dimanche 18 août 2019

Dimanche 18 août 2019. Quand un philosophe chinois nous fait la leçon !

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Je suis, comme vous le pouvez constater, dans ma période chinoise. Voici un texte tiré du Mèngzǐ, qui a pour auteur MÈNG ZǏ, ou, selon le terme latinisé, MENCIUS. A plusieurs reprises, dans ces billets, j’ai eu l’occasion de vous présenter quelques passages de cet héritier de la pensée de CONFUCIUS. La traduction que voici est donnée par H.G. CREEL, dans son livre La pensée chinoise, de Confucius à Mao tseu-Tong (Payot, Paris, 1955) traduit de l’anglais par Jean-François LECLERC. Je vous donne aussi le texte chinois (que l’on peut trouver dans le Chinese Text project) et la traduction qu’en fit James LEGGE. Il convient de savoir que ce texte a également été traduit en français par G. PAUTHIER d'une part, et de l'autre par S. COUVREUR (téléchargeable depuis

"Meng Zi dit : La nature humaine possède certaines tendances qui la guident vers le bien. C’est en cela que je dis qu’elle est bonne. Si les hommes se conduisent mal, il ne faut pas en chercher la raison dans leur essence. Tous les humains possèdent des dispositions à la sympathie, au remord et au dégoût, à la vénération et au respect. Ce sont ces dispositions qui constituent les germes des vertus de bienveillance de droiture, de bienséance et de sagesse. Ces vertus, ce n’est pas le monde extérieur qui me les infuse ; elles font partie intégrantes de mon moi. Une opinion différente proviendrait d’un manque de réflexion. C’est pourquoi il est dit : « Cherchez et vous les trouverez ; négligez-les et vous les perdrez. » Les hommes sont différents les uns des autres, certains sont deux fois plus différents que les autres, certains cinq fois plus, d’autres encore incalculablement plus, pour la simple raison qu’ils ne sont pas tous capable de développer leurs qualités innées."

Ce passage ne prend pas en compte le texte où intervient CONFUCIUS, surligné en jaune. Le passage surligné en gris, n’est pas traduit non plus.

告子上 - Gaozi I, 6, §2

孟子曰:「乃若其情,則可以為善矣,乃所謂善也。若夫為不善,非才之罪也。惻隱之心,人皆有之;羞惡之心,人皆有之;恭敬之心,人皆有之;是非之心,人皆有之。惻隱之心,仁也;羞惡之心,義也;恭敬之心,禮也;是非之心,智也。仁義禮智,非由外鑠我也,我固有之也,弗思耳矣。故曰:『求則得之,舍則失之。』或相倍蓰而無算者不能盡其才者也。《》曰『天生蒸民有物有則。民之秉夷,好是懿德。』孔子曰:『為此詩者,其知道乎!故有物必有則,民之秉夷也,故好是懿德。』」

Mencius said, 'From the feelings proper to it, it is constituted for the practice of what is good. This is what I mean in saying that the nature is good. If men do what is not good, the blame cannot be imputed to their natural powers. The feeling of commiseration belongs to all men; so does that of shame and dislike; and that of reverence and respect; and that of approving and disapproving. The feeling of commiseration implies the principle of benevolence; that of shame and dislike, the principle of righteousness; that of reverence and respect, the principle of propriety; and that of approving and disapproving, the principle of knowledge. Benevolence, righteousness, propriety, and knowledge are not infused into us from without. We are certainly furnished with them. And a different view is simply owing to want of reflection. Hence it is said, "Seek and you will find them. Neglect and you will lose them." Men differ from one another in regard to them - some as much again as others, some five times as much, and some to an incalculable amount - it is because they cannot carry out fully their natural powers. It is said in the Book of Poetry, "Heaven in producing mankind, Gave them their various faculties and relations with their specific laws. These are the invariable rules of nature for all to hold, and all love this admirable virtue." Confucius said, "The maker of this ode knew indeed the principle of our nature!" We may thus see that every faculty and relation must have its law, and since there are invariable rules for all to hold, they consequently love this admirable virtue.'

Je trouve que ce passage du Mèngzǐ est extrêmement éclairant. Il apparaît en effet que tout être humain, même le plus abominable de noirceur possède en lui ces tendances innées à la sympathie, à la bienveillance, à la droiture. Les criminels les plus endurcis ont des amis, des préférences, de la vénération pour des caïds qui ont fait leurs preuves dans l’industrie de la violence, de la rapine ou de la cruauté. MENCIUS ne donne pas la réponse à cette question essentielle qui touche à la liberté : qu’est-ce qui fait qu’en dépit de ces dispositions propres à la nature humaine, certaines êtres les utilisent pour commettre ce qu’il est convenu d’appeler le mal, d’autres pour vivre le bien.
Il me paraît évident que ces inclinations naturelles ont besoin d’être orientées de l’extérieur de la subjectivité. Du reste, MENCIUS le rappelle en des termes qui, mutatis mutandis, ressemblent à ceux de Jésus : Cherchez et vous trouverez ! C’est bien tout le problème de la modernité : qu’est-ce qui va m’orienter vers le bien ? Ou vais-je porter l'objet de ma recherche ? La loi ? C’est ce qu’ont décidé les hommes politiques depuis les Lumières. Mais nous voyons bien que la loi peut un jour déclarer mal tel ou tel acte, et très bon, le même, quelques décennies après (je pense au cas très brûlant de l’avortement qui fut considéré comme un crime, avant d’être élevé à la hauteur d’une vertu quasiment constitutionnelle, au point qu’il est interdit de s’y opposer publiquement ; il s’agit d’une question très délicate qui relève de la conscience éclairée des femmes, de leur mari ou compagnon, et du médecin. Point n’était besoin de légiférer).
Le politique n’a pas de légitimité pour définir ce qui est moralement bon ou mauvais. Nous savons que la Parole, celle qui nous a été laissée par Jésus et ses apôtres, est en cette matière le port sûr et béni qui, si nous y sommes fidèles, nous met dans une sérénité absolue. Mais le politique est en réalité pris en otage par des camarillas successives, composées d’hommes et de femmes à l’ego boursouflé. Qu’il se borne à régler la justice, les finances, la guerre et la diplomatie. Et qu’il nous fiche la paix, une bonne fois pour toute, en se rappelant qu’il ne tire sa légitimité que de sa volonté  proclamée de conduire l’homme à la fin qui lui est due et non à la fin qu’il lui assigne dans une seule perspective : celle de se faire élire, réélire, et vénérer par les médias.

Mencius en train de lire (d'après Wikipedia)


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