer leurs qualités innées."
Ce
passage ne prend pas en compte le texte où intervient CONFUCIUS, surligné en
jaune. Le passage surligné en gris, n’est pas traduit non plus.
告子上 - Gaozi
I, 6, §2
孟子曰:「乃若其情,則可以為善矣,乃所謂善也。若夫為不善,非才之罪也。惻隱之心,人皆有之;羞惡之心,人皆有之;恭敬之心,人皆有之;是非之心,人皆有之。惻隱之心,仁也;羞惡之心,義也;恭敬之心,禮也;是非之心,智也。仁義禮智,非由外鑠我也,我固有之也,弗思耳矣。故曰:『求則得之,舍則失之。』或相倍蓰而無算者,不能盡其才者也。《詩》曰:『天生蒸民,有物有則。民之秉夷,好是懿德。』孔子曰:『為此詩者,其知道乎!故有物必有則,民之秉夷也,故好是懿德。』」
Mencius said, 'From the feelings proper to it, it is constituted for the
practice of what is good. This is what I mean in saying that the nature is
good. If men do what is not good, the blame cannot be imputed to their natural
powers. The feeling of commiseration belongs to all men; so does that of shame
and dislike; and that of reverence and respect; and that of approving and
disapproving. The feeling of commiseration implies the principle of benevolence;
that of shame and dislike, the principle of righteousness; that of reverence
and respect, the principle of propriety; and that of approving and
disapproving, the principle of knowledge. Benevolence, righteousness,
propriety, and knowledge are not infused into us from without. We are certainly
furnished with them. And a different view is simply owing to want of
reflection. Hence it is said, "Seek and you will find them. Neglect and
you will lose them." Men differ from one another in regard to them - some as
much again as others, some five times as much, and some to an incalculable
amount - it is because they cannot carry out fully their natural powers. It is said in the Book of
Poetry, "Heaven in producing mankind, Gave them their various faculties
and relations with their specific laws. These are the invariable rules of
nature for all to hold, and all love this admirable virtue." Confucius said, "The maker
of this ode knew indeed the principle of our nature!" We may thus see that
every faculty and relation must have its law, and since there are invariable
rules for all to hold, they consequently love this admirable virtue.'
Je trouve que ce
passage du Mèngzǐ est extrêmement éclairant. Il apparaît en effet que tout
être humain, même le plus abominable de noirceur possède en lui ces tendances innées à
la sympathie, à la bienveillance, à la droiture. Les criminels les plus
endurcis ont des amis, des préférences, de la vénération pour des caïds qui ont
fait leurs preuves dans l’industrie de la violence, de la rapine ou de la
cruauté. MENCIUS ne donne pas la réponse à cette question essentielle qui
touche à la liberté : qu’est-ce qui fait qu’en dépit de ces dispositions
propres à la nature humaine, certaines êtres les utilisent pour commettre ce qu’il
est convenu d’appeler le mal, d’autres pour vivre le bien.
Il me paraît
évident que ces inclinations naturelles ont besoin d’être orientées de l’extérieur
de la subjectivité. Du reste, MENCIUS le rappelle en des termes qui, mutatis mutandis, ressemblent à ceux de Jésus : Cherchez et vous trouverez ! C’est bien tout le problème de la modernité : qu’est-ce
qui va m’orienter vers le bien ? Ou vais-je porter l'objet de ma recherche ? La loi ? C’est ce qu’ont décidé les
hommes politiques depuis les Lumières. Mais nous voyons bien que la loi peut un
jour déclarer mal tel ou tel acte, et très bon, le même, quelques décennies
après (je pense au cas très brûlant de l’avortement qui fut considéré comme un
crime, avant d’être élevé à la hauteur d’une vertu quasiment constitutionnelle,
au point qu’il est interdit de s’y opposer publiquement ; il s’agit d’une
question très délicate qui relève de la conscience éclairée des femmes, de leur
mari ou compagnon, et du médecin. Point n’était besoin de légiférer).
Le politique n’a
pas de légitimité pour définir ce qui est moralement bon ou mauvais. Nous
savons que la Parole, celle qui nous a été laissée par Jésus et ses apôtres,
est en cette matière le port sûr et béni qui, si nous y sommes fidèles, nous met dans une
sérénité absolue. Mais le politique est en réalité pris en otage par des
camarillas successives, composées d’hommes et de femmes à l’ego boursouflé. Qu’il
se borne à régler la justice, les finances, la guerre et la diplomatie. Et qu’il
nous fiche la paix, une bonne fois pour toute, en se rappelant qu’il ne tire sa
légitimité que de sa volonté proclamée de conduire l’homme à la fin qui lui est due et non à la
fin qu’il lui assigne dans une seule perspective : celle de se faire
élire, réélire, et vénérer par les médias.
Mencius en train de lire (d'après Wikipedia)
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